Les restrictions injustifiées pesant sur les associations devraient être levées

Un avant-projet de loi non seulement maintiendrait les contraintes actuelles, mais conférerait au gouvernement un pouvoir excessif de contrôle

(Beyrouth, le 25 septembre 2025) – Les autorités algériennes devraient mettre fin au contrôle excessif sur les organisations de la société civile et le Parlement devrait adopter une nouvelle loi sur les associations basée sur les normes internationales relatives aux droits humains, ont déclaré aujourdhui huit organisations de défense des droits humains. L’avant-projet de loi considérépour remplacer la loi de 2012 actuellement en vigueur porterait encore plus atteinte au droit à la liberté dassociation.

Cet avant-projet, consulté par les organisations, au lieu de corriger les dispositions de la loi actuelle qui violent le droit à la liberté dassociation, introduit des restrictions supplémentaires et renforce le contrôle du gouvernement sur les associations dans le pays. Il ne donne pas aux associations la possibilité de se former sans autorisation préalable du gouvernement, comme lexige la Constitution. Au lieu de le présenter au Parlement, les autorités devraient enterrer le projet de loi, ont déclaré les organisations.

« Les autorités algériennes devraient cesser dériger des obstacles qui empêchent les associations de fonctionner librement » », a déclaré Alexis Thiry, conseiller juridique au sein de MENA Rights Group. « Loin de pallier les lacunes de la loi algérienne sur les associations, ce texte empirerait la situation. »

Les organisations de la société civile algérienne subissent une répression et des restrictions grandissantes depuis l’émergence du mouvement de protestation Hirak en 2019. Les autorités ont interdit des rassemblements publics et politiques, ciblé les groupes de défense des droits humains et des défenseurs, et dissous deux associations connues : le Rassemblement actions jeunesse (RAJ) et la Ligue algérienne pour la défense des droits de lhomme. La loi de 2012 actuellement en vigueur comprend des dispositions excessivement générales, à la formulation vague, et impose aux associations des procédures denregistrement et de fonctionnement très lourdes.

Le projet de loi octroierait au ministère de lIntérieur une vaste autorité sur la création, le fonctionnement et le financement des associations, ainsi quun contrôle quasi illimité de leurs activités. Il na pas encore été officiellement présenté au Parlement.

Ce projet de texte impose des restrictions arbitraires en ce qui concerne les objectifs et les activités des associations. Il définit étroitement leur raison dêtre comme un « soutien aux autorités publiques […] afin de mettre en œuvre les politiques publiques », ce qui contredit le principe même de société civile indépendante. Il exige que les associations mènent leurs activités dans le respect de valeurs nationales telles que « lunité nationale et lintégrité territoriale » ou « les composantes fondamentales de lidentité nationale », des termes vagues qui pourraient être invoqués pour restreindre arbitrairement le travail dune association.

Tout comme la loi de 2012, le texte interdit aux organisations dentretenir « quelque relation que ce soit » avec les partis politiques ou de recevoir une aide financière de leur part. Les financements étrangers devraient faire lobjet dune autorisation de la part du ministère de lIntérieur ou du wali (gouverneur) et tout don ou legs à une association nationale de plus de 1 500 000 dinars algériens (environ 11 550 USD) nécessiterait un « certificat de conformité ».

Par ailleurs, le projet de loi conserve des prérequis importants pour créer une association. Il exige de réunir une assemblée générale en présence dun huissier et de dix fondateurs au minimum, pour les associations communales, ou de 25 membres fondateurs vivant dans au moins un tiers des gouvernorats du pays, pour les associations nationales.

Tous les membres fondateurs devraient être des ressortissants algériens qui nont jamais été condamnés au pénal – ce qui éliminerait de nombreux acteurs de la société civile qui ont été condamnés ces dernières années pour avoir exercé leurs droits fondamentaux.

Ces exigences vont à lencontre de la Charte africaine des droits de lhomme et des peuples, ratifiée par lAlgérie en 1987, et des Directives sur la liberté dassociation et de réunion en Afrique, qui précisent que « [pas plus] de deux personnes [ne doivent être requises] pour créer une association » sans discrimination, et que « le seul fait que lindividu ait été auparavant lobjet dune condamnation pénale ne saurait constituer une incapacité en matière de création dassociation ».

Le projet de texte impose également un système denregistrement fastidieux, similaire à celui de la loi actuelle. Le projet de loi exige que les groupes présentent certains documents que les autorités vérifieront avant démettre un récépissé denregistrement dans un délai de 30 à 60 jours. Le récépissé doit alors être publié dans au moins un journal dans un délai de 30 jours. Si les autorités némettaient pas de récépissé dans le délai imparti, lassociation serait considérée comme légalement enregistrée, mais ne pourrait pas mener dactivités. En pratique, de nombreuses organisations de défense des droits humains ont rencontré des difficultés insurmontables pour obtenir un récépissé denregistrement.

Les Directives sur la liberté dassociation et de réunion en Afrique exigent que « les associations reçoivent séance tenante les documents officiels confirmant leur déclaration ».

Toujours daprès le projet de texte, les autorités pourraient empêcher la création dune association en se fondant sur une « décision motivée » qui ne pourrait être contestée que devant un tribunal. Afin douvrir un siège, une association nécessiterait davertir le gouverneur concerné, qui pourrait sy opposer pour des motifs dordre public ou de sécurité.

Le projet de loi conserverait par ailleurs les restrictions pesant sur les associations étrangères, les empêchant de fonctionner librement et conférant au ministère de lIntérieur un contrôle important, en contradiction des directives de la Commission africaine. Toute coopération entre des associations algériennes et des associations étrangères serait soumise à des dispositions vagues, telles que le respect des « valeurs et constantes nationales ». La possibilité, pour une organisation internationale, détablir un siège en Algérie dépendrait des « relations amicales » entre lAlgérie et le pays dorigine de l’organisation. Une association comprenant des membres étrangers nécessiterait « des accords damitié ou de coopération entre lAlgérie et les pays des membres fondateurs ». Dans les deux cas, ces associations seraient soumises à lapprobation du ministère de lIntérieur, révocable à tout moment.  Le texte ne précise aucune procédure dappel pour le cas où le ministère refuserait ou révoquerait son autorisation.

Parmi les autres exigences fastidieuses figurerait lobligation de fournir aux autorités un compte-rendu, un rapport financier et un rapport moral dans un délai de 30 jours après chaque assemblée générale. Le projet de loi permettrait aussi au ministère de lIntérieur dinspecter le siège des associations à tout moment et davoir accès aux documents administratifs et comptables. Ce type de dispositions abusives permet une surveillance intrusive, sans contrôle judiciaire, et ouvre la voie à dautres abus.

Le projet de texte permettrait aux autorités de suspendre une association pendant 30 jours pour divers motifs, notamment le non-renouvellement de ses instances exécutives ou la violation de ses statuts. Un avis officiel serait adressé à lassociation ; ce qui constitue un recul par rapport à la loi de 2012, qui exigeait un avis officiel assorti dun droit de réponse avant la suspension.

Le droit de créer des associations est garanti par larticle 53 de la Constitution algérienne et « sexerce par simple déclaration ». LAlgérie a lobligation de respecter, protéger, promouvoir et réaliser le droit à la liberté dassociation, tel que défini par larticle 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par larticle 10 de la Charte africaine des droits de lhomme et des peuples.

Les limitations de ce droit ne sont permises que lorsquelles sont prescrites par la loi et nécessaires dans une société démocratique – cest-à-dire lorsquelles emploient les moyens les moins restrictifs possibles et quelles correspondent aux valeurs fondamentales que sont le pluralisme et la tolérance. es restrictions « nécessaires » doivent aussi être proportionnées et non discriminatoires, notamment vis-à-vis de la nationalité, des opinions politiques ou des croyances.

« Les autorités algériennes devraient saisir cette opportunité pour introduire une nouvelle loi qui réponde aux normes internationales sur le droit à la liberté dassociation et permette aux groupes de la société civile de fonctionner librement, sans restrictions injustifiées ni crainte des représailles », a conclu Bassam Khawaja, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Le récent projet de loi sur les associations devrait être entièrement revu, en consultant la société civile, pour en retirer les dispositions restrictives. »

Organisations signataires :

  1. Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS)
  2. Comité de sauvegarde de la Ligue algérienne pour la défense des droits humains (CS-LADDH)
  3. EuroMed Rights
  4. Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur·e·s des droits humains
  5. Fondation pour la promotion des droits
  6. Human Rights Watch
  7. MENA Rights Group
  8. Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de lObservatoire pour la protection des défenseur·e·s des droits humains