La récente nomination de Melih Bulu, universitaire turc et partisan du parti au pouvoir (AKP), comme recteur de l‘un des derniers bastions libéraux de la Turquie, l’Université Bogazici, a entraîné des manifestations importantes de la part des étudiant.e.s, mais aussi des professeur.e.s.
Un acte a notamment défrayé la chronique : l’affichage d’un tableau représentant la Kaaba recouverte d’un drapeau LGBTI. Surpris par la détermination et la popularité des manifestations, l’AKP s’est emparé de cette « opportunité » et a massivement diffusé l’image. Le Ministre de l’intérieur, Suleyman Soylu, s’en est même pris aux manifestant.e.s en utilisant un langage anti-LGBTI et en proférant des insultes haineuses. En agissant ainsi, les autorités ont détourné l’attention du public des violences policières et de la répression antidémocratique. Les étudiant.e.s soi-disant responsables d’avoir accroché la peinture ont depuis été arrêté.e.s pour « incitation à la haine ».
Cette réponse épidermique révèle la stratégie à long-terme des autorités visant à affaiblir et à éliminer les mouvements LGBTI ; une stratégie déjà source d’inquiétude dans le rapport 2020 « Rainbow Europe » d’ILGA. En 2020, les autorités déclarèrent que toutes les catégories sociales étaient respectées de manière égale dans le pays, sans toutefois mentionner le terme « LGBTI » dans leur réponse à une lettre ouverte des Rapporteurs spéciaux des Nations unies sur la discrimination envers la communauté LGBTI. La Turquie n’a pas non plus répondu au problème de compatibilité de l’article 216§3 du Code pénal turc (qui impose une peine de prison maximale d’une année pour « la dégradation publique des valeurs religieuses ») avec l’article 19, relatif à la liberté d’expression, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Une instrumentalisation à visée électorale
Les récents événements de Bogazici illustrent presque à la perfection la stratégie de l’AKP (ou d’Erdogan) visant à alimenter cette « guerre culturelle ». L’objectif est simple : instrumentaliser le mécontentement et remporter (ou conforter) sa popularité au sein de sa base électorale, dans les régions rurales, conservatrices, et les petits villages d’Anatolie.
Il est de plus en plus clair que la Turquie vise à prendre la tête d’un nouveau paradigme, une alternative politique à une « Europe décadente » et « globalisée ». Au niveau international, la Turquie s’est engagée dans une contestation des normes relatives à certains concepts liés aux droits humains, tels que « l’égalité des genres » et les « droits des personnes LGBTI », qui sont fortement rejeté. Au niveau national, Erdogan dépeint les personnes LGBTI comme des étrangers, une menace envers la société turque et des vecteurs d’influence occidentale.
L’événement de Bogazici n’est pas la première attaque et, malheureusement, ne sera pas la dernière vu que ce narratif « familialiste » et « anti-genre » est constitutif de la politique d’Erdogan. Au niveau national, l’AKP a mis en place un appareil d’état répressif pour renforcer son pouvoir. Celui-ci avance désormais vers la deuxième phase de la théorie d’Althusser en renforçant son emprise idéologique sur la société.
Le projet hégémonique d’Erdogan, visant à rétablir la grandeur passée de la Turquie et à devenir un acteur majeur au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, s’appuie sur une vision ‘maternelle’ et les capacités de la nation turque à « s’étendre ». Les féministes et personnes LGBTI sont donc perçu.e.s comme des « ennemi.e.s » pour un tel projet, et il entend les combattre violemment.
A la suite du Parlement européen qui a récemment appelé les autorités turques à « mettre un terme au harcèlement judiciaire […] des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées », la communauté internationale des droits humains devrait riposter.