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Trois ans après la chute du régime de Moubarak, il est temps pour l’UE d’agir au vu de l’impunité avec laquelle les droits de l’Homme sont bafoués et de la restriction de l’espace accordé à l’expression démocratique

Il y a trois ans, lorsque le régime d’Hosni Moubarak a été renversé le 25 janvier 2011, l’espoir étant grand quant à un avenir démocratique pour l’Égypte. Les violations des droits de l’Homme demeurent toutefois monnaie courante et sont commises en toute impunité. Les attentes de la population étaient élevées en amont du référendum sur la Constitution égyptienne qui s’est tenu les 14 et 15 janvier dernier, lors duquel 38 % des électeurs se sont rendus aux urnes et une majorité écrasante d’entre eux (98 %) ont voté en faveur du texte. Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) salue les améliorations apportées par la nouvelle Constitution égyptienne, telles que les dispositions relatives aux droits des femmes, aux droits économiques et sociaux, ainsi que la référence aux instruments internationaux des droits de l’Homme. Le REMDH demeure toutefois préoccupé quant à plusieurs autres points, notamment la possibilité pour les civils d’être jugés devant des tribunaux militaires et la limitation discriminatoire de la liberté religieuse aux seules religions abrahamiques.

Au-delà des considérations relatives à la Constitution en elle-même et du résultat du scrutin, le REMDH déplore l’absence d’un environnement favorable à un débat démocratique et pluraliste en Égypte, un pays où les violations de la liberté d’expression, d’association et de réunion se sont multipliées ces derniers mois. En cette période cruciale de transition, lors de laquelle se tiendront bientôt des élections, le gouvernement égyptien par intérim devrait se prononcer en faveur d’un débat politique pacifique, au lieu d’étouffer les opinions divergentes et minoritaires. Les autorités égyptiennes devraient par ailleurs garantir une imputabilité non partisane pour les violations des droits de l’Homme commises au cours des trois dernières années.

La liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association constituent pourtant des éléments essentiels de toute démocratie, dans la mesure où ils permettent la participation démocratique qui ne se limite pas au droit de vote. La participation des citoyens aux affaires publiques est un droit fondamental protégé par l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans sa résolution 15/21, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU appelle les États membres à respecter et protéger pleinement le droit de tous les individus de se réunir pacifiquement et de s’associer librement, notamment à l’occasion des élections.

Bien que le REMDH reconnaisse la légitimité des préoccupations relatives à la sécurité publique en cette période de troubles en Égypte, il souhaite rappeler que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’Égypte est un État signataire, prévoit des dispositions claires et contraignantes en matière de restriction de certains droits, tels que la liberté de réunion. Ces dispositions ne peuvent en aucun cas être enfreintes. Le REMDH demeure persuadé que le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales constitue la meilleure manière d’empêcher l’escalade de la violence en Égypte.

Le REMDH estime que l’UE devrait coopérer activement avec l’Égypte, afin que le pays puisse commencer à faire preuve d’un réel engagement en faveur du « renforcement de la pratique démocratique et de l’État de droit et [de] la consolidation de l’indépendance et de l’efficacité de l’administration de la justice », comme le prévoit le chapitre politique du plan d’action UE-Égypte mis en œuvre dans le cadre de la politique européenne de voisinage.

Violations récentes de la liberté d’expression, d’association et de réunion en Égypte

Comme expliqué ci-dessous, une série d’événements, outre ceux liés aux affrontements entre l’armée, la police et les Frères musulmans, démontrent qu’aucun débat politique libre et équitable n’a pu avoir lieu en amont du référendum.

Premièrement, au cours des dernières semaines, les cas de harcèlement à l’encontre de militants se sont multipliés. Quelques jours avant le référendum, sept militants ont été arrêtés à différents endroits pour avoir placé des affiches appelant à voter contre la Constitution. Le 6 avril dernier, un mouvement de jeunesse et des organisations de la société civile déplorant le non-respect des droits de l’Homme par le gouvernement ont également pris pour cibles. Le 28 novembre, Alaa Abdel Fattah a été arrêté et condamné pour avoir mis le feu aux bureaux de campagne de l’homme politique Ahmed Shafiq en 2012. Il a écopé d’un an de prison avec sursis et est à présent poursuivi pour organisation illégale de manifestations.

Le 18 décembre, la police a procédé à une descente au siège du Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux et a arrêté six de ses membres, dont cinq ont été relâchés le lendemain. Le 22 décembre, l’un d’entre eux, Mohamed Adel, a été condamné à trois ans de prison et à une amende de 50 000 livres égyptiennes, aux côtés de militants du 6 avril, Ahmed Maher et Ahmed Douma. Ils ont été condamnés sur la base de la nouvelle loi relative aux réunions promulguée le 24 novembre. Cette loi a été dénoncée par des organisations de défense des droits de l’Homme, qui la qualifient de loi privative de liberté. Ce nouveau texte législatif permet d’imposer de très lourdes sanctions à des manifestants pacifiques pour des délits mineurs tels que l’organisation d’un rassemblement sans notification préalable.

Au moins sept militants pacifiques du parti L’Égypte forte ont été arrêtés entre le 7 et le 12 janvier pour possession d’affiches appelant la population à voter contre la Constitution en amont du référendum. Selon le ministère de l’intérieur, 444 personnes ont été arrêtées lors des deux jours de vote en raison de leurs tentatives de « se mettre en travers du vote de la Constitution et de leurs affrontements avec les forces de sécurité et les résidents ».

Deuxièmement, l’escalade de la violence lors des manifestations témoigne d’une tendance inquiétante : le premier jour du référendum, dix personnes ont perdu la vie lors d’affrontements entre les forces de police et les partisans pro-Morsi qui appelaient au boycott du référendum, selon des sources appartenant aux services de sécurité. Le REMDH s’inquiète également du décès de plusieurs étudiants de diverses universités ces derniers jours, à l’issue d’affrontements entre des étudiants pro-Morsi et la police. Le REMDH rappelle que même lorsqu’une manifestation devient violente, les forces de police devraient toujours appliquer les principes de la nécessité et de la proportionnalité ; ils ne devraient jamais avoir recours à des armes à feu pour contrôler la foule. Protéger les vies humaines devrait toujours être la priorité et le nombre croissant de décès ne contribuera certainement pas à la pacification du débat politique.

Troisièmement, outre les arrestations politiques et la répression systématique des mouvements de protestation ces derniers mois, les journalistes ont de plus en plus de difficultés à faire leur travail, surtout lorsque les médias pour lesquels ils travaillent sont d’un avis différent que celui du gouvernement. Quatre journalistes d’Al Jazeera ont été arrêtés le 28 décembre et trois d’entre eux sont accusés d’organisation de rassemblement illégal avec les Frères musulmans et d’avoir « menacé la sécurité nationale ». Selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), au moins sept journalistes sont toujours détenus dans des prisons égyptiennes. Ces violations de la liberté de la presse sont extrêmement préoccupantes, surtout dans le contexte des élections.

Enfin, le REMDH est au regret de constater qu’un projet d’amendement de la loi sur la liberté d’association qui enfreint les normes internationales est toujours à l’ordre du jour législatif. Selon ce projet de loi, les associations souhaitant obtenir des fonds de l’étranger devront passer par une procédure d’approbation nécessitant que le ministère ne s’oppose pas à ces financements dans les 30 jours de sa « notification ». Il comporte également une disposition sur l’enregistrement des ONG, qui stipule qu’un comité devra examiner les demandes dans les 60 jours, mais le texte ne précise pas ce qu’il se passe en cas d’absence de réponse de la part du comité. Selon ce texte, les ONG peuvent également être démantelées par une ordonnance du tribunal si elles ne respectent pas la loi, la Constitution ou l’« accord relatif aux pratiques adoptées pour leurs activités ». Cet accord n’est aucunement détaillé dans le texte de loi et de nouvelles restrictions à la liberté d’association pourraient donc être imposées en dehors du cadre de la loi.

Recommandations

La haute représentante de l’UE, Catherine Ashton, a récemment déclaré que l’UE « continuera de soutenir le peuple égyptien qui s’efforce d’achever la transition démocratique de son pays et de réaliser les aspirations de la révolution de 2011 ».

Afin d’y parvenir, l’UE devrait exhorter les autorités égyptiennes à :

–          véritablement faciliter et protéger la liberté d’expression, de réunion et d’association de manière générale et d’autant plus en amont des prochaines élections, ce qui implique notamment de mettre un terme aux actes de harcèlement politique ;

–          garantir l’imputabilité, notamment via une administration indépendante et impartiale de la justice, pour l’ensemble des violations des droits de l’Homme commises au cours des trois dernières années ;

–          entamer une discussion approfondie avec les OSC et des experts juridiques sur le projet de loi relatif aux réunions et manifestations publiques récemment adopté par le gouvernement égyptien, dans la mesure où cette loi restreint la liberté de réunion qui est un droit fondamental ; cette loi devrait être conforme aux normes internationales, telles que la présomption en faveur des réunions, une réglementation minimale, la nécessité dans une société démocratique et la proportionnalité des restrictions ;

–          garantir que les dispositions de la nouvelle Constitution sur les libertés et les droits fondamentaux, y compris la liberté d’expression et de réunion, sont pleinement mises en œuvre.