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Lettre en réaction aux conclusions du Conseil des Affaires Etrangères de l’UE

Chers Représentants de l’UE et des Etats Membres de l’UE,

Le REMDH souhaite vous faire part de ses profondes préoccupations quant aux conclusions extrêmement problématiques du Conseil des affaires étrangères de l’UE publiées le 22 juillet 2014 et quant à la position préjudiciable de l’UE et de ses États membres en ce qui concerne les hostilités actuelles entre Israël et les Territoires Palestiniens Occupés (TPO).

Alors que les violences reprennent pour la 32ème journée d’opération militaire d’Israël à Gaza, les violations du droit international humanitaire (DIH) et des droits de l’Homme (IHRL) restent répandues. Le REMDH s’inquiète vivement des attaques aveugles et disproportionnées, ainsi que de la prise délibérée de civils et de biens à caractère civil pour cibles par les forces militaires israéliennes et les groupes armés palestiniens. Au 5 Août 2014, Al Mezan Center for Human Rights et le Palestinian Center for Human Rights (PCHR) ont dénombré au moins 1 884 décès du côté palestinien. Parmi ces personnes décédées, 1 538 sont des civils, dont 430 enfants et 239 femmes. Au moins 7376 Palestiniens ont été blessés au cours de la même période, dont au moins 2033 enfants et 1 526 femmes.  Du côté israélien, trois civils ont été tués suite à des tirs aveugles de roquettes à partir de Gaza.

Des biens à caractère civil, dont des habitations, des écoles et des hôpitaux, ont été pris pour cibles en violation flagrante du principe de distinction[1] et de proportionnalité[2].  Ce mépris du DHI et du droit à la vie a été manifeste lors des six attaques menées contre les écoles de l’UNRWA – dont l’attaque du 23 juillet à Beit Hanoun , l’attaque israélienne du 30 juillet à Jabalia et l’attaque israélienne du 3 Août près de  l’école de l’UNRWA à Rafah, qui ont entraînées la mort d’au moins 31 civils palestiniens – et lors des diverses attaques menées contre des hôpitaux, dont l’attaque du 28 juillet contre l’hôpital Al Shifa de la ville de Gaza où près de 2 000 Palestiniens ont trouvé refuge. Des obus israéliens ont également frappé les réservoirs de carburant de la seule centrale énergétique de Gaza au cours de la nuit du 28 juillet, menaçant de plonger dans le noir 1,8 million de personnes à Gaza. Des dizaines d’autres infrastructures civiles ont été détruites ou endommagées au cours de la récente escalade de la violence, dont des structures financées par l’UE telles que les hôpitaux ou les écoles de l’UNRWA. L’UE doit exiger des compensations pour ces destructions.

La prise intentionnelle pour cibles de civils et de biens à caractère civil palestiniens peut s’apparenter à un crime de guerre. Il a en effet été confirmé par la Haut-commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU qu’il existait une forte probabilité que les actions des forces armées israéliennes puissent s’apparenter à des crimes de guerre.

Les violations commises par Israël à la fois dans le cadre des hostilités en cours dans la bande de Gaza et pendant l’opération militaire israélienne menée en Cisjordanie, dont le nom de code est « Gardien de nos frères », sont représentatives des 47 années d’occupation par Israël. Depuis le début de l’occupation, une culture de l’impunité profondément ancrée prévaut en Israël et l’UE, à maintes reprises, n’est pas parvenue à faire valoir la justice et le droit international par le biais de ses relations avec Israël.

Dans les dernières conclusions du Conseil des affaires étrangères de l’UE, tout comme dans la déclaration conjointe au nom de l’UE du 3 Août 2014 et dans la résolution du Parlement européen du 17 juillet 2014, l’UE et ses États membres se sont à nouveau abstenus d’identifier et de condamner clairement les violations du droit international commises par Israël. Condamnant fermement les tirs aveugles de roquettes vers Israël par le Hamas et d’autres groupes militants, ils n’ont pas su  condamner les attaques aveugles et disproportionnées d’Israël avec la même fermeté. Pire encore, l’UE n’a pas explicitement reconnu que les actions d’Israël blessaient et tuaient directement des civils palestiniens. Ce mépris des violations du droit international commises par Israël a été renforcé par la référence juridiquement erronée du « droit de légitime défense » d’Israël ; un droit auquel Israël ne peut prétendre dans la mesure où les hostilités ont éclaté dans le contexte d’un conflit armé déjà en cours et dans le cadre de l’occupation[3].

L’UE et ses États membres se sont également abstenus d’appeler à la conduite d’enquêtes ou au renvoi devant la justice des individus s’étant rendus coupables de violations du droit international. Dans le même temps le 23 juillet, aucun État membre de l’UE n’a voté en faveur de l’envoi d’une commission d’enquête mandatée par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU pour enquêter sur les violations du droit international. Ce vote rappelle malheureusement les positions des gouvernements de l’UE concernant la mise en place d’une mission d’enquête de l’ONU en 2009, ainsi que leur position sur les recommandations de cette même commission dans le sillage de l’opération Plomb Durci. L’UE et ses États membres doivent exiger la tenue d’enquêtes sur toutes les violations du droit international, y compris, mais pas uniquement, celles qui s’apparentent à un non-respect du caractère inviolable des locaux de l’ONU.

En plus de leur silence et de leur refus d’encourager le renvoi des coupables devant la justice, dans les conclusions du Conseil, l’UE et ses États membres découragent activement les Palestiniens à demander justice devant la Cour pénale internationale. Cette attitude est contraire aux principes censés étayer la politique extérieure de l’UE et à sa position commune sur la CPI.

Enfin, les conditions proposées dans les conclusions pour la reprise des négociations de paix ne respectent pas le droit international, dans la mesure l’UE et ses États membres se disent disposés à soutenir des échanges de terres et à reconnaître des modifications des frontières de 1967, tout en insinuant qu’une solution juste à la question des réfugiés est irréaliste. Cette attitude revient à nier la position centrale du respect du droit international dans la résolution de ce conflit, mais également des autres conflits. L’appel de l’UE au désarmement de toutes le parties à Gaza  plutôt qu’au respect du droit international est de plus irréaliste et peu constructif.

L’UE tente depuis des années d’établir la paix au Moyen-Orient à l’aide d’un cadre dans lequel le respect du droit international est mis de côté pour permettre la poursuite de vaines négociations de paix. Une paix durable ne sera pourtant possible que dans le respect du DHI et du DIDH conformément Cadre Stratégique de l’UE sur les droits de l’Homme et la Démocratie.

L’histoire a démontré que le silence assourdissant de l’UE ne faisait qu’encourager davantage les parties concernées à commettre des actes répréhensibles en validant leurs crimes et en autorisant leur répétition. En effet, six ans après l’opération Plomb Durci et deux ans après l’opération Pilier de Défense, Israël n’a toujours pas mené de réelles enquêtes ou poursuivi les membres de ses forces armées ayant enfreint le droit international. Aujourd’hui, des violations tout aussi graves, si ce n’est plus, sont commises lors de cette opération. Pour ne pas être considérée comme une complice de ces actes, l’UE doit agir. Au regard la situation désastreuse sur le terrain, il est temps pour l’UE de reconsidérer la pleine application de l’article 2 de l’Accord d’Association UE-Israel, dont notamment la clause de non-exécution qui prévoit des sanctions ou la suspension de l’accord.

Comme le stipule l’article 21 du traité de Lisbonne stipule, l’action de l’UE sur la scène internationale doit être guidée par les principes qui ont inspiré sa création, dont l’État de droit, les droits de l’Homme et le respect du droit international. De plus, en tant que Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève, les États membres de l’UE sont tenus de respecter le droit humanitaire international et de s’assurer que les autres États en font autant. À cet égard, l’UE s’est engagée à faire respecter le DHI par les États tiers dans ses lignes directrices concernant la promotion du droit humanitaire international. Ces principes doivent être constamment respectés, indépendamment du contexte politique.

Le REMDH déplore que les positions récemment adoptées par l’UE et ses États membres illustrent de nouveau leur politique de deux poids deux mesures eu égard au conflit en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, ce qui porte gravement atteinte à leur crédibilité sur la scène internationale.

[1] Le principe de distinction exige de toutes les parties qu’elles opèrent une distinction entre les civils et les combattants, ainsi qu’entre les biens à caractère civil et militaire.

[2] Le principe de proportionnalité interdit de lancer une attaque dont on peut attendre qu’elle cause incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu.

[3] L’attaque militaire israélienne s’inscrit dans le cadre d’un conflit armé déjà en cours et dans le contexte de l’occupation. Israël ne peut donc pas s’appuyer sur le droit à la légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations Unies (jus ad bellum) ; il se doit d’agir dans le respect des lois régissant la conduite des hostilités, à savoir le DHI (qui forme la base du jus in bello). Cela ne signifie pas qu’Israël n’a pas l’obligation de protéger sa propre population civile, mais elle se doit de le faire dans le respect des lois internationales sur la conduite des hostilités.