Alors que l’UE et la Tunisie lancent les pourparlers sur un « pacte mobilité » le 6 décembre 2012 à Tunis, Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH), la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), l’Association européenne de défense des droits de l’Homme (AEDH), l’organisation Migreurop et le Centre de Tunis pour la migration et l’asile (CeTuMA) appellent l’Union Européenne et les autorités tunisiennes à s’assurer que tous les accords relatifs au partenariat sur les migrations soient conclus uniquement sur la base préalable d’une garantie absolue du respect des droits des migrants, réfugiés, et demandeurs d’asile.
Nos organisations s’inquiètent en effet de la volonté affichée de conclure dès que possible un accord sur les migrations alors que les droits des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile ne sont pas actuellement respectés en Tunisie en raison de l’absence totale d’un système d’asile et de garantie de non-refoulement ainsi que d’un système garantissant les droits des étrangers sur le territoire tunisien.
Dans ce sens, le REMDH, la FIDH, le FTDES, l’AEDH, Migreurop et le CeTuMA demandent à l’UE de traduire en actions concrètes la place désormais attribuée à la promotion et au respect des droits de l’Homme dans sa nouvelle politique de voisinage en matière de migration et sa volonté affirmée de favoriser la libre de circulation des ressortissants des pays partenaires. C’est maintenant plus que jamais que l’UE doit réviser sa politique migratoire.
Celle-ci peut et doit devenir un instrument d’appui aux transitions démocratiques en cours. Il est ainsi urgent de favoriser, réellement et sans conditions préalables, la liberté de circulation de tous.
Enfin, et face à l’enjeu des négociations sur la mobilité, nos organisations appellent les autorités européennes et tunisiennes à adopter une approche transparente et participative et à consulter la société civile européenne et tunisienne dans le cadre de ces négociations. Les deux autorités doivent également démontrer un engagement réel pour la promotion et le respect des droits de l’Homme et ne signer aucun accord avant qu’il ne soit révisé afin de garantir une réelle « mobilité » pour les populations du sud et des garanties concrètes pour le respect des droits des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile.
Contexte
Depuis octobre 2011, l’Union européenne s’est engagée dans des négociations d’un « partenariat pour la mobilité » avec la Tunisie. Ce partenariat exigerait de la part de la Tunisie un engagement réel sur la « gestion intégrée » des frontières, des flux migratoires et la réadmission des migrants en situation irrégulière provenant et/ou supposés avoir transité par la Tunisie – incluant ceux de pays tiers. Ceci malgré le fait que l’émigration irrégulière soit pénalisée en Tunisie en contradiction avec le Pacte international des Nations unies sur les droits civils et politiques, ce qui expose les ressortissants tunisiens et ceux des pays tiers à un risque d’être criminalisés, pénalisés ou expulsés une fois réadmis. En contrepartie, l’Union Européenne proposerait à la Tunisie de bénéficier d’un éventuel assouplissement des formalités d’octroi des visas de court séjour et de l’accès à de nouveaux canaux de migration de travail répondant aux besoins identifiés par les États membres.
Le REMDH, le FIDH, le FTDES, l’AEDH, Migreurop et le CeTuMA observent que ladite « mobilité » qu’offrirait l’UE, dans le cadre de ce nouvel accord, reste extrêmement limitée vue que la facilitation des procédures d’obtention de visa et les possibilités d’emploi en Europe, dont jouirait éventuellement la Tunisie, ne cibleraient qu’une partie limitée de la population tunisienne et ne représente en aucun cas une ouverture réelle du côté européen susceptible de répondre à la demande des Tunisiens, en l’occurrence en matière de regroupement familial.
En fait, la mobilité ne représente qu’une partie accessoire de cet accord qui met l’accent sur une approche sécuritaire et la collaboration de la Tunisie avec l’agence Frontex dans le contrôle des frontières et la migration clandestine sans aucune considération des causes de ces flux, ni des droits des migrants.
Dans ce contexte et lors de sa dernière visite en Tunisie, du 3 au 8 juin 2012, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme des migrants, François Crépeau, a appelé l’Union européenne « à aller au-delà des questions de sécurité et de son discours de contrôle des frontières et de développer le partenariat sur les migrations et la mobilité, actuellement en négociation avec la Tunisie, en se concentrant davantage sur le respect, la protection et la promotion des droits de l’Homme des migrants».
En conséquence, nos organisations demandent :
A la Tunisie :
– L’ouverture d’une consultation des élus et de la société civile tunisienne concernant la politique migratoire de la Tunisie et ses accords internationaux sur le sujet.
– L’établissement d’une loi d’asile et de législations sur la migration qui garantissent, en accord avec les conventions internationales ratifiés par la Tunisie, les droits des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile. Un moratoire sur toutes les négociations et sur l’application de tous les accords migratoires avec l’Union européenne qui contribuent à des violations des droits des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile et qui sont en contradiction avec les conventions internationales ratifiées par la Tunisie et les Etats membres de l’Union européenne,
– Le refus des expulsions depuis l’Europe vers son territoire et l’opposition à la détention des migrants dans l’Union Européenne et en Tunisie .
– L’abrogation de la loi de 2004 qui criminalise les migrants en désaccord avec les conventions internationales.
– La ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.
– La dépénalisation de l’entrée et le séjour non-autorisés.
A l’Union Européenne et à ses États membres :
– L’arrêt de sa politique d’externalisation des frontières et une réforme de son approche sécuritaire de gestion des flux migratoires.
– La suspension des négociations concernant la migration avec la Tunisie jusqu’à ce que ce pays se dote d’une législation sur la migration pleinement respectueuse des normes posées par les conventions internationales sur les droits des migrants, demandeurs d’asile et réfugiés
– L’exclusion de la clause de réadmission de tout partenariat et accord signé avec la Tunisie étant donné les multiples violations des droits de migrants et demandeurs d’asile qui ont lieu dans la mise en œuvre de la procédure de réadmission, la pénalisation de l’entrée et sortie irrégulière en Tunisie et le risque de refoulement en chaine ou d’expulsions pour les citoyens de pays tiers. Le développement d’une coopération basée sur une mise en œuvre concrète de l’approche « donner plus pour recevoir plus » servant à soutenir le progrès démocratique et à renforcer le respect pour les droits de l’Homme, et en particulier, les droits des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile dans les Etats tiers.
– Une vraie mobilité pour les citoyens tunisiens qui ne soit pas réservée aux personnes hautement qualifiées.
– La ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.