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Conseil d’association UE Maroc: Lettre ouverte du REMDH

A l’attention de: Mme Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, M. Johannes Hahn, Commissaire pour l’Elargissement et la Politique européenne de Voisinage, Ministres des Affaires étrangères des Etats membres de l’Union européenne, M. Salaheddine Mezouar, Ministre des affaires étrangères du Royaume du Maroc, M. Menouar Alem, Ambassadeur de S.M le Roi, chef de la mission du Royaume du Maroc auprès de l’Union européenne

Objet: Conseil d’Association UE-Maroc – Recommandations du REMDH relatives à la liberté d’association et de réunion, la réforme du système judiciaire et les droits des femmes

Madame la Haute Représentante,

Monsieur le Commissaire,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Monsieur l’Ambassadeur,

A l’approche de la 12ème session du Conseil d’Association UE-Maroc, le 16 décembre prochain, le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH) appelle l’Union européenne (UE) et le Maroc à définir les droits de l’Homme comme un objectif prioritaire du renforcement des relations Maroc-UE et à mettre ce point à l’agenda de la réunion ministérielle conjointe.

Ce Conseil d’Association se tient alors que le Maroc vient d’accueillir le deuxième Forum Mondial des Droits de l’Homme. Le REMDH se félicite de la forte participation de la société civile à ce Forum, mais dénonce l’interdiction d’accès au territoire dont ont été victimes des défenseurs des droits de l’Homme syriens et irakiens ainsi que la saisie, par la douane marocaine, de documents officiels de participants au Forum. La tenue de ce forum a également été ponctuée par plusieurs actions des organisations marocaines et internationales, notamment du REMDH, visant à dénoncer la recrudescence des entraves à la liberté d’association et de réunion depuis plusieurs mois au Maroc.

Le 15 juillet dernier, le Ministre marocain de l’Intérieur, M. Mohamed Hassad, a fait un discours sur la lutte contre le terrorisme devant le Parlement marocain au cours duquel il a accusé les organisations non gouvernementales de répondre à des agendas étrangers et de nuire par leurs actions à la réputation et à la sécurité du pays. Depuis lors, des associations marocaines et internationales ont déploré la multiplication des interdictions visant leurs activités. En ce qui concerne les interdictions portées devant la justice par l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH), le REMDH tient à saluer la décision du tribunal administratif de Rabat de reconnaitre l’illégalité de l’interdiction qui ne repose sur aucune base juridique et qui a condamné le Ministère marocain à fournir une compensation financière à l’AMDH (pour plus d’informations, voir la lettre ouverte du 26 Novembre 2014 du REMDH à l’attention de M. Hassad).

Le REMDH regrette également l’usage excessif et inutile de la force lors de plusieurs manifestations et appelle le Maroc à garantir de manière effective la liberté des citoyens marocains de se rassembler et de manifester pacifiquement et d’exprimer leurs opinions, même lorsque celles-ci sont critiques envers les institutions.

Ces restrictions de la liberté d’association sont encore plus systématiques au Sahara occidental, où pour des raisons politiques, plusieurs associations n’obtiennent pas leur reconnaissance légale, ce qui limite directement leur capacité d’organiser des réunions publiques ou d’appeler à manifester, dans la mesure où la loi ne reconnaît ce droit qu’aux organisations juridiquement constituées.

Dans ce contexte, le REMDH appelle à cesser toute entrave arbitraire à l’action de la société civile marocaine et des défenseurs des droits de l’Homme, à garantir la liberté d’association en toutes circonstances, et à rétablir un climat de confiance et de dialogue avec les organisations indépendantes de la société civile, même les plus critiques. Les attaques répétées dont font l’objet les organisations de défense des droits de l’Homme sont non seulement contraires à la Constitution marocaine et aux engagements internationaux de l’Etat marocain en la matière, mais mettent également en danger l’état de la démocratie au Maroc.

En ce qui concerne le processus de réforme actuellement en cours, pour assurer la mise en oeuvre de la nouvelle Constitution marocaine adoptée en 2011, le REMDH se félicite des progrès réalisés et en particulier du dépôt des instruments de ratification du Protocole facultatif à la Convention internationale contre la torture, du vote d’une loi interdisant les procès de civils devant des tribunaux militaires et améliorant les conditions de jugement des militaires eux-mêmes, et de la mise en oeuvre de la procédure de régularisation des étrangers, qui, malgré ses imperfections, est un exemple pour la Région et pour l’Union européenne elle-même. Le REMDH regrette toutefois la lenteur de ce processus et dès lors, appelle le Maroc à avancer rapidement dans ce processus notamment en ce qui concerne la réforme de la justice et la loi contre les violences faites aux femmes. Le REMDH appelle également l’UE à appuyer ce processus, notamment en soutenant activement les régularisations en cours et leurs intégrations.

Parmi les priorités du Plan d’action UE-Maroc mettant en oeuvre le statut avancé (2013-2017), le REMDH salue l’accent mis sur le respect du droit d’association et la liberté de manifestation, sur la réforme du système judiciaire et sur la promotion des droits des femmes, mais estime que la réalisation effective de ces engagements doit constituer un objectif essentiel à atteindre dans le cadre du statut avancé. A ce titre, nous demandons à ce que soient inclus expressément ces enjeux majeurs parmi les points à l’ordre du jour du Conseil d’Association du 16 décembre. Vous trouverez ci-dessous les recommandations du REMDH relatives à ces questions et en annexe à cette lettre, le chapitre relatif au Maroc et Sahara Occidental de la deuxième partie de l’étude régionale du REMDH sur la liberté de réunion, dont le lancement officiel est prévu le 8 décembre prochain.

Nous appelons l’UE à rappeler à ses interlocuteurs marocains l’impérieuse nécessité d’appliquer en tous lieux et en tous domaines la même volonté de respecter les droits fondamentaux de chacun. Le REMDH considère qu’une telle position s’inscrit dans le respect des obligations propres et internationales de l’UE et du Maroc en faveur de la démocratie et des droits de l’Homme, en particulier l’Article 2 de l’Accord d’Association ainsi que les principes fondateurs et objectifs de la nouvelle Politique européenne de voisinage.

Le REMDH formule les recommandations suivantes pour les autorités marocaines et appelle l’UE à soutenir leur mise en oeuvre :

  • Garantir de manière effective l’exercice des droits aux libertés de réunion, d’expression et d’association par tout individu ou groupe sans discrimination, notamment sur le territoire du Sahara occidental, même lorsque les vues exprimées sont critiques de la politique et des institutions marocaines ;
  • Respecter le régime déclaratif prévu par la loi pour la création des associations et l’organisation de réunions publiques et de manifestations ; en particulier rendre la délivrance du récépissé de déclaration obligatoire et sanctionner le non-respect de cette procédure ; s’assurer que les restrictions appliquées le sont en conformité avec la loi, respectent les principes de nécessité et proportionnalité et sont communiquées par écrit aux organisateurs dans un délai permettant un recours devant un tribunal avant la date prévue pour l’événement ;
  • Mettre fin aux obstacles administratifs et politiques qui empêchent certaines associations de défense des droits de l’Homme et autres associations, notamment sahraouies, d’obtenir leur statut légal ;
  • Lever les restrictions concernant l’exercice des droits à la liberté de réunion pour les groupes non-enregistrés officiellement, afin de donner la possibilité aux citoyens marocains qui ne font pas partie d’organisations légalement constituées de manifester pacifiquement ;lib
  • Mettre fin aux arrestations arbitraires lors de manifestations pacifiques ainsi qu’au harcèlement judiciaire des activistes revendiquant leur droit à manifester pacifiquement, notamment sur le territoire du Sahara Occidental; libérer les manifestants détenus suite à des condamnations arbitraires et abandonner les charges retenues contre eux ;
  • Mettre en oeuvre le plan gouvernemental pour l’égalité notamment pour lutter efficacement contre la violence basée sur le genre et rendre pleinement opérationnelle l’Autorité pour la parité et la lutte contre toute forme de discrimination (APALD) en la dotant du mandat et des moyens nécessaires à la réalisation de sa mission ;
  • Assurer que les projets de loi réformant le système judiciaire, basés sur la Charte de la réforme du système judicaire, soient en accord avec les standards internationaux ;
  • Assurer l’approche participative définie dans la nouvelle Constitution et renforcer le dialogue sociétal sur les lois organiques et sur toutes les autres lois liées à la mise en oeuvre de la nouvelle Constitution, y compris sur les normes concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Nous restons à votre entière disposition pour toute information complémentaire relative aux enjeux et recommandations précités.

En vous remerciant par avance de l’intérêt que vous réserverez au présent courrier, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de notre très haute consideration.

Michel Tubiana,

Président du REMDH