Communiqué de presse – Journée mondiale de la liberté de la presse
À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, moment essentiel pour rappeler aux gouvernements leurs engagements en faveur d’une presse libre, indépendante et transparente, il est nécessaire de dénoncer les dérives autoritaires persistantes qui menacent la liberté d’expression dans plusieurs pays.
Nombre de gouvernements continuent de réprimer les voix critiques en s’appuyant sur des lois vagues, des procédures judiciaires abusives et une censure systémique. L’Algérie illustre tristement cette tendance.
En 2019, des millions d’Algérien·ne·s ont investi pacifiquement les rues pour réclamer une transformation démocratique. Ce mouvement, connu sous le nom de Hirak, portait l’espoir d’une réforme profonde du régime et d’une “Algérie libre et démocratique”.
Mais cinq ans plus tard, ce souffle populaire a été durement réprimé par les autorités algériennes, qui ont mobilisé tout leur arsenal sécuritaire, judiciaire et médiatique pour restreindre l’espace civique, intimider les voix critiques et maintenir le statu quo autoritaire.
Les citoyen·ne·s, militant·e·s, journalistes et écrivain·e·s algérien·ne·s font désormais face à un climat de répression généralisée. Des accusations telles que “menace à la sûreté nationale”, “atteinte à l’unité nationale” ou “terrorisme” sont fréquemment utilisées pour criminaliser l’expression d’opinions dissidentes. L’intimidation des militant·e·s s’intensifie, avec des menaces directes, des arrestations arbitraires et des campagnes de diffamation orchestrées pour dissuader toute forme de résistance. Selon les estimations du militant en exil Zakaria Hannache, il y aurait environ 243 prisonniers d’opinion actuellement en Algérie.
Le pouvoir algérien a également renforcé son contrôle sur l’information à travers de nouvelles lois. Par exemple, la loi sur l’information du 29 août 2023 illustre cette dérive : elle limite sévèrement la liberté de la presse en interdisant notamment l’entrée d’acteurs étrangers dans le capital des médias, et en imposant des conditions restrictives à l’exercice journalistique. Dans le même temps, le Code pénal, notamment ses articles 96, 144, 144 bis, 144 bis 2, 146, 296 et 298, continue d’être utilisé pour poursuivre toute voix discordante. Des journalistes ont par ailleurs été poursuivis pour réception de fonds étrangers afin de “commettre des atteintes à l’ordre public et à la stabilité de l’Algérie” en vertu de l’article 95 bis du Code pénal et diffusion de fausses nouvelles sur la base de l’article 196 bis.
L’écrivain Boualem Sansal, connu pour ses prises de position critiques à l’égard du pouvoir algérien, a été arrêté le 16 novembre 2024 à son retour de Paris. Il a été condamné à cinq ans de prison ferme au terme d’un procès pour “atteinte à l’unité nationale”, “outrage à corps constitué”, “pratiques de nature à nuire à l’économie nationale” et “détention de publications menaçant la sécurité du pays” suite à ses propos sur les frontières entre l’Algérie et le Maroc, tenus lors d’une interview avec le magazine français d’extrême droite Frontières. Son procès, expéditif et opaque, s’ inscrit dans une logique de répression de la liberté d’expression, sur fond de tensions entre la France et l’Algérie.
Le 20 janvier 2025, quatre jours seulement après son arrestation, un tribunal d’Alger a condamné Mohamed Tadjadit, militant du Hirak et poète, à cinq ans de prison à l’issue d’une procédure expéditive, sans garanties d’un procès équitable. Il a été condamné pour des accusations vagues liées à ses publications sur les réseaux sociaux et ses conversations privées dans lesquelles il critiquait la situation politique et socio-économique du pays. L’affaire a été mise en délibéré pour être examinée à l’audience du 8 mai 2025.
Par ailleurs, l’accès à plusieurs médias indépendants est régulièrement restreint, empêchant la population d’accéder à une information pluraliste et objective. Radio M et le site d’information Maghreb Émergent, qui comptaient parmi les derniers médias indépendants du pays, ont été fermés par les autorités au début de l’année 2023.
Face à cette situation alarmante, les organisations signataires appellent les autorités algériennes à :
- Libérer immédiatement et sans condition tous les journalistes, écrivain·e·s, militant·e·s et défenseur·e·s des droits humains arbitrairement détenu·e·s en Algérie et cesser la répression transnationale les visant à l’étranger.
- Mettre un terme à l’instrumentalisation de l’arsenal juridique pour réprimer la liberté d’expression.
- Adopter une législation nationale garantissant la protection des journalistes et le libre exercice de la profession.
- Respecter les engagements internationaux de l’Algérie en matière de droits humains, en particulier la liberté d’expression et d’opinion.
Organisations signataires :
- EuroMed Droits
- Institut du Caire pour les Études des Droits de l’Homme (ICEDH)
- Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits Humains
- IBTYKAR
- Le comité de sauvegarde de la Ligue algérienne de défense des droits humains
- Le collectif des familles de disparu(e)s en Algérie (CFDA)
- Libertés Algérie
- MENA Rights Group
- Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits Humains
- Riposte internationale
- Service international pour les droits de l’homme