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Hamdi Shaqqura, qui a quitté Gaza : « C’est une guerre contre les civils »

Le directeur adjoint au Centre palestinien pour les droits de l’homme à Gaza a réussi à quitter le territoire sous les bombes israéliennes. Il témoigne de ce qu’il y a vu. Et de son désespoir. [Article de Baudoin Loos reproduit du journal belge Le Soir, disponible en ligne

Né à Gaza-ville en 1962 ans dans une famille de réfugiés provenant de la petite ville de Majdal, au nord de Gaza (devenue la ville israélienne d’Ashkelon), Hamdi Shaqqura occupe la fonction de directeur adjoint au Centre palestinien pour les droits de l’homme à Gaza. Comme pour tous les Gazaouis, sa vie a été bouleversée par les suites de l’attaque du Hamas le 7 octobre en Israël. Il nous a raconté son histoire lors de son récent passage à Bruxelles organisé par l’ONG EuroMed Droits. « On n’a pas eu le temps de réfléchir quand l’armée israélienne a envoyé des messages très clairs avertissant qu’il fallait quitter Gaza sans délai et se rendre dans le sud de l’enclave. J’ai pris quelques effets personnels et mon passeport. J’ai ensuite passé environ cinq semaines à Rafah, à la frontière égyptienne, avant d’avoir la chance de pouvoir quitter la bande de Gaza, une chance que n’ont pas eue tant d’enfants blessés, dont des handicapés » 

« Ce que nous vivons c’est de la pure folie ! » 

Rester à Gaza-ville n’avait aucun sens, explique-t-il. « Des bombes israéliennes étaient déjà tombées à moins de 100 mètres de notre bureau dans le quartier de Rimal. Un matin tôt, une frappe aérienne a touché un immeuble tout près, tuant trois femmes de la famille de mon frère, dont sa petite-fille de 11 ans. Il leur avait demandé de venir se protéger chez lui… Blessé à la jambe, il a été opéré à l’hôpital indonésien et on a enterré les morts à la sauvette avant de fuir vers le sud et de trouver refuge chez des amis à Deir el-Balah. » 

Cette guerre lui paraît totalement injuste. « Je ne comprends pas pourquoi le Hamas a attaqué en Israël le 7 octobre, car il devait savoir que la réaction serait très dure. Mais ce que nous vivons depuis, c’est de la pure folie ! Je n’appelle pas ça une confrontation militaire. C’est, depuis le premier jour, une guerre contre les civils. Le bilan humain dit tout. Quelque 18.000 tués. Et combien de blessés ? Sans parler de ceux qu’on n’a pas retrouvés sous les décombres. Une horrible odeur de cadavre plane au-dessus des ruines. Des gens fuyant à pied vers le sud ont été attaqués, vous imaginez ? Ils ont dû laisser des blessés se vider de leur sang. Nous sommes déshumanisés par ce gouvernement israélien fanatique, le plus extrémiste de l’histoire. » 

« Veulent-ils nous pousser en Égypte ? » 

Le refuge trouvé dans le sud du petit territoire palestinien ne protège personne. « Le scénario est effrayant. Ils ont poussé 1,3 million de gens vers le sud de la bande de Gaza où ils ne trouvent aucun abri et vivent dans des conditions d’hygiène épouvantables. Ils vont tous se retrouver à Rafah et puis quoi ? En Egypte ? Est-ce le but ? Un transfert de population ? Les Egyptiens ne l’accepteront pas, d’ailleurs ils bloquent la frontière. S’ils trouvent la moindre ouverture, les gens s’y engouffreront. Cela peut arriver si la communauté internationale n’agit pas de manière décisive. » 

Hamdi Shaqqura a été surpris par l’attaque du Hamas le 7 octobre. Mais seulement à moitié. « Comme militant des droits de l’homme, je peux attester que cela fait des décennies qu’on craignait une explosion. Partout dans les territoires palestiniens occupés. En Cisjordanie, où est imposé un apartheid aux Palestiniens – une accusation relayée par de nombreuses ONG internationales spécialisées et même la principale en Israël –, le nettoyage ethnique à Jérusalem, l’extension des colonies, les attaques des colons contre les citoyens, et à Gaza un long siège qui est une punition collective étouffante. Tout cela sans réactions internationales… » 

Mais comprend-il pour autant la joie exprimée en Cisjordanie lorsque le Hamas a perpétré son agression terroriste le 7 octobre ? « Vous savez, à Gaza le 13 septembre 1993, quand Yasser Arafat et Yitzhak Rabin ont signé les accords d’Oslo, eh bien ! les Gazaouis étaient euphoriques, ils apportaient des fleurs aux soldats israéliens qui nous occupaient. La première intifada s’est terminée instantanément. La paix, une vraie paix juste, pas celle d’Oslo, est rêvée par tous les êtres humains. On a cru à la fin de l’occupation. Mais 30 ans plus tard, au total, on n’a eu que plus de souffrances, plus de colonies, un dé-développement criant. Israël n’a jamais donné de raisons d’espérer aux Palestiniens. Voyez comment ils traitent avec mépris le président Mahmoud Abbas à Ramallah qui a toujours prôné le dialogue. » 

« Ai-je encore un toit ? » 

Alors, dans ce contexte lugubre, comment parler de l’avenir ? « Même si un cessez-le-feu était décrété, que se passerait-il ? Ai-je encore un toit à Gaza ? Qui en a encore un ? Quelque 50.000 immeubles ont été détruits, 250.000 autres partiellement. Nous allons nous retrouver dans des villes de tentes et de mobile homes. Rien que la tâche monstrueuse de dégager les gravats prendra de longues années. Notre centre avait pris le parti de répertorier toutes les statistiques des pertes humaines et des destructions lors des précédents conflits, ici comment faire et à quoi bon ? » 

Puis viennent des mots terribles, lâchés presque à regret. « Que se passe-t-il dans la tête des survivants ? Souvent des familles nombreuses ont été balayées sauf quelques exceptions. Ceux-là ne vont-ils pas s’emplir d’une haine immense ? On en revient au droit international dont ne veut pas Israël. Il faut une solution politique fondée sur le droit international. Gaza n’est pas une entité satanique ! Ce territoire ne doit pas être isolé du reste de la Palestine, il doit être remis à l’OLP, seule instance qui représente le peuple palestinien. Et, d’abord, il faut instaurer tout de suite un cessez-le-feu qui mette fin à ces atrocités, à ce génocide. »