La visite du Président Al-Sisi à Bruxelles pour le sommet Union européenne-Union africaine des 17 et 18 février derniers lui a donné l’occasion de rencontrer des Chefs d’État européens et des représentants de l’UE.
EuroMed Droits, ainsi que de nombreuses autres ONG, avaient exprimé leur inquiétude liée au détournement de regard face aux politiques répressives du gouvernement d’Al-Sisi. Malgré le tollé provoqué et les appels à ne pas dérouler le tapis rouge au Président Al-Sisi, celui-ci a été félicité pour son rôle dans le maintien de la stabilité dans la région et son importance dans la lutte contre « l’immigration illégale », l’extrémisme et le terrorisme. Dans le même temps, l’Égypte se prépare à accueillir la conférence annuelle des parties sur le changement climatique (COP 27) en novembre 2022. Les inquiétudes concernant le régime autoritaire égyptien, la répression de la société civile et la crise des droits humains qui se déroule dans le pays ne semblent pas figurer en bonne place dans certains agendas.
Des déclarations décevantes de l’UE
EuroMed Droits et d’autres ONG ont demandé à plusieurs reprises à l’UE et à ses États membres d’entreprendre un examen complet de leurs relations avec l’Égypte. Et pourtant la présidente nouvellement élue du Parlement européen, Roberta Metsola, semble avoir abordé les droits humains de manière plutôt timide, malgré les appels forts énoncés dans les résolutions d’urgence du Parlement européen sur l’Égypte en 2019 et 2020.
Une fois de plus, les déclarations qui ont suivi les réunions avec le Président al-Sisi ont été décevantes car aucune position claire et publique n’a été prise sur la répression sans précédent que le gouvernement exerce sur les droits humains. Cette position est contre-productive car elle renforce le sentiment d’impunité dont bénéficient déjà les auteurs de violations des droits humains en Égypte. La déclaration commune lors de la 46e session du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU en mars 2021, lors de laquelle 32 États ont exprimé « leur profonde inquiétude quant à la situation des droits humains dans le pays », notamment en ce qui concerne « l’application de la législation sur le terrorisme à l’encontre des militant.e.s des droits humains, des personnes LGBTI, des journalistes, des hommes politiques et des avocat.e.s », devrait montrer la voie à suivre, y compris en termes de diplomatie publique.
Il est temps que l’UE corrige son positionnement
Le traitement spécial que l’UE accorde à l’Égypte est évident. La preuve principale en est la soumission consternante par l’UE d’une candidature commune à la coprésidence du Forum mondial de lutte contre le terrorisme avec l’Égypte, et ce, bien que d’éminent.e.s défenseur.e.s des droits humains soient considérés comme des terroristes et soient persécutés pour leur travail en faveur des droits humains en vertu de la législation antiterroriste. Les tendances et les signes venant du terrain sont inquiétants. Et bien qu’identifiés par les organisations de la société civile égyptienne, ces signes sont ignorés, à l’instar de la loi sur les ONG qui a contraint l’ANHRI à suspendre ses activités en janvier dernier. Il en va de même pour les représailles, le harcèlement, la détention arbitraire et les procédures judiciaires inéquitables documentés à l’encontre de plusieurs défenseur.e.s des droits humains, dont les avocats Ibrahim Metwally Hegazy et Mohamed El-Baqer.
Lorsqu’il s’agit de l’Égypte, il semble que le principe européen de partenariat guidé par des engagements communs en matière de droits humains s’efface au nom d’une « paix et d’une stabilité » à courte vue. Cette dangereuse dichotomie permet au gouvernement d’al-Sisi de poursuivre sa répression des droits humains en toute impunité, nourrissant ainsi l’instabilité.
Si l’UE et ses États membres souhaitent réellement la paix, la stabilité et la prospérité, il est grand temps qu’ils s’attaquent à la crise des droits humains en Égypte et qu’ils fassent enfin preuve de cohérence politique. Les prochaines Priorités de partenariat devraient être l’occasion d’établir enfin des critères clairs pour mesurer les progrès en matière de droits humains et d’État de droit dans le pays. Et les États membres de l’UE devraient soutenir la mise en place d’un mécanisme de surveillance et de rapportage des Nations unies sur l’Égypte lors de la prochaine session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, afin de garantir que les responsables de ces années de répression brutale rendent des comptes.
Selma Rekik, Chargée de programme, Unité Moyen-Orient d’EuroMed Droits