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Agenda européen pour la Méditerranée : le syndrome de l’annexe

En 2021, l’UE publiait son nouvel Agenda pour la Méditerranée. Un rendez-vous manqué en devenir si l’UE ne met pas en avant les droits humains et l’État de droit.

Alors que l’Ukraine figure en bonne place dans l’agenda de l’UE depuis le début de l’année, une série de visites de haut.e.s responsables de l’UE ont eu lieu au sud de la Méditerranée, avec la première visite de la Présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, au Maroc le 9 février, et les voyages du Commissaire Várhelyi, en charge du voisinage – Est et Sud – au Maroc les 9-10 mars, en Israël/Palestine les 23-24 mars, avant de saluer les autorités tunisiennes le 29 mars. 

A toutes ces occasions, les représentant.e.s de l’UE n’ont pas manqué de faire référence à l’Agenda européen pour la Méditerranée, un programme complet pour les relations régionales et bilatérales de l’UE avec les pays du sud de la Méditerranée, publié le 9 février 2021. 

Un patchwork de projets pour la plupart non controversés 

L’agenda vise principalement à fournir un soutien aux « transitions » numérique et verte, bien que la première priorité porte sur le développement humain, la bonne gouvernance et l’État de droit. Cette priorité affichée vise aussi sans nul doute à prévenir, ou du moins à limiter, la corruption et l’utilisation abusive des fonds européens par les pays partenaires, et à renforcer la prévisibilité des relations bilatérales, tant sur le plan politique que sur celui des échanges commerciaux, économiques et énergétiques. Il va sans dire que la question de la migration reste au cœur de ce partenariat, l’UE étant obsédée par la « gestion » des migrant.e.s. 

Lorsqu’il a fait référence à l’Agenda européen, le Commissaire Várhelyi a mentionné à plusieurs reprises le Plan économique et d’investissement qui accompagne l’agenda plus politique, comme une annexe au corps d’un texte, ou un ruban décoratif pour rendre tout le paquet attrayant. Ce « document de travail du personnel » énumère une série de projets de petite et moyenne envergure, fournissant un patchwork de mesures de soutien pour la plupart non controversées. Sans référence claire au manque de respect des droits humains, à la répression de la société civile et aux dérives autoritaires dans la région, ce mantra centré sur l’« annexe » pourrait être considéré comme un syndrome : l’emballage rendu plus important que la pièce maîtresse. 

« Le Plan économique et d’investissement : une annexe au corps d’un texte ou un ruban décoratif pour rendre tout le paquet attrayant. » 

Cet Agenda européen pour la Méditerranée est censé « informer la préparation de cadres politiques bilatéraux », qui peuvent prendre la forme de documents conjoints, de Priorités de partenariat ou équivalents, « établissant des agendas de réformes politiques et économiques convenus conjointement et des outils de mise en œuvre connexes ». Quel est l’état des lieux ? S’il n’y a pas grand-chose à attendre des priorités avec la Jordanie et le Liban, qui ressembleront probablement à celles adoptées précédemment, ni de celles avec l’Égypte puisque l’UE est réticente à y soulever la question des droits humains, il est à craindre que celles avec l’Algérie n’effacent toute préoccupation en matière de droits humains dans un contexte où le gaz naturel pourrait être utilisé comme monnaie d’échange par l’Algérie ; la Russie menaçant de fermer ses robinets de gaz et l’UE essayant de trouver des fournisseurs alternatifs. 

La Tunisie est un exemple intéressant de ce sombre tableau. Lors de sa visite d’une journée en Tunisie, le Commissaire européen Várhelyi a fait l’éloge du « nouveau champ de réformes qui arrive » et de la feuille de route du Président Kais Saied « avec tous ces dates qui ont été déjà annoncées et tous ces points de décisions qui sont très importants à maintenir ». Il a également souligné qu’il était impératif de « conserver tous les principes liés à l’État de droit » et a décrit l’indépendance judiciaire comme « une autre priorité et principe absolu ». Il a ensuite annoncé que l’UE était prête à mobiliser environ 4 milliards d’euros pour des investissements, afin de ramener la « croissance et l’emploi », le travail et la croissance économique et sociale, ainsi qu’une série d’enveloppes financières pour soutenir les réformes liées à l’Agenda et atténuer la crise alimentaire en Tunisie et dans la région. 

Une gifle au visage de l’UE 

Le lendemain, le 30 mars, le Président tunisien prononçait la dissolution du Parlement, une mesure anticonstitutionnelle qui ne correspond pas vraiment à l’appel de M. Várhelyi en faveur « d’une réforme profonde qui vous donnera des institutions encore plus fortes, encore plus capables de livrer des résultats », « avec un Parlement qui fonctionne et qui est capable de prendre toutes les décisions nécessaires ». Pire encore, le 6 avril, le Président Kais Saied déclarait qu’il n’appellerait pas à des élections législatives anticipées tout en annonçant sa décision de modifier unilatéralement le mode de scrutin pour les élections prévues en décembre, les citoyens votant pour des personnes et non pour des listes. Et le 22 avril, il prenait le contrôle de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), suscitant une réaction timide et tardive de l’UE. 

En février 2021, après la publication de l’Agenda de l’UE, EuroMed Droits se demandait si cet agenda serait plus que du speed dating. Avec des Priorités de partenariat renouvelées qui n’ont pas encore vu le jour et des dérives autoritaires qui ressemblent à des gifles au visage de l’UE, cet agenda risque de devenir un rendez-vous manqué si l’UE ne met pas véritablement en avant les droits humains, la bonne gouvernance et l’État de droit. 

Par Vincent Forest, Directeur Outreach et Responsable du bureau de Bruxelles.