La notion de « soins mutuels » (care) est centrale dans la manière dont fonctionnent nos sociétés, dans la région euro-méditerranéenne comme ailleurs. Cette notion couvre un large éventail d’activités parmi lesquels l’éducation, les soins de santé, la puériculture, les soins gériatriques et les soins domestiques. Ces soins requièrent un travail à la fois physique et émotionnel d’une personne fournissant un service à une autre lorsque cela s’avère nécessaire, permettant ainsi au bénéficiaire de fonctionner physiquement, mentalement et émotionnellement.
Ce travail s’effectue dans trois lieux différents : le foyer, le secteur privé et le secteur public. Le foyer reste le plus important fournisseur de soins ; un travail qui repose de facto sur les femmes. Ce travail domestique est rarement reconnu et rémunéré. C’est ainsi que les soins mutuels domestiques non rémunérés ne sont pas pris en compte dans le calcul du produit intérieur brut (PIB) alors qu’au niveau mondial, ce secteur représenterait environ 10,8 trillions de dollars par an.
Cet état de fait soulève la question suivante : qui veille ? Ce travail de soin, rémunéré ou non, est fortement genré et de loin réalisé par des femmes : 70% des professionnelles de santé sont des femmes. Elles fournissent en moyenne 4,1 heures de travail domestique de plus que les hommes, représentent 68% des professionnelles de l’éducation dans le monde et 88% des préposé.e.s aux soins domestiques.
S’agissant de ces soins mutuels, on constate une forte dynamique Sud – Nord. Ce « double fardeau » pose un dilemme aux femmes : soit trouver un emploi qui soit assez rémunérateur pour payer le personnel soignant, soit rester à la maison. La première option n‘est envisageable que pour les femmes venant de classes sociales privilégiées, au Sud comme au Nord. Ce dilemme domine le secteur privé des soins mais également les budgets publics : les soins étant coûteux, les fournisseurs tentent de diminuer les coûts en embauchant des femmes qui se trouvent dans des situations précaires, souvent des personnes migrantes.
La crise économique et sociale liée à la pandémie de COVID-19 a révélé l’importance des soins mutuels pour la durabilité économique, sociale et même psychologique de nos sociétés. Elle a également brutalement exposé la vulnérabilité de certain.e.s travailleurs.euses. Ces effets se sont révélés évidents lorsque des pays comme l’Autriche ou l’Allemagne ont fait face à une pénurie de personnel soignant, forcé de rester dans leur pays d’origine. Au Liban, des migrantes assurant des soins domestiques furent licenciées alors que la peur de la crise économique se précisait.
La crise actuelle nous offre une opportunité rare de défier l’injustice qui règne actuellement dans un secteur des soins sous–considéré, invisible et précaire. La pandémie offre la possibilité de redistribuer ce travail, d’une absence de rémunération vers la rémunération (en parvenant à un équilibre pour éviter de renforcer les inégalités raciales et de classe), du marché vers l’Etat et des femmes vers les hommes.
“Qui veille durant la pandémie ?” sera le sujet de discussion du quatrième webinaire d’EuroMed Droits le 24 juin prochain à 17h00 CET. Ce webinaire sera en anglais et en arabe. Pour en savoir plus, veuillez consulter notre site internet.