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Réfugiés: le grand renoncement de l’Union européenne

En l’espace d’un an, le nombre de personnes ayant demandé l’asile auprès de l’un des 28 États membres de l’Union européenne a diminué de moitié : 650 000 en 2017 contre 1 206 500 en 2016 ; une tendance à la baisse confirmée pour les premiers mois de 2018.

Est-ce à dire que le monde va mieux ?

Ce n’est apparemment pas ce que pense l’ONU ; ce n’est certainement pas ce que pensent les réfugiés de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan, du Nigéria, ou d’Érythrée qui, chaque mois, viennent requérir une protection internationale et sont maintenant rejoints par un nombre croissant d’Albanais et de Vénézuéliens ; Ce n’est évidemment pas ce que ressentent les pays où se retrouvent quelques millions de réfugiés syriens : la Turquie, la Jordanie, le Liban[1].

Ce n’est pas non plus ce que ressentent toutes les personnes qui tentent d’aider ces migrants à faire reconnaître leurs droits ou simplement à leur éviter la mort sur le chemin de l’exil.

Si « embellie statistique » il y a, elle ressort tout entière des efforts de l’Union européenne pour assurer une gestion dite « efficace » des flux migratoires, à savoir leur réduction. C’est  l’œuvre des 1 500 garde-frontières et garde-côtes  déployés aux frontières extérieures de l’Europe,  mais aussi des pratiques de refoulement et de push-back  d’un nombre croissant d’États européens, y compris au sein même du territoire européen, au motif invoqué du règlement Dublin.

Mais, si l’on en croit l’agenda européen, le mieux serait encore à venir, notamment si la réforme du droit d’asile européen, à laquelle la Commission européenne travaille depuis deux ans, est finalement validée par les États membres du Conseil européen.

L’objectif annoncé de mettre fin à un droit d’asile à géométrie variable selon le pays d’accueil pouvait, en soi, être jugé souhaitable. Mais pas sur le fondement d’un recul imposé des droits des réfugiés ! Or, c’est exactement ce qui s’annonce puisque, une fois adoptée sous forme d’une majorité de règlements et non plus de directives[2], cette réforme sera d’application directe et immédiate par les États membres. Ni les sociétés civiles nationales, ni les instances politiques ne pourront envisager d’en aménager certaines dispositions.

La réforme du régime d’asile européen commun (RAEC) conduira à une généralisation des procédures accélérées et des procédures d’irrecevabilité pour examiner les demandes des personnes venant d’un pays dit d’origine « sûr », d’un pays tiers « sûrs » ou d’un premier pays d’asile  – ne serait-ce que parce que c’était sur leur chemin de transit. Les États membres devront aussi obligatoirement vérifier l’existence d’une « protection à l’intérieur du pays » (comme en Afghanistan ou dans certaines régions d’Irak).  Pour les États formant la frontière extérieure de l’UE, le projet de futur règlement Dublin prévoit que ces mêmes concepts, devront être utilisés lors d’une procédure préalable à la mise en œuvre du règlement, les, incitant donc à systématiser les pratiques de refoulement !

Bref, accepter cette réforme, ce serait, pour les pays de l’UE, se défausser de leurs engagements internationaux en renvoyant les demandeurs d’asile vers des pays tiers offrant des garanties le plus souvent de façade. La coopération avec la Turquie depuis mars 2016 a fait la démonstration des dérives de cette pratique  …

En ce 20 juin 2018, journée internationale des réfugiés,

Nous, membres de la société civile, au Nord comme au Sud ou à l’Est de la Méditerranée, refusons qu’en notre nom, au prétexte de défendre notre « sécurité », l’Europe s’engage sur une voie qui nous fait honte !

Pour l’heure, notre seul espoir est que les États membres refusent d’avancer plus loin sur le chemin de cette réforme bâclée. Quand les uns refusent d’assurer « le partage du fardeau », les autres refusent d’être les seuls, disent-ils, à l’assumer.

Nous leur demandons à eux, comme aux dirigeants des pays dits tiers, de cesser de faire du droit et de la vie des personnes réfugiées une monnaie d’échange.

Les dirigeants européens doivent se reprendre et renouer avec le respect des valeurs pour lesquelles l’Europe, à laquelle ils ont voulu adhérer, a été fondée.

[1] En Turquie : plus de 500 000 dans la seule ville d’Istanbul ; près de 4 millions dans le pays ; en Jordanie : plus de 655 000 selon le HCR ; au Liban : près d’un million

[2] Ne demeurerait qu’une seule « directive » concernant les conditions d’accueil des demandeurs d’asile ; tous les autres textes ont été publiés sous forme de projets de « règlements ».

 

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