Les célébrations marquant la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie (IDAHOT), le 17 mai dernier, ont laissé un goût amer. Comme d’autres populations souffrant de discrimination structurelle et de stigmatisation, les personnes LGBTI sont parmi les plus touchées par la crise du COVID-19.
Avant le COVID-19 : quels droits et expériences LGBTI ?
L’impact de la crise est inévitablement lié aux conditions dans lesquelles les personnes LGBTI vivaient avant le COVID-19. A cet égard, les rapports publiés par ILGA Europe et l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) à l’occasion de la Journée mondiale sont particulièrement éclairants. Le tableau qu’ils brossent est plutôt sombre, en soulignant les conséquences néfastes du COVID-19 pour les personnes et communautés LGBTI. Les personnes transgenres et intersexes faisaient déjà partie des communautés LGBTI les plus marginalisées : 40% ont déclaré souffrir de discrimination au travail, tandis que 48% ont affirmé avoir du mal à joindre les deux bouts avant le COVID-19.
Selon la FRA, 60% des personnes LGB évitent de tenir la main de leur partenaire en public. Une personne sur cinq a déclaré souffrir de discrimination au travail, et deux sur cinq ont reconnu avoir été harcelés au cours de l’année précédant l’enquête.
Comment les gouvernements européens ont-ils réagi ? Selon ILGA Europe, l’année dernière, aucun changement positif n’a été constaté concernant les droits LGBTI dans la moitié des pays de l’UE et d’Asie centrale. Globalement, les droits LGBTI stagnent, bien que l’on puisse noter quelques avancées significatives comme la transcription juridique de l’égalité du mariage en Irlande du Nord et des améliorations législatives portant sur la reconnaissance juridique du genre en Espagne et en Islande.
Dans la région MENA, la situation est très diverse. Sur le plan juridique, la plupart des pays sont à la traîne. Les relations sexuelles entre personnes du même sexe sont criminalisées en Tunisie, au Maroc et en Algérie. Au Liban, hormis quelques décisions de justice révolutionnaires, le fait d’être LGBTI est toujours considéré comme « un acte contre les lois de la nature ». En Jordanie et en Égypte, la loi en vigueur vise à garantir la « moralité publique ». Ces dispositions légales ont indubitablement un impact sur les personnes LGBTI, leurs moyens de subsistance et leur sécurité. Cependant, la région connaît une croissance exponentielle des organisations queer et de leurs alliés, ce qui se traduit par des succès inégaux mais constants.
COVID-19, un catalyseur pour discriminations préexistantes
Les personnes LGBTI sont marginalisées de manière très spécifique, ce qui les rend vulnérables à la crise sanitaire mais aussi aux réponses gouvernementales. Les mesures de confinement peuvent entraîner une augmentation de la violence physique et psychologique pour les personnes LGBTI qui cachent leur identité de genre, ou pour celles qui vivent au sein d’une famille qui ne les soutient pas ou les maltraite. Les mesures d’enfermement strict ont également un impact sur les personnes transgenres, en particulier celles dont les documents d’identité ne correspondent pas à leur identité de genre. Cela peut entraîner une discrimination policière à l’encontre des personnes transgenres et intersexes, et des membres racialisés des communautés LGBTI en particulier.
Les établissements de santé sont tristement célèbres pour leurs discriminations à l’encontre des personnes LGBTI : pathologisation de leur identité, stigmatisation, violence et mutilations. Cela conduit certaines personnes LGBTI à éviter de demander une assistance médicale lorsqu’elles tombent malades. De plus, elles peuvent souffrir de la privation de services : retards dans les traitements hormonaux, chirurgies de réassignation, tests de dépistage du VIH, etc. Les personnes LGBTI sont également, en moyenne, plus défavorisées économiquement que le reste de la population. Travaillant dans des emplois précaires et informels, les personnes LGBTI sont plus exposées à l’impact économique de cette crise.
Discours de haine et exploitation politique de la crise
Depuis le début de la pandémie, on observe une tendance insidieuse à cibler et à blâmer les personnes LGBTI pour la crise. C’est le cas en Israël où l’influent rabbin Meir Mazuz a imputé l’épidémie actuelle aux personnes LGBTI : « c’est la vengeance de Dieu », comme il l’a appelée. En Turquie, un discours similaire a été utilisé par le responsable des affaires religieuses qui a appelé, lors d’une prédication, à « combattre le péché de l’homosexualité », en visant directement les personnes séropositives.
Les discours de haine et la violence contre les minorités ont augmenté hors ligne mais aussi en ligne pendant la crise. Les personnes LGBTI sont souvent ciblées en tant que l’une des communautés les plus stigmatisées dans la région euro-méditerranéenne. Au Maroc, par exemple, une transsexuelle basée à Istanbul a dénoncé des homosexuels marocains en direct sur Snapchat, ce qui a conduit au suicide tragique d’une personne.
De tels chocs mondiaux permettent à des responsables politiques mal intentionnés de détourner l’attention afin de continuer à discriminer et à favoriser l’adoption de lois restrictives. En Hongrie, Viktor Orban a ainsi profité de cette « opportunité » pour faire adopter un décret rendant impossible la reconnaissance légale du genre pour les personnes transgenres et intersexes. Souvent mis de côté dans l’agenda mondial des droits humains, les droits LGBTI doivent être au cœur de la réponse à la crise. La stratégie LGBTI de l’UE en cours d’élaboration doit être ambitieuse et cohérente dans la promotion des droits LGBTI en dehors de l’Europe, tout en tenant ses États membres responsables de la mise en œuvre des droits des personnes LGBTI et de leur accès à des moyens de subsistance adéquats, au sein même des frontières européennes.
Lucille Griffon, Chargée de programme Droits des Femmes et Justice de Genre