- A l’initiative du Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH), et en partenariat avec le Centre d’Amman pour les études sur les droits humains (ACHRS), l’association Sisterhood is Global Institute Jordan (SIGI/J), et le MIZAN, Law group for Human Rights, 120 représentantes et représentants des organisations de défense des droits des femmes dans la région euro-méditerranéenne se sont réunis à Amman, Jordanie, les 11 et 12 novembre 2013. Cette conférence avait pour objectif de dresser un état des lieux régional des violences faites aux femmes; d’appeler les Etats à respecter leurs obligations nationales, régionales et internationales en matière de lutte contre les violences fondées sur le genre; et de proposer aux Etats des recommandations concrètes pour mettre un terme à l’impunité.
- Se référant aux instruments internationaux[1] sur le droit des femmes, et notamment à la déclaration des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de violence à l’encontre des femmes de 1993, qui définit la violence à l’encontre des femmes comme « tout acte de violence dirigé contre les femmes, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée » [2] ;
- Constatant que les violences graves et les crimes à l’encontre des femmes restent largement impunis, que les violences sexuelles augmentent dans les pays Sud et de l’Est de la Méditerranée en conflit ou engagés dans un processus de transition politique ;
- Constatant de même que les femmes, notamment en Europe, sont les premières à être frappées par le chômage, l’appauvrissement, la précarité et les coupes budgétaires en matière de santé et d’éducation causées par les mesures d’austérité prises par les gouvernements ;
- Constatant que le viol est utilisé comme une arme de guerre dans les conflits armés, notamment en Syrie, et que la violence est utilisée comme une arme politique pour exclure, stigmatiser et intimider les femmes et les empêcher de participer au processus de transition politique et de préparer leur avenir, comme c’est le cas en Egypte, Libye et Tunisie ;
- Constatant que dans un contexte de violence grandissante, de militarisation à outrance et de radicalisation du conflit en Syrie, les femmes, qui assument très souvent seules la responsabilité de leurs enfants, souffrent non seulement des conséquences physiques et psychologiques de la guerre mais sont également victimes de viols et de sévices sexuels, de mariages forcés et précoces, de prostitution, de crimes d’honneur et de répudiation, en particulier celles qui ont été déplacées à l’intérieur du pays ou qui se sont réfugiées dans les pays limitrophes ;
- Constatant que les Palestiniennes continuent de subir toutes formes de violence résultant de l’occupation israélienne, et que le blocus à Gaza précarise leur situation et les rend encore plus vulnérables à la violence ;
- Constatant que les discriminations envers les femmes, inscrites notamment dans les lois sur le statut personnel, les codes pénaux et les lois du travail, restent très répandues dans tous les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ;
- Rappelant les engagements internationaux et régionaux pris par les États ;
- Constatant le faible engagement des gouvernements à lutter contre l’impunité et à adopter des lois incriminant les violences faites aux femmes dans les Etats du Sud et de l’Est de la Méditerranée, et à mettre en œuvre les lois pour combattre à la violence à l’encontre des femmes dans les Etats européens ;
- Notant le rôle essentiel des médias pour sensibiliser le public à toutes les formes de violences contre les femmes, y compris celles constituant des crimes, à la lutte contre l’impunité, et pour contribuer à faire changer les attitudes patriarcales qui perpétuent cette situation ;
Au terme de cette conférence sur La violence à l’encontre des femmes, crimes et impunité, les participantes et participants exhortent les Etats, les gouvernements, les gouvernements provisoires, et les organes de transition, au Nord, au Sud et à l’Est de la Méditerranée :
- A rejeter/mettre un terme à toute impunité et à développer, adopter et mettre en œuvre, d’urgence, une législation destinée à combattre toutes formes de violences sexuelles, en adoptant et en appliquant les cadres nationaux et régionaux contre la violence sexiste, et en assurant la poursuite des auteurs de violences à l’encontre des femmes ;
- A adopter et mettre en œuvre une législation incriminant les violences à l’encontre des femmes, et rejetant toute excuse absolutoire à celui qui en est l’auteur;
- A assurer des mécanismes de protection adéquats et efficaces pour les femmes victimes de violence, tels que des refuges et des services médicaux et psycho-sociaux, y compris une aide à la réinsertion économique dans la société ;
- A développer des systèmes judiciaires qui fonctionnent et intègrent- y compris, sans y être limité, au civil et au pénal- la dimension genre et auxquels les femmes doivent avoir pleinement accès ;
- A intégrer l’égalité hommes-femmes à tous les niveaux du système éducatif, ainsi qu’un langage tenant compte de la différence hommes-femmes dans tous les programmes scolaires, et allouer des budgets spécifiquement destinés à lutter contre les violences faites aux femmes ;
- A garantir une participation et une représentation égales des femmes au sein des organes législatifs, judiciaires et exécutifs, y compris de sécurité, ainsi qu’aux postes de responsabilité et de décision, en adoptant des mesures appropriées telles que des dispositions sur la parité ou des quotas minimum, des programmes d’autonomisation, l’octroi de soutiens financiers et l’intégration de la dimension genre dans toutes les politiques et projets;
- A garantir la participation totale et égale des Palestiniennes, Syriennes, Kurdes, et des femmes des pays en transition, à la résolution des conflits et aux efforts de médiation, conformément aux engagements pris dans le cadre des résolutions 1325 et suivantes du Conseil de sécurité des Nations Unies ;
- A renforcer et assurer l’indépendance économique des femmes, en adoptant des politiques publiques et des programmes encourageant et garantissant l’égalité dans l’accès des femmes au marché de l’emploi et à l’initiative économique, y compris en ce qui concerne l’égalité de salaires ; et leur assurant le droit de disposer de leurs propres ressources ;
Dans le cadre de l’Union Pour la Méditerranée (UpM), les participantes et participants appellent l’UpM à :
- Soutenir la création d’un observatoire régional indépendant qui assure la documentation, le suivi et l’évaluation des législations et des initiatives sur les violences faites aux femmes, y compris l’application des mesures décidées par les conférences ministérielles de l’UpM ;
- Soutenir la création de programmes de réhabilitation des victimes, en particulier de violences sexuelles, y compris par des services adéquats et une indemnisation ;
- Promouvoir la ratification, sans réserves, de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) et du statut de Rome instituant la Cour Pénale Internationale, par tous les Etats, ainsi que l’intégration de ces dispositions dans les législations nationales ;
- Intégrer dans tous les programmes de coopération et dans les plans d’action conclus avec chaque pays la lutte contre les violences faites aux femmes et établir des critères permettant de mesurer la mise en œuvre des engagements pris ;
- Renforcer le soutien politique et financier des organisations et mouvements féministes, qui sont à l’avant-garde du combat contre la violence à l’encontre des femmes et pour l’égalité hommes-femmes ;
Dans le cadre de son action extérieure et de sa politique de voisinage, les participantes et participants appellent l’Union Européenne (UE) à :
- Renforcer la mise en œuvre des lignes directrices de l’UE sur les violences contre les femmes et la lutte contre toutes les formes de discrimination à leur encontre, et rendre public les stratégies nationales des droits de l’Homme en matière de lutte contre la violence à l’encontre des femmes et pour la promotion de l’égalité hommes-femmes ;
- Développer des budgets spécifiques dans le cadre de la Politique Européenne de Voisinage (PEV) pour combattre la violence à l’encontre des femmes à tous les niveaux, y compris en termes de prévention, d’enquête, de poursuites judiciaires, de réhabilitation et d’assistance aux victimes (faire de la mise en œuvre des plans d’actions nationaux une condition du soutien financier de l’UE) ;
- Inclure dans les rapports de la PEV une évaluation du soutien financier de l’UE sur la lutte contre la violence à l’encontre des femmes ;
- Dans le contexte de la crise syrienne, et en vue d’un partage des responsabilités avec les Etats limitrophes de la Syrie, garantir le droit d’asile au sein de l’UE aux réfugiés venant de Syrie, et notamment aux femmes victimes de violence, et assurer des conditions suffisantes aux demandeurs d’asile.
[1] Dont notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ( CEDEF, 1979) et la déclaration et le programme d’action de Pékin (Quatrième conférence mondiale sur les femmes, 1995), ainsi que le Pacte international sur les droits civils et politiques (1966), le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (1966), l’objectif du Millénaire pour le Développement n°3, le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (2000).
[2]La violence à l’encontre des femmes s’entend comme englobant, sans y être limitée, les formes de violence énumérées ci-après : la violence physique, psychologique et sexuelle – y compris les coups, le viol, le viol conjugal, les mutilations génitales et autres pratiques préjudiciables à la femme, la violence non conjugale liée à l’exploitation, les sévices sexuels, le harcèlement sexuel, le proxénétisme et la prostitution, les mariages forcés, la violence liée à l’orientation sexuelle – exercée au sein de la famille, de la collectivité, perpétrée ou tolérée par l’Etat, ainsi que la violence économique et politique.