Face à la crise sanitaire posée par la pandémie de COVID-19 et à son impact sur les populations, les gouvernements ont recouru à des mesures restrictives telles que la mise en place d’états d’urgence, la distanciation sociale et l’utilisation d’outils technologiques avancés. Bien que ces mesures puissent paraître essentielles afin d’éviter la propagation de la maladie et de protéger la santé publique, certains gouvernements ont saisi cette opportunité pour prendre des mesures répressives. Parmi celles-ci notons les arrestations de masse, la restriction des moyens d’information et de communication, la mise en place de mesures de confinement strictes et une augmentation de la surveillance numérique.
Un tel niveau de surveillance soulèverait des interrogations en temps normal, particulièrement dans les démocraties libérales. Mais tout le monde semble s’accorder sur le fait que nous vivons une « période anormale ». La santé des populations dépend de cette surveillance et à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ou pour reprendre les termes du philosophe français pro-démocratie, Edgar Morin : « une situation d’urgence requiert des mesures d’urgence ».
Nous pouvons néanmoins nous inquiéter du fait que ces mesures, qui affectent nos vies privées, n’ont pas de clause de suspension. Qui peut dire que ces mesures ne deviendront pas la nouvelle norme lorsque la pandémie prendra fin ?
Selon le journal The Guardian, l’usage de méthodes de surveillance physique a singulièrement augmenté suite au COVID-19. Israël fut, par exemple, l’un des premiers pays à mettre en place un système de traçage des téléphones en ciblant les personnes suspectées d’être infectées. En matière d’espionnage des populations et malgré le ralentissement de la progression du virus dans certains parties du monde, un précédent est désormais établi.
Bien que les organisations internationales de défense des droits humains aient rappelé que cette surveillance numérique ne pouvait être utilisée que dans le cadre de la surveillance de la santé publique et qu’elle ne devait s’opérer que dans « le respect de certaines conditions », de nombreuses questions restent sans réponse. Pour mettre en place ce confinement, jusqu’où les gouvernements peuvent-ils aller dans leur surveillance des individus par exemple ? En d’autres termes, comment savons-nous que cette surveillance ne va pas trop loin ? Les gouvernements respectent-ils vraiment un équilibre entre les mesures de prévention contre la contamination et la protection de la vie privée et des droits humains de chacun ?
Une opportunité pour régler des comptes
La pandémie de COVID-19 laisse également en héritage une multiplication de mesures répressives, avec des dictatures qui tentent de régler leurs comptes avec des populations avides de liberté et de démocratie.
L’Algérie est un cas d’école. Les autorités ont utilisé la pandémie comme une opportunité pour réduire au silence le mouvement du Hirak qui se tenait depuis un an. Depuis la mi-mars, non seulement les rassemblements ont été bannis, mais les autorités ont également mené une vague d’arrestations sans précédent contre plusieurs activistes. Les journalistes indépendants ne sont pas épargnés non plus. Les associations pour la liberté de la presse, y compris Reporters sans Frontières, regrettent que « les autorités algériennes utilisent l’épidémie pour régler leurs comptes avec les journalistes indépendants ».
Alors que le coronavirus se répand en Egypte, le régime militaire resserre son emprise, réduisant ainsi tout espoir de changement démocratique. Au début du mois de mai, de nouveaux amendements furent adoptés donnant de nouveaux pouvoirs au Président Al-Sisi. Les observateurs des droits humains au niveau national et international pensent que ces pouvoirs ne visent pas à combattre le virus mais à poursuivre la répression. Le gouvernement égyptien « utilise la pandémie pour étendre un état d’urgence abusif » selon un porte-parole de Human Rights Watch.
Les guerres civiles en Syrie, au Yémen et en Libye érodent toute possibilité de stopper la pandémie, non seulement parce que ces pays ne disposent pas des moyens nécessaires mais aussi parce que les gouvernements centraux n’ont aucun contrôle sur leur pays. Les Palestiniens sous occupation israélienne font face au même problème. La bande de Gaza, densément peuplée et au taux de pauvreté le plus élevé de la planète, est sous le double blocus d’Israël et de l’Egypte. L’Autorité Palestinienne, qui contrôle moins de la moitié de la Cisjordanie, peine à contrôler la pandémie.
Dans le même temps, certains leaders politiques occidentaux, qui n’ont rien appris des leçons du passé, continuent d’alimenter les guerres civiles et de soutenir des dictateurs dans une région très instable. Mais pour combien de temps ? Un analyste politique de la BBC met en garde : « Les principaux acteurs au Moyen-Orient devront repenser leur politique étrangère coûteuse et dangereuse. Les jours où ils pouvaient acheter leur influence et mener des guerres par procuration pourrait bientôt prendre fin ». A bon entendeur.
Messaoud Romdhani
Membre du Comité exécutif d’EuroMed Droits
Cet article est tiré d’une réflexion initialement publiée en anglais dans Alternatives International.