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Kamel Jendoubi speaking at a EuroMed Rights conference

« Quel chemin parcouru depuis la création du réseau en 1997 ! »

En 2022, EuroMed Droits célèbre son 25ème anniversaire ! Pour marquer cette étape importante, nous avons demandé à des membres  de nous dire ce que cela représentait pour eux et leur organisation.

Après la révolution de 2011, Kamel Jendoubi est retourné en Tunisie, au terme de 16 années d’exil en France. Il a ensuite été élu président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections, qui est responsable de l’organisation et de la supervision des élections et des référendums en Tunisie. En  2015 et en  2016, il a occupé le poste de ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l’Homme. De 2017 à 2021, Kamel Jendoubi a pris la tête du groupe d’experts des Nations Unies mandaté pour enquêter sur les violations des droits humains commises au Yémen.   

« Je suis honoré de célébrer le 25ème anniversaire d’EuroMed Droits. Quel chemin parcouru depuis la création du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme en 1997 ! Après la mise en place du partenariat euro-méditerranéen, les architectes du réseau estimaient que la création d’une sorte de plateforme qui réunirait les sociétés civiles du sud et du nord de la Méditerranée afin de suivre les progrès accomplis sur la voie de la réalisation des objectifs du processus de Barcelone permettrait d’améliorer considérablement l’action en faveur des droits humains. 

Comment l’idée du réseau est-elle née ? 

L’idée de créer un réseau d’ONG est apparue assez rapidement et la première assemblée a eu lieu à Copenhague en 1997, avec l’objectif de mettre en place une interface Nord-Sud ainsi qu’un forum avec des acteurs de la société civile régionale pour œuvrer en faveur des droits humains et examiner des problématiques transversales et propres à la région. Bien entendu, il y avait certaines tensions à cette époque puisque les situations du « Nord libéral » et du « Sud répressif » étaient évidemment très différentes. La question de la Palestine se trouvait aussi au centre de l’équation régionale : nous étions encore enthousiasmés par les accords d’Oslo et nous nous dirigions vers la construction d’un État palestinien, et il était évident alors que le réseau EuroMed Droits devait en faire une priorité de travail. 

Pour ce qui est de la méthodologie, nous avions défini trois grands axes de travail : les priorités thématiques (droits des femmes, migration, justice, liberté d’association et de réunion pacifique/société civile et groupe de travail sur Israël/Palestine), les priorités nationales (les « pays fermés » où la société civile était complètement étouffée, les « pays semi-fermés » où il était possible de travailler dans des conditions difficiles et les « pays ouverts », à savoir la Jordanie et le Maroc, où EuroMed Droits a ouvert des programmes nationaux, respectivement sur les femmes et la migration), et les priorités régionales en vue d’assurer le suivi des forums civils organisés dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen, d’encourager la création de partenariats avec des ONG internationales et des syndicats et de mener des activités de plaidoyer auprès de l’UE avec l’ouverture d’un bureau à Bruxelles.  

Quelle était votre vision en tant que président ? 

J’ai été élu président du Comité exécutif en 2004, près de dix ans après le lancement du processus de Barcelone. À cause des attentats du 11 septembre 2001, les priorités mondiales avaient basculé vers la lutte contre le terrorisme, ce qui a entraîné des répercussions terribles sur les libertés fondamentales ainsi que sur les défenseurs et défenseuses des droits humains, en particulier dans le monde arabe. La nécessité d’offrir une meilleure protection aux défenseurs et défenseuses des droits humains est ainsi devenue une priorité fondamentale de mon mandat. Comment pouvions-nous mieux soutenir ces personnes qui agissaient déjà en milieu hostile, dans des conditions extrêmement difficiles ? Comment pouvions-nous les aider à collecter des fonds quand bien même elles n’avaient aucun statut juridique ? Nous avons eu l’idée de créer la Fondation euro-méditerranéenne de soutien aux défenseurs des droits de l’Homme à Copenhague, qui existe encore aujourd’hui et qui opère de manière indépendante.  

Lorsque la révolution a éclaté en Tunisie fin 2010, j’étais président honoraire d’EuroMed Droits, mais toujours très impliqué une fois de retour dans mon pays après 16 ans d’exil.  

Quelle était la situation en Tunisie à votre retour ?  

À l’époque, toute la question était à nouveau de savoir « comment soutenir et accompagner au mieux les acteurs de la société civile » après le renversement du régime de Ben Ali. Nous avons effectué un travail expérimental en quelque sorte, en créant un bureau servant d’interface entre les organisations de la société civile (OSC) tunisienne, EuroMed Droits et les institutions européennes. Nous n’avions aucun programme particulier au début, mais nous insistions dans le sens d’une dynamique associative inclusive qui intégrait des thèmes transversaux et les besoins locaux des membres et des non-membres.  

En 2015, lorsque j’étais ministre chargé des relations avec la société civile, le concept d’un dialogue tripartite entre EuroMed Droits, les OSC, la Tunisie et l’UE a été approfondi et c’était fantastique de voir à quel point EuroMed Droits et son réseau d’organisations locales étaient devenus des partenaires et des acteurs de premier plan dans les relations entre la Tunisie et l’UE.  

La situation de cette région ne s’est toutefois pas améliorée… 

La dimension européenne a énormément évolué au fil des ans : le passage de l’UE de 15 à 27 États membres, la lutte contre le terrorisme, le problème de la migration et la non-résolution du conflit israélo-palestinien ont bloqué le partenariat. L’Union pour la Méditerranée l’a ensuite enterré en mettant principalement l’accent sur le commerce, la sécurité et la migration… La belle et généreuse idée du processus de Barcelone a disparu. La politique européenne de voisinage a fortement affaibli la dimension régionale, les frontières sont désormais fermées et la Méditerranée s’est transformée en cimetière.  

Notre action devrait toujours être évaluée en fonction des politiques institutionnelles, qui sont régies par les préoccupations des pays et, de mon point de vue, les grandes priorités de travail d’EuroMed Droits, comme la liberté d’association et de réunion, les droits des femmes et la migration, demeurent importantes et doivent être poursuivies, d’autant plus que tout ce travail a fait émerger de nouvelles thématiques telles que l’égalité entre les femmes et les hommes, les libertés individuelles, etc. et a permis de produire une littérature abondante sur laquelle s’appuyer.  

Pour ce qui est de la solidarité et du soutien, il va sans dire que les membres et partenaires de Syrie, d’Égypte ou d’Algérie ont plus que jamais besoin de plateformes telles que le réseau d’EuroMed Droits ! » 

Kamel Jendoubi (Tunisie), ancien président d’EuroMed Droits et président honoraire