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L’inégalité face au vaccin en Egypte, reflet d’une injustice mondiale

Les inégalités en matière de santé qui transparaissent en Egypte reflètent une tendance mondiale : la distribution des vaccins est entachée de divisions, d’inégalités et d’intérêts régionaux et nationaux.

Alors que l’Egypte reçoit des millions de doses du vaccin contre le COVID-19, les déclarations des autorités pourraient donner l’impression que le déploiement du vaccin est en bonne voie. Cependant, le manque d’information, la désorganisation gouvernementale et le népotisme empêcheront pendant encore longtemps des millions d’Egyptien.ne.s d’accéder au vaccin.  

Selon le Ministère égyptien de la Santé, le 9 mai dernier, près de 1.300.000 personnes avaient été vaccinées sur une population de 100 millions (un peu moins de 2 millions selon les données de l’Organisation Mondiale de la Santé disponibles à l’heure de rédiger cet article). Cette faible progression démontre le manque d’information et de confiance, les autorités sanitaires ayant annoncé que même des médecins hésitaient à se faire vacciner. Malgré le contrôle opéré par le gouvernement et son influence croissante sur les médias, aucune campagne d’information n’a encore été diffusée à destination de la population pour l’encourager à s’inscrire à la vaccination. Cette absence d’information met un très grand nombre de personnes, dont les près de 32% de la population vivant sous le seuil de pauvreté, dans l’incapacité de s’inscrire en ligne ou de recevoir des messages sur leur téléphone portable car elles ne sont pas informées de la disponibilité des vaccins.

«  Le COVID-19 sévit en Egypte, mais il est difficile de connaître avec exactitude la sévérité de la situation en raison du manque de transparence et d’une sous-estimation des cas  »

L’absence de tout plan gouvernemental de priorisation dans la distribution du vaccin a mis au jour les inégalités existant en Egypte : des jeunes dans la vingtaine ont pu être vacciné.e.s alors que les personnes âgées et les médecins – qui comptent déjà 520 victimes du virus dans leurs rangs – attendent encore. Les médecins se sont mobilisé.e.s à plusieurs reprises contre le manque d’équipement personnel de protection et de traitement en cas d’infection. Ces mobilisations ont été réprimées.

Dans certains cas, le gouvernement a organisé la vaccination d’étudiant.e.s et d’employé.e.s des universités huppées aux côtés des membres des principaux clubs sociaux. Les membres du gouvernement et de la Chambre des représentant.e.s, ainsi que leur famille, ont également bénéficié d’un accès immédiat au vaccin.  

Le COVID-19 sévit en Egypte, mais il est difficile de connaître avec exactitude la sévérité de la situation en raison du manque de transparence et d’une sous-estimation des cas. L’été dernier, le gouvernement lui-même admettait que les taux d’infection pouvaient être dix fois plus élevés que les chiffres officiels.

La lenteur du rythme des vaccinations prolongera l’exposition à de nouvelles poussées infectieuses dans un pays aux infrastructures sanitaires médiocres. Alors que la Constitution de 2014 prévoyait une allocation de 3% du PIB pour la santé, ce chiffre a difficilement atteint les 1,19% en 2019-2020, avec une hausse d’urgence à 1,37% au début de la pandémie.

Des inégalités mondiales galopantes

Les inégalités en matière de santé qui transparaissent en Egypte reflètent une tendance mondiale : la distribution des vaccins contre le COVID-19 est entachée de divisions, d’inégalités et d’intérêts régionaux et nationaux. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, près de 95% des vaccins produits jusqu’à maintenant ont été déployés dans les dix pays les plus riches. Et alors que certains pays sont sur une trajectoire de réouverture progressive de leur société, d’autres, comme l’Inde, font face à une flambée de la pandémie.

L’accès abordable et non discriminatoire aux vaccins est un droit humain et les tentatives de coopération de la communauté internationale pour garantir ce droit ont jusqu’à maintenant échoué. La société civile a soutenu les demandes de levée des brevets industriels qui permettrait une production accrue de vaccins et un déploiement plus rapide. A l’opposé des géants pharmaceutiques, l’OMS considère comme cruciaux la levée des droits de propriété intellectuelle et les transferts de  technologie.

Cette proposition est sur la table de l’Organisation Internationale du Commerce depuis le mois d’octobre 2020. L’Union européenne ne s’en est préoccupée qu’après la déclaration du Président américain Joe Biden en faveur d’une ouverture des négociations sur une levée des brevets. La Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré à ce moment-là qu’elle était prête « à discuter de toute proposition qui permettrait de répondre à cette crise de manière efficace et pragmatique ». La déclaration européenne marque un pas en avant positif pour une Union qui, historiquement, a tout fait pour renforcer les droits relatifs aux brevets et sécuriser les intérêts de l’industrie pharmaceutique.

Mais le scepticisme reste de mise. Jusqu’à maintenant, rien dans la manière dont la Commission européenne a abordé les droits de propriété intellectuelle pendant la pandémie n’indique un véritable changement d’attitude. Au contraire, une enquête récente montre que les Commissaires européens rencontrent exclusivement des lobbyistes qui représentent l’industrie pharmaceutique et ses intérêts, au détriment des voix critiques émanant de la société civile.

La santé est un droit humain et les vaccins contre le COVID-19 devraient être traités comme des biens publics mondiaux. L’UE devrait assumer ses responsabilités en facilitant une coopération mondiale pour mettre fin, le plus rapidement possible, à la pandémie.

Frederik Jonannisson, Chargé de Programme Droits Economiques et Sociaux à EuroMed Droits, conjointement avec le Social Justice Platform, un membre du groupe de travail d’EuroMed Droits sur les droits économiques et sociaux. Photo d’illustration: The Economist.