La BERD et les libertés numériques en Turquie

Dans la course au redressement économique et sociétal post-COVID, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) renforce son dialogue avec la société civile pour mieux préparer sa réponse à la crise. Le récent programme pilote «Société civile numérique» mis en place par la BERD en Turquie semble faire partie d’un engagement renouvelé de la banque envers la protection de l’espace pour la société civile et donc des droits humains. 

La BERD est unique parmi les institutions financières internationales. Elle est la seule à détenir un double mandat politique et économique. Ce double objectif reconnaît l’interconnexion entre les réformes politiques et économiques, et l’importance des droits humains pour le développement. Le texte fondateur de la banque souligne son engagement envers «les principes fondamentaux de la démocratie multipartite, l’Etat de droit, le respect des droits humains et l’économie de marché». La BERD a cependant été critiquée pour la faiblesse de ses politiques en matière de droits humains et ses partenariats conclus avec des gouvernements autocratiques. A tel point que sa nouvelle directrice défendait encore les pratiques de prêt de la banque en décembre 2020. 

Le déclin rapide de l’espace pour la société civile à travers le monde relève d’une transition géopolitique plus large qui recouvre des récessions démocratiques et la résurgence de tendances autoritaires exacerbées par la crise sanitaire actuelle. Ce déclin souligne l’importance des espaces numériques en vue d’assurer l’indépendance et la durabilité de la société civile. Les libertés civiques numériques – libertés d’expression, d’association et de rassemblement en ligne – font de plus en plus partie du débat géopolitique général sur l’avenir de l’internet (ouvert et globalisé contre une vision souveraine et fermée). 

Le projet pilote de la BERD, lancé alors que les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme fêtent leur dixième anniversairepourrait servir de nouvelle référence pour l’engagement et le travail en faveur des droits humains au sein de la banque. Le cadre dans lequel les entreprises évoluent en matière de droits humains et de libertés civiques est de plus en plus prégnant, notamment par le développement de lois rendant la diligence raisonnable en matière de droits humains obligatoire, ainsi que de politiques d’entreprise et d’évaluations d’impact sur ces droits. 

La BERD pourra-t-elle réellement remplir ce mandat et renforcer un dialogue démocratique multipartite? Dans un pays où l’espace disponible pour la société civile est continuellement attaqué, ce projet pilote contribuera-t-il de manière satisfaisante à créer un espace civique robuste, essentiel pour la bonne gouvernance, l’Etat de droit et la participation des citoyen.ne.s à la définition de leur société? Ou prouvera-t-il à nouveau que l’heure est venue de refondre l’architecture européenne et internationale de l’aide financière au développement?