En vue de la session du Conseil des affaires étrangères du 23 juin et du rapport final de la Mission d’observation électorale de l’UE (MOE), le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH), l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) et la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) expriment leur grave préoccupation face à la dégradation continue de la situation des droits de l’Homme en Égypte.
Ainsi qu’il est indiqué dans la déclaration préliminaire de la MOE[1], les élections en Égypte se sont déroulées dans un contexte marqué par une forte limitation de l’espace de participation démocratique et par la répression de toute forme de dissidence et de critique, émanant notamment des organisations de défense des droits de l’Homme.
En dépit de la reconnaissance d’un certain nombre de droits de l’Homme et de l’introduction de garanties en la matière dans la nouvelle Constitution égyptienne, les évolutions récentes ont révélé que les institutions publiques continuent de violer les droits de l’Homme de manière flagrante. L’Union Européenne devrait rappeler à ces institutions leurs obligations légales sur le plan national et international et demander au nouveau président et au gouvernement de donner la priorité à la protection et à la promotion des droits de l’Homme.
La place accordée à la liberté d’expression, de réunion et d’association ne cesse de s’amoindrir. En effet, des personnalités de l’opposition, des activistes politiques, des journalistes, des défenseurs des droits de l’Homme, des partisans modérés du président destitué Mohamed Morsi et d’autres dissidents continuent à être emprisonnés. Des responsables du gouvernement ont reconnu que les autorités ont arrêté au moins 16 000 personnes, dont 1 000 manifestants, depuis le 25 janvier 2014. Nombre d’entre eux ont été pris dans des rafles alors qu’ils ne faisaient qu’exercer pacifiquement leur droit à la liberté d’expression, de réunion et d’association, ou ont été placés en détention en raison de leur prétendue affiliation à l’organisation des Frères musulmans.
Le 21 juin, la police a arrêté 30 activistes dans le quartier d’Héliopolis au Caire qui manifestaient contre la loi répressive sur les manifestations. Certains détenus ont rapporté des faits de mauvais traitements, y compris des passages à tabac par la police, pendant les arrestations et dans les postes de police. Après l’enquête menée par la Sécurité nationale, sept détenus ont été relâchés mais les 23 autres ont été maintenus en prison et ont été présentés au bureau du procureur le dimanche. Ils sont poursuivis d’enfreinte à la loi sur les manifestations, de destruction de biens publics, de participation à une marche visant à perturber l’ordre public, de possession de matériaux inflammables et de participation à des actes dont l’objectif est de terroriser le public. Au regard de ces charges et des cas similaires récents, nos organisations craignent particulièrement que le procès puisse mener à des peines de prison disproportionnées. Parmi les détenus, il y a deux femmes défenseurs des droits de l’Homme : Yara Sallam de l’Initiative Egyptienne pour les Droits des Personnes, qui a été arrêtée à proximité des lieux de la manifestation alors qu’elle n’y prenait pas part ; et Sanaa Seif, une activiste de la campagne « Non aux procès militaires » de 18 ans et qui est la sœur de l’activiste Alaa Abdel Fatah.
Le 15 juin, les forces de sécurité égyptiennes ont confisqué le dernier numéro de Wasla, une revue publiée par le Réseau Arabe pour l’Information sur les Droits de l’Homme (Arabic Network for Human Rights Information ). Elles ont arrêté un employé à l’imprimerie où la revue était publiée et l’ont accusé d’être en possession de publications incitant à renverser le régime et à soutenir une organisation terroriste. De même, le 22 mai, les forces de sécurité ont pris d’assaut le Centre Egyptien pour les Droits Economiques et Sociaux. Ces deux cas sont révélateurs du harcèlement incessant exercé sur les groupes indépendants de la société civile.
Des pratiques judiciaires récentes jettent de sérieux doutes sur l’indépendance du système judiciaire et sur sa capacité à obliger les responsables d’abus à rendre des comptes. Au cours des deux derniers mois, les tribunaux de première instance ont condamné à mort plus d’un millier de personnes présumés responsables de la mort de deux policiers.
Les défenseurs des droits de l’Homme et les activistes de la société civile continuent à faire l’objet de poursuites judiciaires arbitraires. Le 11 juin 2014, le système judiciaire égyptien a servi une nouvelle fois à réduire les dissidents au silence. En effet, le célèbre activiste égyptien Alaa Abdel Fattah et 24 autres militants ont été accusés d’avoir enfreint la loi égyptienne sur les manifestations et ont été condamnés à 15 ans de prison, cinq ans de surveillance policière à leur sortie de prison et une amende de LE 100 000 (environ 10 327 €). Leur audience s’étant déroulée plus tôt que prévu, M. Abdel Fattah et les autres prévenus n’ont pas pu y assister.
La réunion du Conseil des affaires étrangères se tient presque un an après le massacre perpétré le 14 août 2013 contre des manifestants sur la place Rabaa, suite à l’éviction de l’ancien président Mohamed Morsi. À ce jour, les autorités égyptiennes n’ont toujours pas obligé les fonctionnaires et officiers de la police et de l’armée à rendre des comptes pour le recours excessif et répété à la force meurtrière. Bien qu’affirmant le contraire, les procureurs n’ont mené aucune enquête sur le recours illégal à la force de la part d’officiers de la police et de l’armée, alors que des milliers de manifestants ont été placés en détention pour des infractions présumées de la nouvelle loi sur les manifestations.
Par ailleurs, en dépit d’une nouvelle loi sur le harcèlement sexuel, la violence à l’égard des femmes s’est aggravée, particulièrement dans la sphère publique, alors que des dizaines de cas de viols et de violence sexuelle ont été recensés au cours des manifestations. Ces cas sont toujours traités avec indifférence et portent gravement atteinte à la participation des femmes à la vie publique. L’État est tenu de protéger les personnes participant à des manifestations pacifiques et, en particulier, de protéger les femmes contre la violence et la discrimination.
À la lumière de ces éléments, nous demandons au Conseil des affaires étrangères et à la Mission d’observation électorale de l’UE d’aborder dans son rapport final[2] la question des violations répétées des droits de l’Homme décrites ci-dessus, ainsi que d’exhorter les autorités égyptiennes à prendre les mesures suivantes :
– Veiller à ce que les dispositions de la nouvelle Constitution relatives aux libertés et aux droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression et de réunion, soient intégralement mises en œuvre ;
– Garantir la liberté d’expression, de réunion et d’association en général et pendant la période électorale en particulier ;
– Mettre fin au harcèlement politique et aux détentions arbitraires, notamment en abandonnant les poursuites et en libérant toutes les personnes détenues uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression, de réunion et d’association ; mettre un terme aux arrestations en cours et aux poursuites contre les manifestants uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’opinion et de réunion, sous prétexte d’enfreindre la loi sur les réunions et/ou d’autres lois ; cesser de placer des personnes en détention sans inculpation ni jugement pour avoir exprimé leur opinion, etc. ;
– Mener une véritable discussion avec les organisations de la société civile et les experts juridiques autour de la loi sur les réunions publiques et les manifestations ainsi qu’autour du projet de loi sur les associations, et garantir leur mise en conformité avec les normes internationales ;
– Prendre des mesures décisives visant à mettre fin à la torture et aux traitements cruels, inhumains ou dégradants, en procédant notamment à la réforme de l’appareil sécuritaire afin d’obliger les responsables à rendre des comptes en cas d’abus ;
– Adopter des stratégies sur le plan national afin de lutter contre la violence à l’égard des femmes et d’éliminer toute forme de discrimination contre les femmes, en assurant la consultation et l’implication réelles des groupes de défense des droits des femmes et des autres organisations de la société civile au cours du processus ;
– Obliger les responsables à rendre des comptes en cas de violation des droits de l’Homme, en assurant notamment une administration de la justice indépendante et impartiale.