En réponse à l’appel à contributions lancé par le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) à l’occasion des rapports de suivi de la politique européenne de voisinage (PEV) en 2014 (ci-après dénommés « rapport de suivi 2014 »), APRODEV, la CIDSE et le REMDH souhaiteraient attirer l’attention du SEAE sur les cinq points suivants :
1. Aborder les actions d’Israël dans le territoire palestinien occupé (TPO) dans le chapitre 2 traitant des valeurs partagées
Les organisations signataires du présent document se félicitent que dans le rapport de suivi de la PEV 2013, une section soit dédiée aux responsabilités d’Israël dans le TPO et fasse explicitement référence aux «responsabilité [d’Israël] en tant que puissance occupante, notamment en ce qui concerne l’usage proportionné de la force, le respect des droits de l’Homme et du droit international ». Nous saluons également le recours accru à des références aux droits de l’Homme dans cette section. Toutefois, comme par le passé, ce chapitre est placé à la fin du rapport d’étape et séparé du chapitre 2 où sont abordées les questions relatives à l’objectif commun de « collaborer à la promotion des valeurs communes de la démocratie, de l’État de droit et du respect des droits de l’Homme et du droit international humanitaire (DHI) ». Cet objectif est par ailleurs repris dans le plan d’action UE-Israël. Israël a des obligations en matière de respect des droits de l’Homme et du DIH vis-à-vis de la population palestinienne occupée. Afin de refléter correctement l’ensemble des obligations légales d’Israël, cette section devrait donc être intégrée dans le deuxième chapitre du rapport de suivi.
2. Inclure une évaluation du respect des obligations d’Israël en vertu du DHI
Les lignes directrices de l’UE concernant la promotion du droit international humanitaire rappellent que le DHI s’applique également aux situations d’occupation et précisent que « chaque fois que cela peut être utile, [l’UE devrait] assortir [ses] rapports sur un État ou un conflit donné d’une évaluation de la situation en ce qui concerne le droit humanitaire international ».
Bien que les organisations signataires du présent document saluent l’ajout de la nouvelle section « Israël dans le TPO » et la référence aux responsabilités d’Israël en tant que puissance occupante, elles notent toutefois avec inquiétude que le rapport de suivi de la PEV 2013 n’évalue en réalité pas le respect du DHI par Israël. Une évaluation approfondie du respect du DHI par Israël est essentielle, dans la mesure où il constitue le principal cadre législatif définissant les droits des personnes protégées et les responsabilités de la puissance occupante en situation d’occupation. Cette évaluation est particulièrement pertinente sachant que le DHI et le droit international relatif aux droits de l’Homme (DIDH) s’appliquent sous la forme de cadres législatifs complémentaires et, dans certains cas, une règle plus spécifique, précise ou protectrice du DHI peut prévaloir sur le DIDH et être considérée comme une lex specialis. Les organisations signataires du présent document recommandent donc que le rapport de suivi 2014 inclue les éléments suivants :
Démolitions dans le TPO : en plus de « mettre en péril » les droits de propriété (comme l’affirment les auteurs des rapports de suivi de 2011, 2012 et 2013), la destruction de biens privés constitue une flagrante violation de l’article 53 de la quatrième Convention de Genève (CG IV) (voir également l’article 46 du règlement de La Haye)[1]. Les démolitions ont par ailleurs été reconnues illégales par le Conseil Affaires Etrangères dans les conclusions du Conseil de décembre 2009.
En raison de ces destructions de biens, la population palestinienne protégée peut également être victime de transferts forcés (en violation de l’article 49 de la CG IV). La destruction illégale de biens privés et le transfert illégal de personnes protégées constituent de graves violations des Conventions de Genève[2], avec des responsabilités spécifiques pour les États tiers en vertu du droit international (voir CG IV, articles 146 et 147).
Outre les démolitions, d’autres pratiques illégales entraînent des transferts forcés, et nous exhortons l’UE à traiter ces transferts en tant que tels. La révocation des droits de résidence des Palestiniens de Jérusalem, le transfert planifié des communautés bédouines de la périphérie de Jérusalem et les expulsions ont été reconnus par le Secrétaire général de l’ONU(doc. ONU A/67/372, paragraphe 55) comme donnant lieu à des transferts forcés.
Le bouclage de la bande de Gaza constitue lui aussi une violation du DHI. Le CICR et l’ONU dans ses plus hautes sphères ont qualifié ce bouclage de punition collective, en violation de l’article 33 de la CG IV.
Les organisations signataires du présent document se félicitent que le rapport de 2013, en plus de qualifier les colonies d’obstacles à la paix, insiste également sur leur illégalité en vertu du droit international. L’UE devrait également préciser que les colonies constituent une violation de l’article 49 de la quatrième Convention de Genève et que l’appropriation de biens non justifiée par des nécessités militaires et exécutée sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire représente également une grave violation de la quatrième Convention de Genève (article 147).
Violations du DIH/DIDH au cours des opérations militaires : Plusieurs ONG de défense des droits de l’Homme, ainsi que le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme (HCNUDH), le CICR et l’UNRWA, ont fait citer de nombreux exemples de violations potentielles du DHI et du DIDH, dont des crimes de guerre présumés par les forces d’Israël pendant l’opération militaire israélienne de 51 jours dans la bande de Gaza et lors de son opération militaire à grande échelle en Cisjordanie (dont le nom de code était Gardiens de nos frères). Ces violations présumées, dont des attaques aveugles contre des civils, le recours disproportionné à la force, la prise pour cible délibérée de civils et de biens à caractère civil et le recours à la punition collective, devraient être abordées dans le prochain rapport de suivi de la PEV en ce qui concerne le respect du DHI et du DIDH[3].
3. Définir des actions prioritaires spécifiques concernant les obligations d’Israël en tant que puissance occupante
Les organisations signataires du présent document saluent la recommandation spécifique de l’UE à Israël de garantir le respect du droit international et des droits de l’Homme dans le TPO, en intensifiant notamment les efforts de lutte contre la violence des colons et en minimisant le recours à la détention administrative sans procès. Ces déclarations constituent une étape importante dans la promotion du respect par Israël de ses obligations en tant que puissance occupante et nous encourageons la réalisation d’une évaluation de suivi de la mise en œuvre de ces recommandations.
En outre, l’UE devrait identifier des actions spécifiques quant à l’obligation d’Israël de mener des enquêtes indépendantes, transparentes, impartiales, efficaces et rapides sur les violations présumées du DIH, du DIDH et du droit pénal international (DPI), de poursuivre les responsables de ces violations, de garantir l’accès à la justice et à des voies de recours pour les victimes palestiniennes, ainsi que de mettre un terme aux violations actuelles du DHI, du DIDH et du DPI dans le TPO.
4. Évaluer tous les critères de solidité de la démocratie pertinents, y compris l’État de droit
Les organisations signataires du présent document se félicitent que le rapport de suivi de la PEV 2013 mentionne la nécessité d’« accroître la transparence et la responsabilité des services de sécurité vis-à-vis de la population », comme l’avaient recommandé les auteurs de la deuxième partie du rapport de la Commission Turkel. Nous sommes également satisfaites que l’UE ait mentionné le manque d’enquêtes sur les plaintes pour torture et autres mauvais traitements. Cette déclaration constitue une étape importante vers la réalisation d’une évaluation plus complète du respect de l’État de droit en Israël, l’un des « critères de solidité de la démocratie » de l’UE repris dans la communication conjointe de la Commission européenne et du SEAE, intitulée « Une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation ». Les organisations signataires du présent document déplorent toutefois qu’aucune recommandation concrète n’ait été formulée en ce qui concerne l’État de droit en Israël.
Comme les années précédentes, des violations systématiques et à grande échelle du droit international ont été commises en Israël et dans le TPO en 2014 (dont certaines sont mentionnées ci-dessus ou dans les contributions soumises par des ONG palestiniennes et israéliennes reprises à la fin de la présente contribution). Ces violations s’accompagnent d’un respect toujours moindre de l’État de droit. La détérioration de la situation est caractérisée par le manque d’enquêtes menées dans le respect des normes internationales sur les violations du DHI, du DIDH et du DPI par les forces militaires israéliennes dans le TPO ; l’absence de poursuites contre les individus responsables de ces violations ; une impunité totale pour les actes de torture ; un accès à la justice et aux voies de recours limité par des restrictions d’ordre juridique, administratif, financier et physique[4] ; des décisions de justice ne respectant ou ne promouvant pas les protections prévues dans le droit international ; et le manque d’application des décisions de justice.
Plus d’un an et demi après sa publication, Israël n’a toujours pas mis en œuvre les recommandations du rapport de la Commission Turkel et n’a toujours pas résolu les graves problèmes structurels qui entravent ses mécanismes d’enquête. Au vu de l’absence de mise en œuvre de ces recommandations, des organisations israéliennes de défense des droits de l’Homme, à savoir B’Tselem et Yesh Din, sont arrivées à la conclusion le 4 septembre 2014 que les autorités israéliennes ne souhaitaient pas enquêter sur les violations des droits de l’Homme commises par les forces de sécurité contre des Palestiniens. Il convient toutefois de noter que même si la mise en œuvre des recommandations du deuxième rapport de la Commission Turkel permettait d’améliorer le respect des normes internationales, elle serait insuffisante pour assurer la conformité totale d’Israël aux normes internationales d’enquête, de poursuite et de condamnation.
En plus de ces problèmes structurels, le prochain rapport devrait aborder le non-respect par Israël des autres critères de solidité de la démocratie définis par l’UE, dont la liberté d’association, d’expression et de réunion. En raison des opérations militaires majeures menées en 2014, des pressions croissantes ont été exercées sur les droits des citoyens arabes palestiniens d’Israël,[5] y compris les communautés bédouines, qui, victimes d’arrestations à grande échelle et de mesures punitives, sont confrontés à des restrictions inutiles de leur liberté d’association, d’expression et de réunion. Les citoyens arabes palestiniens sont par ailleurs victimes de l’incitation à la haine et d’une législation discriminatoire, notamment dans le domaine des droits fonciers, au logement à l’aménagement. Dans le même temps, des ONG actives en Israël sont confrontées à des obstacles toujours plus importants dans leur travail, au vu notamment de la législation en instance visant à fortement taxer les subventions issues de gouvernements étrangers.
Les problèmes susmentionnés devraient être abordés dans le rapport de suivi 2014.
5. Souligner que le développement des relations bilatérales entre l’UE et Israël devrait reposer sur les « valeurs partagées » des deux parties
L’UE devrait rappeler à Israël que le développement de leurs relations bilatérales devrait reposer sur les valeurs partagées des deux parties, dont la démocratie, le respect des droits de l’Homme, de l’État de droit et du droit humanitaire international, comme le confirme la déclaration prononcée par l’UE en 2009 à l’issue du 9e Conseil d’association UE-Israël.
Les éléments susmentionnés, dont la nécessité de réaliser une évaluation complète des violations du DIDH, du DHI et du DPI par Israël dans le TPO, devraient également être abordés lors de la prochaine réunion du groupe de travail informel UE-Israël sur les droits de l’Homme, conformément aux lignes directrices de l’UE sur la promotion du droit humanitaire international.
En plus de ces différents points, APRODEV, la CIDSE et le REMDH souhaiteraient mettre en exergue les contributions suivantes issues d’ONG israéliennes et palestiniennes :
- Contribution d’Al-Haq soumise à l’UE dans le cadre de son rapport de suivi de la PEV 2014 sur Israël.
- Contribution d’Adalah (Centre juridique pour les droits des minorités arabes en Israël) dans le cadre du rapport de suivi de la PEV sur Israël.
- Contribution conjointe d’Adalah, Al Mezan et PHR-I sur la torture, les mauvais traitements et l’imputabilité dans le cadre de la PEV.
[1] L’exception à cette interdiction, à savoir « dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires » (CG IV, article 53), ne peut être invoquée pour justifier la destruction de biens à des fins administratives ou punitives, sachant que la plupart des démolitions dans le TPO sont effectuées pour ces motifs.
[2] La destruction illégale de biens privés et le transfert illégal de personnes protégées s’apparentent également à un crime de guerre en vertu du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
[3] Pour de plus amples informations sur les violations présumées du DIH et du DIDH commises lors de ces opérations militaires, veuillez cliquer ici, ici, ici et ici.