Paris, le 28 janvier 2019
Alors que débute aujourd’hui la visite officielle d’Emmanuel Macron en Égypte, plusieurs ONG appellent le Président français à dénoncer les atteintes aux droits humains en Égypte. Elles appellent le Président à délivrer un discours fort sur la situation catastrophique des droits humains dans le pays, en demandant notamment la libération de tous les prisonniers injustement détenus. Elles exigent également la suspension de toute vente française d’armes qui pourraient être utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves du droit international relatif aux droits humains et de matériel de surveillance à l’Égypte, celles-ci alimentant la répression implacable de la société civile.
Depuis la dernière visite du Président Al-Sisi en France en octobre 2017, la situation en matière de droits humains n’a cessé de se détériorer en Égypte, troisième client des ventes d’armes françaises. Lors de cette visite, le Président français avait déclaré ne pas avoir de leçons à donner à l’Égypte en matière de droits humains, ce qui a conforté le sentiment d’impunité totale dont jouit Al-Sisi et lui a permis de poursuivre la répression à l’encontre de la société civile.
Pendant ce temps, les ventes d’armes se poursuivent. La négociation de contrats pour trente drones Patroller armés serait en bonne voie, tandis qu’un nouveau contrat pour la fourniture de douze Rafale supplémentaire serait sur le point d’être signé. Ces exportations continuent alors que les violations sont désormais largement documentées. La France devrait mettre en place une politique de « présomption de refus » pour les transferts d’armes destinées à être utilisées par l’armée de l’air égyptienne. Les informations faisant état de raids aériens ayant causé des morts et de graves blessures n’ont pas donné lieu à des enquêtes indépendantes et impartiales. En outre, alors qu’une partie substantielle des livraisons de véhicules blindés sherpa et MIDS destinés à l’armée et livrés en partie entre 2012 et 2014 a été détournée au profit du Ministère de l’intérieur ayant participé à la répression interne, il est impératif que la France suspende tout transfert d’équipement dès lors qu’il existe un risque substantiel ou manifeste qu’ils soient utilisés par les forces de sécurité égyptiennes pour commettre de graves violations des droits humains ou en faciliter la commission ; à défaut de quoi des infractions aux engagements européens de la France sur les exportations d’armes ainsi qu’aux dispositions relatives aux droits humains du Traité sur le commerce des armes risquent de se produire.
Les autorités égyptiennes ont intensifié la vague de répression à l’encontre des voix critiques, mettant en évidence une véritable politique d’éradication de toute opinion divergente. Cette répression a visé un très large éventail de voix libres et indépendantes critiquant le gouvernement, qu’elles soient issues du secteur associatif, de la politique, des médias ou de l’humour. L’Égypte s’est progressivement transformée en prison à ciel ouvert.
La France ne peut ignorer cette situation et doit placer le respect des droits humains et des libertés fondamentales au cœur de son partenariat avec l’Égypte. C’est pourquoi nous appelons le Président Emmanuel Macron à dénoncer clairement les violations des droits humains en Égypte, à appeler à la libération de tous les prisonniers injustement détenus, et de suspendre la livraison d’armes qui pourraient être utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves du droit international relatif aux droits humains et de matériel de surveillance français qui ne font qu’alimenter la répression.
Katia Roux, chargée de plaidoyer, Amnesty International France
« Le régime du président Al-Sisi mène une véritable politique de tolérance zéro à l’égard de toute opinion divergente et intensifie sa répression contre la société civile en toute impunité. Les nouvelles lois sur les médias et la cybercriminalité autorisent la censure à grande échelle de sites internet et des réseaux sociaux, la loi sur les ONG continue de restreindre les activités des associations et les défenseurs des droits humains sont pris pour cibles et persécutés.»
Bahey el din Hassan, directeur du CIHRS
« Depuis que le Président Macron a refusé d’aborder la question des droits humains en Egypte lors de sa dernière rencontre avec Al-Sisi, la situation des droits humains a continué de se détériorer pour atteindre des niveaux inégalés. Je m’inquiète des perspectives d’une détérioration encore plus brutale après cette nouvelle visite. »
Antoine Madelin, directeur du plaidoyer international à la FIDH
« Les exportations d’armes et de technologies de surveillance, qui servent aujourd’hui à la répression féroce des opposants, doivent être suspendues, en application du Traité sur le Commerce des Armes, dont la France est signataire. Le Parlement français doit enfin jouer son rôle de contre-pouvoir des ventes avalisées par l’exécutif et se saisir de cette question ».
Catherine Teule, vice-présidente d’EuroMed Droits
« C’est un moment sombre pour les droits humains en Égypte, où ceux qui élèvent la voix pour les défendre sont réduits au silence. Prenons le cas d’Amal Fathi, une femme défenseure des droits humains condamnée à deux ans de prison avoir posté une vidéo sur Facebook dénonçant le harcèlement sexuel en Egypte et accusée de terrorisme dans une autre affaire. Elle est actuellement en liberté conditionnelle et soumise à des mesures de probation disproportionnées. D’après ses proches, son état de santé se détériorerait, ce qui rend un possible retour en prison très préoccupant. »
Ahmed Benchemsi, directeur de la communication et plaidoyer pour le Moyen Orient et l’Afrique du Nord, Human Rights Watch
« Tout État a pour obligation de protéger ses citoyens contre les attaques terroristes. Mais jeter d’innombrables dissidents en prison, détruire des milliers de maisons au Sinaï sans indemnisations adéquates, et procéder à des exécutions sommaires, comme le fait l’Égypte au nom de la “lutte anti-terroriste”, est totalement inacceptable. Faire face aux risques sécuritaires ne peut en aucun cas justifier de graves violations des droits humains ; le président Macron devrait garder cela à l’esprit quand il rencontrera le président al-Sisi au Caire. »
Sophie Anmuth, responsable Moyen-Orient à Reporters sans Frontières
« Sous le président Al-Sisi, l’exercice critique du journalisme est considéré comme une menace grave pour la sécurité de l’Etat : au moins 32 journalistes sont en prison en Egypte. Ils travaillaient pour des médias d’opposition bannis par les autorités, ou sur des sujets sensibles, comme l’inflation galopante, les élections ou les opérations antiterroristes. Grâce à une série de rachats agressifs de médias et de changements législatifs, la quasi-totalité des organes de presse sont désormais aux ordres du pouvoir, contrôlés par l’Etat, les services de renseignements ou quelques riches hommes d’affaires proches du régime. Les médias indépendants ou d’opposition ont été fermés (avec exil forcé ou emprisonnement du rédacteur en chef) ou bloqués en ligne. »
Malik Salemkour, Ligue des Droits de l’Homme
« E. Macron ne peut être complice des exactions parfaitement connues du régime totalitaire du Marechal Al Sissi. Rappeler constamment au respect des droits fondamentaux n’est pas donner des leçons mais c’est défendre le droit international. Se taire discrédite la voix de la France et conforte à chaque fois les dictatures au péril de tous les défenseurs des droits et des libertés des peuples. »
Tony Fortin, chargé d’études à l’Observatoire des armements
« La France qui a co-construit l’appareil de répression d’Al-Sisi à travers la vente de matériel de surveillance et de contrôle des foules poursuit ses ventes d’armes à l’Egypte. Il est indispensable de suspendre tous nos contrats d’armement et de mettre en place une commission parlementaire de contrôle des ventes d’armes, à l’instar du Royaume-Uni, de la Suède et des Pays-Bas. C’est ce que nous attendons de la mission d’information sur le contrôle des ventes d’armes des députés Jacques Maire et Michèle Tabarot à l’Assemblée nationale. »