En mai 2021, le Maroc a fermé les yeux sur le passage, en 48 heures, de près de 10.000 personnes vers l’enclave espagnole de Ceuta. Cette décision a enflammé encore davantage la crise diplomatique entre les deux pays. La migration est de plus en plus utilisée par les gouvernements de la région MENA pour instrumentaliser les politiques étrangères des Etats membres de l’UE.
Cette approche de la coopération bilatérale et multilatérale, basée sur le « chantage », est à la source des politiques d’externalisation et de conditionnalité mises en place par l’UE et ses Etats membres. En utilisant les personnes migrantes et réfugiées comme des « pions » dans un jeu politique, les pays d’origine et de transit négocient des bénéfices économiques et géopolitiques avec l’UE et les Etats membres sans s’inquiéter de la perte de vies humaines, ni des violations des droits fondamentaux.
Cette logique de conditionnalité a été façonnée par des budgets structurés autour de la dimension externe de la migration : depuis 2015, le Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE (EUTF) et l’Instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI-Global Europe, mis en place à partir de 2021) incitent les pays africains à instrumentaliser les départs des personnes migrantes en fonction de leurs propres intérêts.
Une approche similaire partout en Méditerranée
Suite aux arrivées massives survenues dans les Iles Canaries depuis août 2020 (ainsi que la hausse du nombre de décès), le Maroc a demandé davantage de fonds de la part de l’UE pour la gestion aux frontières. En effet, la coopération euro-marocaine sur la migration se concentre de manière disproportionnée sur la gestion aux frontières et la lutte contre l’immigration irrégulière, au lieu de promouvoir les droits humains et les mesures de protection. Pour donner un exemple, sur les 238 millions d’euros du Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique au Maroc, 190 millions sont alloués à des projets de contrôle aux frontières alors que seuls 28,3 millions sont dédiés à des programmes liés à la protection des migrant.e.s et de leurs droits.
Depuis 2016, la Turquie a reçu 6 milliards d’euros via la Facilité de l’UE en faveur des réfugiés en Turquie, mais néanmoins elle menace régulièrement l’UE d’utiliser les personnes migrantes comme levier pour obtenir davantage de soutien européen.
Il en va de même en Libye où l’Italie a fourni des financements, des formations et des équipements aux « garde-côtes libyens » afin qu’ils empêchent les départs, interceptent les migrant.e.s en mer et les renvoient. Comme le souligne le Pacte européen pour la migration, l’UE prévoit également d’utiliser la nouvelle Facilité européenne pour la paix afin de fournir davantage d’équipements, notamment des patrouilleurs et des avions, aux « garde-côtes libyens ». Ces décisions ont entraîné plus de 12.000 refoulements par procuration depuis le début 2021, attestant ainsi d’une volonté des autorités libyennes d’être reconnues comme un acteur majeur face à la situation difficile en mer Méditerranée.
Il est temps que l’UE et les Etats membres cessent d’externaliser leurs responsabilités en matière de protection et cessent d’imposer une approche basée sur la conditionnalité qui force les personnes migrantes à risquer leur vie dans des voyages dangereux par voie maritime ou terrestre.