Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) tient à exprimer sa vive préoccupation quant aux deux projets de loi soumis par le gouvernement égyptien au tribunal administratif du Conseil d’État pour examen juridique. Le premier de ces projets de loi consiste en des amendements aux dispositions relatives au crime de terrorisme dans le Code pénal, tandis que le second porte sur les aspects procéduraux liés à la lutte contre le terrorisme. Ces textes législatifs sont parvenus à la dernière étape du processus et leur adoption est prévue pour bientôt.
Comme le montre l’histoire de l’Égypte, l’adoption de lois et de mesures de sécurité plus répressives ne permet pas de contrer les attaques terroristes ou même d’identifier et de condamner les coupables dans la plupart des cas.
L’Égypte n’a pas besoin d’adopter des textes de loi supplémentaires pour lutter contre le terrorisme, mais bien de réviser son cadre législatif pour garantir sa conformité aux normes internationales. Le gouvernement utilise ces lois pour arrêter et détenir arbitrairement des dissidents politiques et les soumettre à la torture et à de mauvais traitements. La décision rendue cette semaine par un tribunal pénal qui a condamné 529 personnes à la peine de mort, sans doute la condamnation à mort ayant frappé le plus grand nombre de personnes ces dernières années dans le monde, témoigne de l’absence des garanties les plus fondamentales en matière de procédure équitable, ainsi que du besoin urgent de réformes.
Les réformes législatives en question sont extrêmement inquiétantes dans le contexte actuel, dans la mesure où elles renforcent les mesures de répression en criminalisant des activités pacifiques et légitimes qui procèdent de la liberté d’expression, d’association et de réunion, les qualifiant de « crimes de terrorisme » punissables de la peine de mort. Ces mesures ouvrent en effet la voie à un état d’urgence non déclaré et à des décisions arbitraires.
Le projet de loi élargit la définition des crimes terroristes à toute activité vaguement définie comme « portant gravement atteinte à l’ordre public », « mettant en danger la sûreté, les intérêts ou la sécurité de la société », « empêchant les autorités de mener à bien certaines de leurs activités », « mettant en danger la vie, les droits ou les libertés des citoyens », « empêchant les établissements scolaires de fonctionner » et « [impliquant] des actes dont la finalité est d’entraver la mise en œuvre de la constitution ou de la loi ». À titre d’exemple, une grève empêchant l’accès à une université ou à une institution de l’État, ou une manifestation contre une loi ou une disposition de la constitution considérée comme injuste (par exemple contre la disposition de la constitution permettant de juger des civils devant des tribunaux militaires) tomberaient sous la définition des crimes de terrorisme. Les participants à ces événements pourraient dès lors être condamnés à la peine capitale.
Notre organisation condamne fermement ces réformes législatives visant à étouffer encore un peu plus tout type de dissidence et d’opposition politique pacifiques en Égypte. Ces réformes éloignent le pays du chemin de la transition démocratique et de l’État de droit ; elles risquent de renforcer l’agitation sociale et alimenter l’extrémisme et le terrorisme.
Nous appelons les autorités égyptiennes à :
- immédiatement retirer ces deux projets de loi et à réformer son cadre législatif répressif, notamment la loi sur les manifestations adoptée le 24 novembre 2013.
Nous appelons également l’Union Européenne et ses États membres à :
- exhorter leurs homologues égyptiens à retirer ces projets de loi ; appliquer l’approche « plus pour plus » présentée dans la nouvelle politique européenne de voisinage et subordonner tout soutien financier et politique supplémentaire à l’Égypte au respect des droits et libertés fondamentaux, à la réalisation d’enquêtes indépendantes et impartiales sur toutes les morts et cas de recours excessifs à la force contre des manifestants, les arrestations arbitraires et les accusations de torture alléguées par des détenus, ainsi qu’à la mise en œuvre de véritables réformes du cadre législatif qui entrave l’exercice des droits et libertés et de la réforme de l’appareil de sécurité.
Enfin, nous appelons le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, les Procédures spéciales et, en particulier, le Rapporteur spécial pour la promotion et la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme, à :
- envoyer sans délai une communication au gouvernement égyptien exprimant leur inquiétude quant à ces projets de loi ; et proposer leur expertise et leur soutien au gouvernement égyptien pour lutter contre le terrorisme dans le respect des droits de l’Homme. Ces projets de loi vont à l’encontre des recommandations émises par le Rapporteur spécial de l’ONU pour la promotion et la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme, à l’issue de sa visite officielle en Égypte en 2009.
Les dispositions les plus inquiétantes de ces deux projets de loi sont les suivantes :
- Les actes portant atteinte à l’« unité nationale » peuvent être considérés comme des actes terroristes. Ainsi, selon une interprétation non restrictive du projet de loi, une ONG œuvrant en faveur des droits des minorités religieuses pourrait être fermée et ses membres poursuivis et passibles de la peine de mort au motif que cette organisation porterait atteinte à l’« unité nationale », un terme communément utilisé pour décrire le travail de ces ONG en Égypte (art. 86).
- En outre, selon ce projet de loi, toute organisation qui conteste la loi ou la constitution est une organisation terroriste (art. 87)
- La perpétration réelle d’un crime grave n’est pas prise en compte, dans la mesure où la seule participation ou contribution à la fondation d’une organisation terroriste (qui, dans ce cas pourrait être un mouvement menant les activités légitimes et pacifiques susmentionnées) est passible de la peine de mort (art.) 89).
- Le second projet de loi, qui porte sur les aspects procéduraux liés à la lutte contre le terrorisme, élargit les pouvoirs de l’exécutif. Il accorde au Président le droit d’appliquer des mesures de sécurité exceptionnelles sans l’approbation préalable du parlement. Il donne également au Président le droit d’appliquer des procédures spéciales par le biais de simples ordres oraux devant par la suite être étayés par des documents écrits dans les huit jours (art. 15).
- Ce projet de loi permet au procureur de révéler les informations relatives aux comptes bancaires d’individus et d’organisations sans contrôle judiciaire (art. 13)
- Enfin, plus inquiétant encore, le projet de loi permet aux forces de sécurité de détenir des individus sans mandat d’arrêt et ne les oblige pas à immédiatement révéler les raisons de cette détention. Bien que la loi stipule que tout individu a le droit d’être présenté devant le procureur dans les 48 heures suivant son arrestation, le fait de ne pas imposer à la police l’obligation légale de déclarer l’arrestation en temps voulu pourrait donner lieu à des détentions arbitraires prolongées (articles 1 et 2).