L’adoption des priorités du Partenariat est l’occasion pour l’UE de faire avancer la protection des défenseurs des droits de l’Homme en Algérie
Dans la perspective de la réunion du Conseil d’association UE-Algérie, le 13 mars, EuroMed Droits, Front Line Defenders, la FIDH, l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme, et Solidar invitent instamment l’UE à aborder le sujet des graves violations des droits de l’Homme commises par les autorités algériennes, en particulier à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme (DDH) du pays. Un an après l’adoption par le parlement algérien d’une réforme constitutionnelle, le nombre de ces violations graves ne cesse de croître. Les organisations soussignées saisissent l’occasion de la réunion du Conseil d’association pour mettre en lumière quelques-unes des violations relevées récemment et leur impact sur les DDH.
Pendant longtemps, l’UE a réclamé une réforme constitutionnelle après le rétablissement des relations bilatérales entre les deux pays, il y a quinze ans. Bien que cette réforme soit effectivement intervenue en 2016, la nouvelle constitution ne représente pas un progrès en ce qui concerne le renforcement des libertés publiques et des droits de l’Homme. L’exercice de la liberté de réunion, de la liberté d’association et de la liberté d’expression est toujours considérablement freiné par une législation restrictive et par des interférences politiques avec le système judiciaire. Plus spécifiquement, le gouvernement algérien prend pour cible les DDH qui se sont exprimés sur les politiques et les pratiques illégales du gouvernement en Algérie, ou qui appartiennent à des groupes minoritaires.
Kamal Eddin Fekhar, qui travaille sur les droits des citoyens mozabites en Algérie, est sous le coup de 18 accusations concernant ses activités sur les droits de l’Homme. Il est notamment accusé d’avoir appelé à des manifestations pacifiques pour plaider en faveur des droits des minorités en Algérie. Kamal Eddin Fekhar fait maintenant la grève de la faim depuis 70 jours pour protester contre sa détention arbitraire. A ce point, il risque des complications à long terme pour sa santé à la suite de cette grève de la faim. Ce DDH est également accusé d’avoir constitué une organisation « dangereuse », au motif qu’elle menacerait les « valeurs nationales » de l’Algérie.
Les entraves au travail de Kamal Eddin Fekhar par les autorités algériennes et la peine de prison à laquelle il est condamné sont également liées à des campagnes ciblées contre les DDH, en raison directe de leurs activités en faveur des minorités ethniques, religieuses et sexuelles et des droits des populations indigènes, en particulier les Mozabites et les Kabyles. Deux de ses avocats, Noureddine Ahmine et Salah Dabouz, sont à leur tour victimes de harcèlement judiciaire pour l’avoir défendu, et Dabouz est désormais placé sous contrôle judiciaire. Slimane Bouhafs, un défenseur qui soutient le droit des Kabyles à l’auto-détermination, purge actuellement une peine de trois ans de prison pour « insultes à l’Islam et au prophète Mahomet ». La Cour d’appel de Sétif a rendu sa sentence le 6 septembre 2016.
Les attaques contre les DDH qui attirent l’attention sur les violations commises par les autorités algériennes se sont également multipliées au cours de l’année dernière. Le 25 décembre 2016, Fouad Hassam, défenseur des droits de l’Homme et syndicaliste, a été licencié par son employeur sous la pression des autorités, dans le but de le sanctionner pour sa mobilisation récente contre les opérations menées en décembre et visant à expulser collectivement d’Algérie vers le Niger plus de 1 400 migrants. Le défenseur et journaliste Hassan Bouras, membre de la LADDH (Ligue algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme), s’est élevé à plusieurs reprises contre la corruption et la pratique de la torture en Algérie. En résultat, il a passé plus de trois mois en détention préventive, accusé entre autres « d’insultes aux institutions de l’Etat » sur les réseaux sociaux. Il n’a été libéré que le 18 janvier 2017, après que la Cour d’appel eut réduit sa peine à six mois de prison avec sursis.
Dans un autre dossier concernant la liberté d’expression, un journaliste freelance résidant en Grande-Bretagne, Mohamed Tamalt, est retourné en Algérie au milieu de l’année 2016 et a été arrêté quelques jours après son arrivée pour avoir émis des critiques envers les autorités algériennes. Il a entamé une grève de la faim pour protester contre le caractère arbitraire de sa détention et, quelques mois plus tard, il est mort en prison dans des circonstances suspectes. Sa famille a rapporté que lors d’une visite, l’un d’eux a remarqué qu’il avait une cicatrice à la tête. C’est seulement après son décès que le ministère de la Justice a permis aux autorités judiciaires d’accepter la demande d’enquête de sa famille pour cause de blessures. Plus récemment, il y a une semaine ou deux, Anouar Rahmani, blogueur et rédacteur indépendant, a été interrogé par la police algérienne et pourrait faire face à des accusations pour ses écrits, dont le but est de promouvoir les droits fondamentaux tels que la liberté de pensée, d’expression et de religion. L’année dernière, le 1er juin 2016, il a reçu des messages anonymes, le menaçant de mort s’il portait plainte contre le journal national qui l’avait précédemment accusé de blasphème. Nous voudrions également évoquer l’arrestation de Rafik Belamrania, détenu depuis le 20 février 2017 pour avoir critiqué sur sa page Facebook le gouvernement et d’autres autorités.
Il est important de noter également que plusieurs groupes de travail internationaux ont tenté de se rendre en Algérie en diverses occasions, mais qu’ils en ont été empêchés et qu’ils n’ont pas pu obtenir de visas d’entrée. Des journalistes étrangers ont aussi rencontré des difficultés pour obtenir des visas afin de se rendre dans le pays. Un certain nombre de demandes déposées par les détenteurs d’un mandat des Nations Unies est toujours en attente.
Comme indiqué dans une lettre adressée le 24 février aux responsables de l’UE par sept organisations internationales dans la perspective de la 10ème session du Conseil d’association UE-Algérie, l’UE doit absolument amender les Priorités du Partenariat pour qu’elles représentent un réel engagement de la part de l’UE et de ses Etats membres, de façon à ce que l’Algérie assure la promotion et la protection des droits de l’Homme et de ses défenseurs. Nous appelons l’Union européenne à tirer profit de ces circonstances politiques pour faire avancer les choses de façon significative dans les domaines rappelés ci-dessus, et en particulier pour encourager les autorités algériennes à :
- Revoir et annuler les peines infligées aux défenseurs des droits de l’Homme encore en prison sur la base de leur travail en faveur des droits de l’Homme, et les libérer ;
- Abandonner les charges contre les DDH poursuivis pour leur travail légitime de défense des droits de l’Homme et libérer immédiatement les défenseurs détenus arbitrairement ;
- Garantir en toutes circonstances que les défenseurs des droits de l’Homme soient en mesure de mener leurs activités légitimes sans crainte des représailles, les libérer de toutes les restrictions, y compris le harcèlement judiciaire, et assurer le respect total de la Déclaration de l’ONU sur les défenseurs des droits de l’Homme ;
- Abroger la Loi n°12-06 sur les associations, pour assurer librement la création et le fonctionnement des organisations de société civile, y compris leur droit de recevoir des fonds domestiques et étrangers, conformément au PIDCP (Pacte international relatifs aux droits civils et politiques) ;
- Garantir le droit de constituer des syndicats, conformément à la Convention n°87 de l’OIT relative à la liberté d’association et à la protection du droit de s’organiser, ratifiée par l’Algérie, et mettre en œuvre les recommandations du Comité de la Conférence de l’OIT de juin 2015 sur l’application des normes internationales ;
- Revoir la législation qui régit le droit à la liberté d’expression et de réunion, en particulier en annulant le décret interdisant toute forme de manifestation publique à Alger, en vigueur depuis 2001, et en créant un système de notification simple pour les manifestations publiques en lieu et place du système d’autorisation préalable, conformément aux recommandations antérieures du Rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression ;
- Coopérer sans réserve avec le Conseil des Droits de l’Homme, notamment avec ses experts ou ses procédures spéciales, en particulier en répondant rapidement et favorablement à leurs demandes de visite, en émettant et en honorant des invitations permanentes en direction des experts et des groupes de travail sur les droits de l’Homme des Nations Unies, et en appliquant rapidement leurs recommandations ;
- Délivrer immédiatement un visa aux représentants des organisations internationales des droits de l’Homme qui souhaitent se rendre en Algérie.
Signataires
EuroMed Droits
FIDH, dans le cadre de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme
Front Line Defenders
OMCT, dans le cadre de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme
Solidar
Contexte
Alors que les amendements constitutionnels de 2016 garantissent le droit à la liberté de réunion pacifique en vertu de l’Article 49, des lois spécifiques, datant de 2001 et de 1991, sont encore en vigueur, interdisant les manifestations publiques dans la capitale et soumettant les organisateurs à des procédures interminables pour obtenir une autorisation préalable. Le système juridique actuellement en place en Algérie expose les personnes qui organisent des rassemblements non autorisés, ou qui y participent, à des amendes ou à des peines d’emprisonnement allant de trois mois à un an. De plus, en vertu du Code pénal algérien, toute personne qui participe à des manifestations non autorisées encourt jusqu’à cinq ans de prison.
Bien que la liberté d’association soit garantie par la nouvelle constitution en vertu des Articles 48 et 54, la loi n°12-06 sur les associations, très restrictive et entrée en vigueur en 2012, n’a pas encore été amendée. Cette loi continue d’accorder aux autorités le pouvoir discrétionnaire de refuser l’enregistrement d’une organisation qui ne se conformerait pas aux « valeurs nationales, à l’ordre public, à la décence et aux dispositions de la législation existante », et d’ordonner la suspension de ses activités. La même loi prévoit aussi des manœuvres procédurales assez obscures, qui permettent aux autorités algériennes d’obliger des organisations à fermer, même si elles sont déjà enregistrées, en s’abstenant de délivrer l’attestation prouvant que leur enregistrement a bien été soumis. Alors que l’Algérie a ratifié la plupart des Conventions de l’OIT, y compris la Convention n° 87 sur la liberté d’association et le droit de s’organiser, l’exercice des droits syndicaux est constamment entravé par des interventions abusives de l’administration, tandis que l’intimidation des syndicalistes est monnaie courante. Malgré la loi n° 90-14 de 1990 sur la liberté d’association, les négociations collectives et les relations industrielles, qui prévoit l’envoi d’un reçu reconnaissant la création d’un syndicat sous 30 jours, l’enregistrement de bon nombre de nouveaux syndicats indépendants, du secteur public comme du secteur privé, est retardé sans raison par l’administration.
La loi n° 12-05 de 2012 sur les limites de l’information a pour effet de restreindre la dissémination et la publication des informations. La loi comporte des clauses assez vaguement définies imposant le respect de la foi islamique, de l’identité et des valeurs culturelles nationales, de la souveraineté et de l’unité nationale, de la sécurité et de la défense de l’Etat, de l’ordre public aussi bien que des intérêts économiques du pays. Les journalistes et les médias en général notent qu’ils opèrent dans un environnement très restrictif et qu’ils sont forcés de pratiquer l’auto-censure.