Ces dernières semaines, une série d’incidents tragiques en Méditerranée orientale ont mis en lumière des routes migratoires moins connues. Dans le cas le plus récent, suite au naufrage au large de la Syrie d’un bateau parti du Liban à destination de l’Italie, au moins 94 personnes sont mortes.
Dans un autre cas récent, 250 personnes qui avaient quitté le Liban pour l’Italie ont été laissées en mer pendant environ une semaine sans nourriture ni eau avant d’être secourues par une ONG. Dans un autre incident, une fillette de quatre ans nommée Loujin est morte de soif à bord d’un navire avec 60 personnes qui étaient parties du Liban pour rejoindre l’Italie et ont été laissées en mer pendant 10 jours, avant d’être secourues par un navire marchand. Enfin, six personnes, dont trois enfants et une mère, sont mortes en tentant de rejoindre l’Italie depuis la Turquie. Le 20 septembre 2022, Alarm Phone a signalé environ 53 personnes en détresse dans la zone SAR grecque, dont 5 enfants, qui étaient partis du Liban et étaient en mer depuis 4 jours. Elles ont finalement été refoulées vers la Turquie.
Ces incidents surviennent alors que les personnes sont contraintes de s’embarquer dans des voyages migratoires de plus en plus dangereux en raison de la violence systémique, des refoulements et des dangers rencontrés sur les autres routes et de l’absence de voies légales de migration. La Grèce est en première ligne de cette violence frontalière, avec d’innombrables preuves que les autorités grecques battent, détiennent et abandonnent des personnes en mer alors qu’elles s’accrochent à des radeaux de sauvetage, tandis que Chypre a, à de multiples occasions, refoulé des bateaux arrivant du Liban. Dans le même temps, ces incidents tragiques sont le résultat direct des politiques illégales et répétées de non-assistance en mer de Malte, de la Grèce, de Chypre et de l’Italie.
Une politique mortelle et répétée de non-assistance en mer
Les exemples de non-assistance en mer des Etats en Méditerranée sont quotidiens. Le fait que personne n’intervienne est une atteinte au droit à la vie, et au droit maritime, qui oblige tout Etat, tout navire, à secourir toute personne en détresse quel que soit son statut juridique et à la conduire à bon port. C’est malheureusement une réalité déjà constatée à plusieurs reprises en Méditerranée. Par exemple, en 2011, peut-être le cas le plus notoire de « left-to-die boat », un bateau parti de Libye a été laissé en errance en mer pendant 14 jours et presque tou.te.s les occupant.e.s étaient mort.e.s à bord.
Quant aux cargos, il existe une politique de dissuasion et de criminalisation des navires marchands qui interviennent pour secourir des personnes en détresse en mer, comme par exemple le cas du navire marchand danois Maersk-Etienne, qui est resté bloqué pendant plus d’un mois en août 2020 avec près de 30 personnes secourues à bord alors que Malte refusait de les laisser débarquer.
L’absence de protection, le risque élevé d’expulsion et la détérioration des conditions en Turquie et au Liban conduisent à des itinéraires toujours plus dangereux
La détérioration des conditions de vie des réfugié.e.s en Turquie et au Liban pousse les gens à tenter la longue traversée maritime de la Turquie et du Liban vers l’Italie, car la pression pour partir n’a jamais été aussi forte.
Les deux pays sont confrontés à de graves crises économiques, le ressentiment à l’égard des réfugié.e.s est en hausse, ce qui entraîne une augmentation des expulsions vers la Syrie, tant depuis la Turquie que depuis le Liban. Ce dernier a annoncé en juillet 2022 un plan visant à renvoyer chaque mois 15.000 réfugié.e.s syrien.ne.s en Syrie, tandis que la Turquie propose d’expulser 1 million de Syrien.ne.s vers le nord de la Syrie et qu’elle a recours à des expulsions quotidiennes, notamment de Syrien.ne.s refoulé.e.s par la Grèce vers la Turquie.
La crise économique et financière du Liban est l’une des pires jamais connues : la monnaie du pays s’est effondrée et les prix montent en flèche. Le rapporteur spécial de l’ONU a cité dans son dernier rapport que plus de 80% de la population a été poussée dans la pauvreté depuis 2019 et que 6 personnes sur 10 quitteraient le pays si elles le pouvaient. La Turquie est confrontée à une crise économique tout aussi grave, et les réfugié.e.s font partie des personnes les plus touchées par ses impacts. Dans les deux pays, ils.elles deviennent la cible d’attaques violentes et de tensions avec la population locale. Ils.elles sont harcelé.e.s en ligne et dans la rue. Au cours des derniers mois, un garçon syrien a été attaqué par un groupe d’hommes au Liban pour avoir transporté du pain, tandis qu’en Turquie, l’adolescent syrien Fares Elali a été poignardé à mort pour une dispute au travail.
Il est urgent d’agir
Dans un tel contexte, il est plus urgent que jamais de garantir des voies de migration légales et sûres. EuroMed Droits et les organisations soussignées demandent que :
- Malte cesse immédiatement sa politique de non-assistance en mer. L’omission des opérations de sauvetage, dans une zone sous la responsabilité de l’État, conduit à des incidents mortels comme ceux rapportés ci-dessus.
- Chypre et la Grèce se conforment aux obligations européennes et internationales de respecter le droit de demander l’asile et le principe de non-refoulement, fournissent une assistance aux bateaux en détresse en mer en menant des opérations de recherche et de sauvetage, en assurant l’accès à leur territoire, à la procédure d’asile et à des conditions d’accueil adéquates, et cessent immédiatement tout refoulement et tout mauvais traitement à l’encontre des personnes cherchant une protection sur leur territoire.
- L’UE et ses États membres ouvrent des voies légales de migration afin d’éviter que les personnes ne risquent leur vie dans des voyages migratoires dangereux.
- La Turquie respecte le principe de non-refoulement et le droit international relatif aux droits de l’homme en mettant fin au retour forcé des réfugié.e.s et des demandeurs.ses d’asile en Syrie et en adoptant des politiques qui garantissent la protection nécessaire des réfugié.e.s syrien.ne.s en Turquie ;
- Le Liban respecte les obligations qui lui incombent en vertu des traités internationaux, notamment celle de ne pas expulser ou renvoyer de force des personnes risquant d’être soumises à la torture. Cela implique de mettre immédiatement fin aux expulsions arbitraires de Syrien.ne.s du Liban vers la Syrie, et d’adopter des politiques qui garantissent la protection nécessaire des réfugié.e.s syrien.ne.s au Liban. Le Haute Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (HCR) au Liban doit assumer ses responsabilités en matière de soins et de protection des réfugié.e.s syrien.ne.s au Liban.
Signataires:
- ALEF – Act for Human Rights
- ACHR – Access Centre for Human Rights
- AMERA International
- Anti-Racism Movement in Lebanon
- ATFD – Association Tunisienne des Femmes Démocrates
- ARCI
- CIHRS – Cairo Institute for Human Rights Studies
- Citizens Assembly
- CLDH – Centre libanais pour les droits de l’Homme
- KISA – Action for Equality, Support, Antiracism
- IHD – Association des droits de l’Homme – Turquie
- EuroMed Droits
- Iridia (Espagne)
- Ligue des Droits de l’Homme (France)
- Conseil grec pour les réfugiés (GCR)