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Algérie : après cinq ans de contestation, le rétrécissement de l’espace civique s’étend au-delà de la rive sud de la Méditerranée.

Il y a cinq ans, le 22 février 2019, la population en Algérie s’est mobilisée de manière spontanée et pacifique pour exiger un changement démocratique. Descendant dans les rues d’Alger et d’autres villes du pays, elle protestait contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, président en exercice, à un cinquième mandat. Même après son retrait, le mouvement de contestation n’a pas perdu de son élan, élargissant ses revendications pour la refonte profonde du régime, en quête d’un « État civil et non militaire », d’une « transition démocratique indépendante du système clanique mafieux », ainsi que d’une « Algérie libre et démocratique ». 

Bien que la pandémie de la Covid-19 ait momentanément mis un frein aux manifestations à partir de mars 2020, la mobilisation a repris en février 2021 avant de connaître un déclin définitif, en partie dû aux efforts concertés des autorités pour réprimer le mouvement, pourtant pacifique. 

Le harcèlement policier et l’intimidation des activistes, en particulier de celles et ceux qui osent critiquer les discours et politiques du gouvernement, sont incessants. Les forces de sécurité les surveillent et les menacent, créant un climat de terreur qui risque d’être fatal à l’activité de défense des droits humains. Dans certains cas extrêmes, des activistes sont même confronté·e·s à des violences physiques, voire à de la torture, compromettant leur sécurité, leurs intégrités physiques et leur capacité à poursuivre leur révolution.  

L’instrumentalisation de la justice par la police politique en Algérie constitue la clé de voûte de cette répression. Le pouvoir judiciaire s’appuie régulièrement sur des dispositions légales ambiguës pour soumettre les militant·e·s des droits humains à des procès injustes et les maintenir sous son joug, bafouant ainsi le droit à un procès équitable.  

Les autorités s’appuient sur des accusations telles que la “déstabilisation de la sécurité de l’État”, «atteinte à l’unité nationale»,  la “perturbation de l’ordre public”, privant fréquemment des individus de leur liberté sans transparence ni procédure régulière. Cette pratique viole non seulement les droits fondamentaux des activistes, mais perturbe gravement leurs efforts pour plaider en faveur d’un changement démocratique effectif. 

L’organisation et la participation à des rassemblements pacifiques demeurent aussi un défi majeur pour les activistes en Algérie. Les obstacles bureaucratiques pour obtenir des autorisations à manifester, associés à la présence excessive de la police lors des rassemblements approuvés, portent atteinte à la liberté de réunion pacifique, fondamentale à toute démocratie. Actuellement, toute forme de manifestation pacifique opposée au régime militaire est interdite. Preuve en est, les moindres tentatives de sortie militante sont réprimées et leurs meneur·ses arrêté·es.  

De plus, les rapports de torture et de mauvais traitements dans les établissements de détention dressent un tableau sombre des conditions auxquelles sont confrontés les activistes. De telles violations portent atteinte à la dignité des individus et contreviennent au droit international des droits humains, soulignant le besoin urgent de réformes et de responsabilité au sein de ces institutions. 

A ce jour, les prisons algériennes comptent des dizaines de détenus d’opinion, à l’exemple de Mohad Gasmi qui n’a pu assister à l’enterrement de son père décédé récemment. D’autres militants sont la cible d‘arrestations arbitraires. C’est le cas, notamment, de Mohamed Tadjadit, interpellé chez lui à Alger, le 31 janvier 2024.  

Les autorités algériennes utilisent de manière abusive tout l’arsenal législatif restrictif à leur disposition afin de museler la société civile et de faire taire toutes les voix dissidentes et critiques en recourant à divers moyens pour faire obstacle au libre exercice des droits à la liberté d’association et de réunion, tels que la dissolution arbitraire d’associations, l’arrestation et les poursuites judiciaires à l’encontre de leurs dirigeant·es et de leurs membres, ou encore la répression violente et l’empêchement physique des manifestations pacifiques par de très massifs déploiements policiers et parfois par une répression violente. 

Par ailleurs, les activistes algérien·ne·s ont été davantage contraint·e·s à fuir leur pays en raison de la persécution qu’ils subissent par les autorités. Car l’asile est parfois devenu un recours inévitable, le droit à une procédure d’asile équitable et adéquate, avec la garantie que les demandes des activistes algérien·ne·s en quête de refuge soient soigneusement évaluées, est aujourd’hui fondamental. En particulier, il existe des rapports alarmants mettant en lumière le manque de protection des réfugié·e·s et demandeur·euse·s d’asile algérien·ne·s, y compris en Tunisie, qui font constamment face à la menace d’une détention arbitraire et d’un renvoi forcé vers les dangers qu’ils et elles ont fui.  

Le 16 février 2019, les manifestations de Kherrata ont constitué l’élément déclencheur direct du Hirak. Le lendemain, cette dynamique libératrice s’est étendue même sur l’autre rive de la Méditerranée. Ainsi, les militant·e·s et les organisations de la diaspora vivent au rythme des abus et de la répression injustes et injustifiés des rassemblements et marches qu’elles organisent en France, et plus précisément à Paris, dans le but de revendiquer une transition démocratique indépendante en Algérie. 

C’est ainsi que les rassemblements du dimanche à la place de la République, devenus au fil du temps la seule issue des défenseur.es des droits humains algérien.nes exilé-e-s en France pour revendiquer un droit légitime, celui de la démocratie en Algérie, sont réprimés par la préfecture de police de Paris qui a pris des arrêtés d’interdiction. Bien que ces décisions aient été censurées par le juge des référés administratifs, l’administration persiste à réduire au silence les manifestations et à éprouver d’autres techniques, dont une inédite : des arrêtés ont été pris pour interdire de dépasser 81 décibels à 10 mètres du rassemblement, ce qui correspond à une personne parlant fort sans micro. Les verbalisations pleuvent contre les organisateurs. 

Des violences ont également été exercées par des policiers contre les organisateurs de ces rassemblements, leur matériel a été confisqué plusieurs fois et des poursuites judiciaires ont été introduites devant le tribunal de police contre les militant-e-s et les participant-e-s.  

Dans ce contexte délétère, qui rappelle les efforts dedésertification” de toute voix dissidente  sur les deux rives, à l’approche de l’élection présidentielle prévue en 2024 en Algérie, et en l’absence de toute garantie structurelle pour superviser l’organisation du scrutin présidentiel et d’une ouverture du champ politique et médiatique susceptible de permettre une confrontation des idées qui offrirait aux Algérien.nes la possibilité de faire leur choix librement, la persistance aux recours à un arsenal juridique liberticide, comme l’article 87 bis du Code pénal, constitue une épée de Damoclès au-dessus de la tête des acteurs de l’espace civique. 

Les organisations et les associations signataires : 

  • Expriment leur profonde inquiétude face au contexte extrêmement hostile dans lequel la société civile algérienne des deux rives se voit contrainte d’opérer, ainsi que face aux attaques systématiques des autorités contre les droits à la liberté d’association, de réunion et d’expression en Algérie, lesquelles s’intensifient à l’approche des dates de lélection présidentielle.
  • Appellent les autorités algériennes à mettre un terme à cette politique répressive, ainsi qu’à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontre des défenseur.es des droits humains et des organisations de la société civile. Elles demandent également à garantir que ces acteur·ices puissent mener leurs activités légitimes de défense des droits humains en toute liberté, sans entrave ni crainte des représailles ;
  • Appellent les autorités algériennes à se conformer à leurs engagements internationaux en matière de droits humains et à garantir en toutes circonstances les droits aux libertés d’association, de réunion et d’expression, consacrés notamment dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
  • Appellent les autorités françaises à mettre un terme au harcèlement, aux poursuites, à la violence et à toutes sortes d’entraves concertées (avec Alger) à l’exercice de la liberté d’expression des militant.es présent.es en France. 

Liste des signataires :  

  • Collectif des familles de Disparus en Algérie (CFDA) 
  • SOS Disparu.e.s 
  • Comité de Sauvetage de la Ligue Algérienne pour la Défense des droits de l’Homme.  
  • Tharwa N’Fadma N’Soumeur 
  • Riposte Internationale 
  • EuroMed Droits  
  • Agir pour le Changement et la Démocratie en Algérie -ACDA
  • FIDH (Fédération Internationale pour les Droits Humains), dans le cadre de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits Humains 
  • Ligue des droits de l’Homme (LDH) 
  • MENA Rights Group 
  • Union syndicale Solidaires 
  • Libérons l’Algérie
  • Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits Humains