Les violences faites aux femmes sont une violation des droits humains
et une forme de discrimination à l’égard des femmes
Cette affirmation est écrite noir sur blanc dans la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, qui célèbre aujourd’hui, 1er août 2018, le 4e anniversaire de son entrée en vigueur.
À cette occasion, le Président d’EuroMed Droits, Wadih Al-Asmar, a déclaré :
« EuroMed Droits estime que l’importance de cette Convention réside précisément dans le fait qu’il s’agit du premier traité légalement contraignant qui s’adresse aux violences faites aux femmes, comme violation des droits humains et comme une forme de discrimination envers les femmes.
Cette définition est cruciale dans la région euro-méditerranéenne, où des millions de femmes sont affectées et menacées de violence et de discrimination, qu’elles soient physiques, psychologiques, légales ou économiques. Mais combattre les violences faites aux femmes nécessite plus qu’une simple volonté, cela nécessite également des outils légaux et contraignants, tels que la Convention d’Istanbul.
En tant que réseau euro-méditerranéen, nous jugeons la Convention particulièrement utile, vu qu’elle est ouverte autant aux Etats membres que non-membres du Conseil de l’Europe, incluant ainsi les pays du Nord et du Sud de la Méditerranée. Cela constitue également un outil normatif pour légiférer sur les violences faites aux femmes dans la région.
Malheureusement, alors que la plupart des pays de l’UE – et l’Union européenne elle-même – ont signé ou ratifié la Convention, aucun pays du Sud de la Méditerranée ne l’a encore fait.
C’est pourquoi en ce jour symbolique, nous réitérons aux gouvernements de la région euro-méditerranéenne l’importance de ratifier et correctement mettre en œuvre la Convention d’Istanbul. »
Vous trouverez ci-dessous deux interviews mettant en avant des expériences sur le terrain
- Maroc: 14 organisations se sont mobilisées pour appeler à l’adhésion du Maroc à la Convention d’Istanbul, qui pourrait vraiment faire la différence dans le pays ;
- UE: une récente contre-attaque envers la Convention émanant d’entités conservatrices et religieuses a relancé l’urgence de ne pas baisser notre garde dans cette lutte.
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Saïda Drissi Amrani, Présidente de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM)
Au Maroc, 2018 a débuté avec l’adoption de la loi 103.13 contre les violences faites aux femmes, une loi bien loin d’un pas en avant pour la protection et la prévention des violences basés sur le genre.
Les lacunes de cette loi, dont il ne s’agit en réalité que des amendements du code pénal, sont très profondes : il ne criminalise pas toutes les formes ou tous les types de violences, et il exclue par exemple le viol conjugal. Il ne protège pas non plus toutes les femmes, excluant par exemple les mères célibataires et les femmes migrantes.
D’ailleurs, la rapporteuse spéciale sur les violences contre les femmes a exprimé dans le rapport sur le projet de loi 103.13 son inquiétude face à « l’absence de mesures de protection adéquates établies au préalable, avant le renvoi d’une femme au sein d’un foyer au sein duquel elle aurait subi des violences. La faiblesse des réformes proposées en ce qui concerne le viol et les agressions sexuelles et […] le maintien des lois en l’état actuel obligent les femmes à apporter les preuves des violences subies, et les rend susceptibles d’être poursuivies pour relation extra-conjugale, au lieu de bénéficier de la protection et des réparations en tant que victime de violences sexuelles que leur situation requiert. »
C’est entre autres pour cette raison que la Convention d’Istanbul serait un outil légal très important, qui permet la ratification d’Etats non membres du Conseil de l’Europe.
Il faut faire en sorte que la question de la lutte contre les violences faites aux femmes soit dans les agendas politiques au niveau national, régional et international.
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L’harmonisation de la législation marocaine avec une telle convention garantirait aux femmes et aux filles une protection réelle, une prise en charge de qualité et des mesures de prévention. Elle permettrait également d’encadrer les multiples aspects de violence et de refuser des justifications d’ordre culturel, religieux ou traditionnel ; elle mettrait aussi en avant les exigences en matière d’éducation et de sensibilisation (campagnes de sensibilisation, matériel pédagogique, formation des professionnels, implication des hommes, etc.). Enfin, elle reconnaitrait le juste travail de la société civile, leur implication et les canaux de soutien politiques et financiers prévus par la Convention.
Pour ces raisons, suite à la campagne d’EuroMed Droits autour la Convention d’Istanbul et avec son appui, l’ADFM a organisé en 2016 une formation qui a débouché sur la constitution d’une Coalition d’associations en décembre 2017. Son objectif est de mener des actions communes de plaidoyer pour que le Maroc adhère à la Convention, notamment auprès des députés européens en visite au Maroc ou dans les entretiens avec le représentant du Conseil de l’Europe au Maroc.
Nous comptons d’ailleurs sur le Conseil de l’Europe, qui s’est engagé, dans le partenariat de voisinage 2015-2017 conclu avec le Maroc, à encourager ce dernier à harmoniser sa législation avec les normes européennes et internationales et à ratifier les conventions du Conseil de l’Europe ouvertes aux États non membres, telle que la Convention d’Istanbul.
Nous comptons également sur le réseau EuroMed Droits, dont nous sommes membres, de nous soutenir et nous accompagner dans ce processus de plaidoyer qui s’avère être un défi qui mérite la mobilisation de tous les membres du Réseau.
Le chemin est encore long pour atteindre l’égalité effective entre les hommes et les femmes, mais le combat continue.
Mon parcours féministe au Maroc
Quand, dès mon jeune âge, j’ai pris conscience des inégalités existantes entre les hommes et les femmes dans les lois et dans les pratiques sociales, je vivais cela comme une injustice à laquelle je ne trouvais pas de justifications, sauf la constatation que nous vivons dans un système patriarcal qui exploite la religion, les traditions, les coutumes et les lois pour maintenir et renforcer son pouvoir et son contrôle sur les femmes. Cela ne peut qu’engendrer des injustices et des actes de violence contre les femmes, aussi bien dans l’espace public que l’espace privé.
Cette prise de conscience a été pour moi un moteur pour adhérer dès 1997 à l‘ADFM, qui avait été créée justement pour lutter contre les violences basées sur le genre, en encourageant les femmes à les dénoncer, en accompagnant les survivantes de violence et en plaidant pour des lois égalitaires et incriminant les violences faites aux femmes.
Il est de plus en plus clair que pour voir des résultats tangibles, le chemin à prendre est celui de la mobilisation collective et de la solidarité pour mener des actions de plaidoyer aussi bien au Maroc qu’en Tunisie, en Egypte, en Jordanie ou au Liban. C’est une nécessité pour que nos Etats harmonisent leur législation nationale avec les conventions internationales qu’ils ont ratifiées et adhèrent à la convention d’Istanbul.
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Catherine Teule, vice-présidente d’EuroMed Droits
Il est très préoccupant d’observer que, dans les faits, les femmes et les jeunes filles demeurent en Europe les cibles de violences inacceptables. Peur, honte, manque de confiance vers les autorités, ce ne sont que quelques raisons pour le très faible taux de poursuites et de condamnations pour les crimes de violence domestique et de viol, ainsi que la sous-déclaration de tels crime.
Une femme sur trois de plus de 15 ans dans l’UE a subi des violences physiques et/ou sexuelles.
C’est pourquoi la Convention d’Istanbul – un outil juridiquement contraignant – doit devenir un outil majeur et unanimement partagé dans l’UE.
Le fait que l’Union européenne ait signé la Convention d’Istanbul le 13 juin 2017 est certes un signe encourageant, mais l’élan pour faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une priorité commune à l’ensemble des États membres n’est pas confirmé pour autant. Il est notamment regrettable que neuf pays de l’UE (Bulgarie, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, République tchèque, Royaume-Uni et Slovaquie) ne l’aient toujours pas ratifiée.
On ne peut pas dire que ces pays sont à l’abri du phénomène… Mais le texte de la Convention est la cible d’attaques, comme en Bulgarie, qui a refusé de la ratifier et a même boycotté la réunion du Parlement européen qui y était consacrée. En Croatie, la ratification a été difficilement acquise le 12 juin dernier et a engendré des manifestations souvent violentes des opposants à sa ratification.
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Sous l’influence de milieux traditionnalistes, en particulier les Églises catholiques et orthodoxes, les adversaires de la Convention se cristallisent sur une interprétation tendancieuse du mot « genre », en y voyant les prémisses d’un projet de société qui tendrait à légaliser le mariage homosexuel et à introduire la théorie du genre dans l’enseignement, qui menacerait donc les valeurs familiales traditionnelles. En voulant l’imposer, l’UE déborderait ainsi de son champ de compétence.
Cette opposition traduit souvent une conception archaïque du rôle des femmes dans nos sociétés, vestige d’un système patriarcal qui refuse leur accès à l’égalité des droits avec les hommes et donc à leur autonomie. On peut, notamment, en voir les effets sur le droit à l’avortement. Existe aussi le risque que les violences conjugales et familiales soient considérées comme exclusivement « affaire privée de famille », échappant ainsi aux dénonciations et condamnations judiciaires. De plus, lorsque l’intérêt de la nation prime, les droits des femmes sont en général les premiers à souffrir, car les budgets consacrés sont réduits.
Sans compter que ces replis nationaux et la montée de la xénophobie conduisent au rejet des étranger*e*s. Le statut de « migrante » place souvent les femmes dans une position de plus grande fragilité juridique car elles sont dépendantes de leur conjoint ou de leur employeur. Cette fragilité est aggravée par le rejet des migrants dans leur ensemble. La Convention tacle également cette problématique et oblige les pays qui l’ont ratifiée à reconnaître la violence fondée sur le genre comme une forme de persécution au sens de la Convention de Genève (1951) relative au statut de réfugié.
Nous ne voulons cependant pas oublier les victoires récemment obtenues, comme le référendum de mai en Irlande, qui a mené à l’abrogation du 8e amendement de la constitution, qui rendait l’avortement illégal. C’est une lueur d’espoir pour les filles et les femmes de pays européens où, comme à Malte et en Pologne, l’interruption volontaire de grossesse est jugée criminelle.
Nous devons sans cesse nous rappeler que rien n’est jamais définitivement acquis ; les tentations récurrentes de retour en arrière marquent aussi notre histoire…
L’UE doit jouer un rôle important en promouvant certaines normes au sein de l’Union européenne. L’engagement politique des États membres à lutter contre toutes les formes de violences domestiques est déjà affirmé dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Mais l’UE ne dispose pas encore d’un instrument contraignant et, malgré les efforts depuis 2010, elle ne dispose toujours pas d’une stratégie européenne de lutte contre les violences à l’égard des femmes.
Face à cette réalité, nous devons renforcer les coalitions pour que, dans chaque pays de l’UE, les femmes sachent que leurs problèmes rencontrés ont déjà été surmontés par d’autres femmes ailleurs. Le formidable élan des Polonaises face au projet parlementaire intitulé « Stop à l’avortement » demeurera longtemps dans notre mémoire.
C’est l’un des chevaux de bataille d’EuroMed Droits et nous participons activement à une Coalition européenne afin de mettre fin aux violences subies par les femmes et les filles et aboutir à la ratification de la Convention d’Istanbul par l’UE et l’ensemble de ses États membres.
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