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Le COVID-19, une sonnette d’alarme pour les droits économiques et sociaux !

En quelques semaines, la pandémie de COVID-19 a mis en avant ce que de nombreux.ses activistes, travailleurs.ses sociaux.les, soignant.e.s, défenseurs.ses des droits humains et syndicalistes, entre autres, ont depuis longtemps dénoncé : une mobilité sociale à l’arrêt, la dégradation de services essentiels tels que l’accès à des soins de santé adéquats et à la sécurité sociale, ainsi qu’une forte hausse des inégalités.

En d’autres termes, le COVID-19 met en lumière l’important recul des droits économiques et sociaux qui s’est opéré ces dix dernières années sur les deux rives de la Méditerranée. Même si certains pays ont mieux protégé les droits économiques et sociaux de leur population, les exemples illustrant les effets préjudiciables des politiques d’austérité et des coupes budgétaires sur les services publics ne manquent pas. L’évasion fiscale, la corruption et la recherche constante du profit – y compris au sein des services publics – noircissent encore davantage le tableau.

La résilience sociale et économique de nos sociétés a été sévèrement amoindrie. L’impact porté par le COVID-19 a donc été encore plus violent dans certains secteurs :

  • Certains services de santé sont désormais tellement sous-financés qu’ils sont au bord de l’effondrement tant dans les pays de la région ANMO, où le niveau global des dépenses de santé par habitant.e est significativement plus bas que la moyenne globale, que dans certains pays européens tels que la Grèce.
  • Des millions de personnes ont vu se tarir leur source de revenus. Pire encore, nombreux.ses sont ceux.celles qui n’ont accès ni à la sécurité sociale, ni aux allocations de chômage ou aux congés payés en raison de l’érosion des droits des travailleurs.ses et l’affaiblissement des syndicats ces dernières années. Dans la région ANMO par exemple, où le travail informel représente de 63% à 68% de l’emploi, beaucoup de travailleurs.ses n’arrivent pas à joindre les deux bouts. De manière générale, le revenu des travailleurs.ses informel.le.s au niveau mondial a chuté de 60% en moyenne le premier mois de la crise. Le Fonds Monétaire International estime que le taux de chômage en Europe, actuellement à 7,4 %, dépassera la barre des 10% d’ici décembre 2020. Les pays du sud de l’Europe devraient être impactés de manière disproportionnée (22,3% en Grèce et 20,8% en Espagne).
  • Les inégalités de revenus continuent de s’accroître à travers la région euro-méditerranéenne. Le Moyen-Orient reste l’une des régions les plus inégalitaires au monde. Le COVID-19 a mis à nu les inégalités existant dans nos sociétés. Ainsi, la pandémie touche en particulier les mères élevant seules leur enfant qui se retrouvent, de fait, plus exposées au virus alors qu’elles font déjà face à d’importantes difficultés financières. Les femmes représentent près de 70% des professionnel.le.s de santé dans le monde et fournissent près de 75% des soins non-rémunérés. Les femmes ont également tendance à exercer des métiers précaires à faible salaire. Les e.s sans-papiers passent également au travers des mailles du filet de la sécurité sociale. A travers la région euro-méditerranéenne, les travailleurs.ses migrant.e.s sont plus à risque d’exercer un emploi dans des conditions précaires. Leur droit de séjour dans le pays dépend souvent de leur emploi et nombreux sont ceux.celles qui ne remplissent pas les conditions pour bénéficier de la protection sociale, des congés payés ou des indemnités de chômage, les rendant par là même extrêmement vulnérables. Certains gouvernements, comme le Portugal, ont levé les barrières restreignant l’accès aux soins pour les personnes sans-papiers et/ou les ont régularisées mais de telles mesures restent rares et à court terme dans la région.
  • La pandémie a également entraîné une forte hausse du taux de pauvreté. L’Organisation Internationale du Travail prévoit la perte de 12 millions d’emplois à temps plein en Europe en 2020 en raison du COVID-19. En Italie, près de la moitié des travailleurs.ses ont perdu une partie de leur revenu. La hausse du chômage et le travail précaire aggraveront les conditions de vie de ceux.celles qui vivent, ou sont confronté.e.s au risque de la pauvreté. Selon des estimations des Nations unies, 8,3 millions de personnes supplémentaires basculeront dans la pauvreté dans le seul monde arabe en raison de la pandémie. Au Liban, les manifestations pour dénoncer la hausse du coût de la vie et les inégalités reprennent déjà. En Turquie, le prix des denrées alimentaires a augmenté de près de 13% en douze mois.

Ces problèmes ne sont que la partie émergée de l’iceberg. La détresse économique et sociale qui va suivre cette crise sera immense. La réponse ne peut être une répétition des erreurs passées. Redémarrer l’économie ne peut s’effectuer à travers un nouveau cycle d’austérité qui ne servirait qu’à appliquer encore davantage de pression sur celles et ceux qui sont déjà étouffé.e.s par la pandémie et la crise financière de 2008. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a récemment souligné le rôle central de l’Etat dans l’investissement en faveur de la santé publique et des systèmes de protection sociale. Les Etats doivent remplir leurs obligations pour garantir les droits économiques et sociaux de leur population.

Adopter de nouvelles mesures d’austérité ne fonctionne pas, ne fonctionnera pas et ne pourra pas fonctionner. Nous avons besoin d’une nouvelle approche qui mette les droits humains, économiques et sociaux au centre de l’élaboration des politiques. Au niveau européen, intensifier le travail sur un salaire minimum qui offre, à travers l’UE, des conditions de vie adéquates, en est un exemple. La mise en œuvre complète du Socle Européen des Droits Sociaux, afin que ceux-ci deviennent une réalité, est essentielle. Enfin, l’UE doit évaluer sérieusement l’impact sur les droits humains des réformes économiques qu’elle soutient et ce, à travers ses politiques étrangères, commerciales et de développement dans les pays de la rive sud de la Méditerranée.

Marion Sandner

Responsable du programmes droits économiques et sociaux à EuroMed Droits