Visite de la rapporteuse spéciale des Nations unies en Algérie : une nouvelle occasion de réformer et de libérer les militant·es emprisonné·es

Les autorités algériennes devraient mettre fin à leur répression des droits et libertés fondamentaux et libérer tous les défenseur·es des droits humains et les militant·es qui croupissent injustement en prison, ont déclaré 12 ONG avant la visite de la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les défenseurs des droits humains en Algérie, du 26 novembre au 5 décembre. Cette visite intervient alors que la situation des droits humains est désastreuse, avec plus de 230 militant·es, journalistes et défenseur·es des droits humains actuellement emprisonné·es uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.

Le mandat de la rapporteuse spéciale, Mary Lawlor, comprend un rapport sur la situation des défenseur·es des droits humains, définis au sens large comme « toutes les personnes qui, individuellement ou en association avec d’autres, agissent pour promouvoir ou protéger les droits humains de manière pacifique».

« Les personnes qui osent défendre les droits humains sont la cible d’attaques d’une ampleur alarmante en Algérie. Ils sont confrontés à des manœuvres incessantes de harcèlement, d’intimidation et à de la détention illégale. Certaines personnes ont été contraintes de fuir le pays et de chercher la sécurité ailleurs, tandis que d’autres sont toujours enfermées dans des prisons », a déclaré Wadih Al Asmar, président d’EuroMed Rights.

Il est primordial que la Rapporteuse Spéciale prête une attention particulière au risque de harcèlement et d’intimidation des activistes de la société civile qu’elle pourrait rencontrer lors de sa visite en Algérie. Nous attirons son attention sur un cas possible de représailles contre Ahmed Manseri, le Président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH) à Tiaret. Il a été arrêté le 8 octobre 2023 et condamné à une année de prison sous des accusations fallacieuses de diffusion de documents portant atteinte à l’intérêt national, d’incitation au rassemblement non armé et d’atteinte à l’intégrité du territoire national. Le 17 septembre 2023, Manseri a rencontré le rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’association et de réunion pacifique, Clément Nyaletsossi Voule, lors de sa visite en Algérie du 16 au 26 septembre 2023. Les organisations signataires appellent les autorités algériennes à s’abstenir de tout acte de représailles visant à punir ou intimider les défenseurs des droits humains.

Au cours des deux dernières années, les autorités algériennes ont fermé presque tous les espaces de dissidence. Elles ont démantelé la plupart des groupes indépendants de la société civile créés pour défendre les droits humains et ont fermé les derniers médias qui représentaient des voix de résistance face à l’autoritarisme dominant dans le pays. Des associations importantes comme la LADDH et le Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), créées respectivement en 1989 et 1992, ont été dissoutes par le tribunal administratif simplement pour des activités inhérentes à leur mandat, comme l’organisation de conférences critiques à l’égard des autorités, la rencontre avec des activistes étranger·es ou la défense des droits des minorités. Les autorités se sont souvent appuyées sur des lois vagues et formulées en termes généraux pour restreindre la capacité des défenseurs des droits humains à agir librement. Par exemple, un tribunal d’Alger a condamné Nacer Meghnine, le président de l’association SOS Bab el-Oued, à un an de prison pour « atteinte à l’intérêt national » après avoir trouvé dans les locaux de l’association des publications dénonçant la répression, les arrestations arbitraires et la torture.

« Les défenseur·es des droits humains jouent un rôle crucial en contestant les pratiques de l’État, en protégeant l’environnement, en appelant à la fin de la torture et en défendant les droits des minorités et des travailleurs·ses. Aujourd’hui, ils subissent de plein fouet les attaques incessantes contre leur droit de s’exprimer et de s’opposer aux abus de pouvoir des autorités. Les autorités devraient mettre fin à cette politique malavisée et permettre à la société civile et aux militant·es de poursuivre leurs activités sans restrictions excessives », a déclaré Ziad Abdeltawab, directeur adjoint de l’Institut du Caire pour les études des droits de l’Homme.

D’éminents défenseurs des droits humains ont été contraints de fuir le pays en raison d’intimidations et de harcèlements constants et, dans certains cas, de poursuites judiciaires et de détentions arbitraires pour avoir dénoncé la répression. C’est le cas de Zakaria Hannache, défenseur des droits humains, qui a joué un rôle crucial dans la surveillance des arrestations et des procès des militants lors du mouvement de protestation de masse du Hirak appelant à un changement politique. Le 2 mars 2023, un tribunal d’Alger l’a condamné à trois ans de prison par contumace sur la base d’accusations fallacieuses de « diffusion de fausses nouvelles », de « réception de fonds » et « d’atteinte à la sécurité de l’État et à l’intégrité du territoire national ». En mars 2022, Hannache a été emprisonné pendant six semaines sur la base d’accusations infondées, notamment « apologie du terrorisme » et « diffusion de fausses informations », en rapport avec son activisme. Après sa libération, il a fait l’objet d’actes d’intimidation et de pressions qui l’ont poussé à quitter le pays pour la Tunisie en août 2022, où il a obtenu le statut de réfugié auprès du Haut-Commissariat pour les Réfugiés.

Amira Bouraoui, gynécologue, est une autre défenseuse qui a été forcée de fuir. Elle est politiquement active depuis 2011, notamment pendant le mouvement de protestation du Hirak. En 2021, elle a été condamnée à un total de quatre ans de prison dans deux affaires pour « insulte au président » et « offense à l’islam ». Elle a fait l’objet d’une interdiction arbitraire de voyager en 2021 et s’est enfuie par la frontière tunisienne en février 2023.

D’autres défenseur·es croupissent toujours en prison. Par exemple, Mohad Gasmi, un militant écologiste qui lutte contre l’exploitation du gaz de schiste dans le sud de l’Algérie, est incarcéré depuis le 14 juin 2020. En 2022, il a été condamné à trois ans de prison dans deux affaires distinctes, l’une pour avoir publié des messages critiques sur les médias sociaux et l’autre pour avoir divulgué des informations confidentielles sans intention de trahison ou d’espionnage, en lien avec ses activités à l’étranger pour protéger l’environnement et contre l’exploitation du gaz de schiste. Pour protester contre sa détention arbitraire, Gasmi a entamé une grève de la faim en juillet 2023, qui a entraîné une détérioration de son état de santé. Actuellement, il est toujours injustement incarcéré à la prison de Bou Saada. Kamira Nait Sid, co-présidente du Congrès mondial amazigh, a été arrêtée à son domicile le 24 août 2021. Le 4 juillet 2023, elle a été condamnée à cinq ans de prison, peine réduite à trois ans en appel, pour les chefs d’accusation suivants : « réception de fonds pour porter atteinte à l’unité nationale et à la sécurité de l’État », « utilisation de la technologie pour diffuser de fausses informations » et « appartenance à une organisation terroriste ».

« L’emprisonnement pour avoir lutté en faveur des droits humains ne devrait jamais être toléré. Il est grand temps que les autorités algériennes abandonnent l’approche sécuritaire dans la gestion des affaires publiques et reconnaissent les dommages qu’elles causent à la société et à la démocratie dans le pays en confisquant les libertés fondamentales et en réduisant au silence toute voix indépendante qui défend les droits humains », a déclaré Abdelouhab Fersaoui, ancien président de l’association dissoute RAJ.

Au cours des trois dernières années, les autorités algériennes ont adopté une série de nouvelles lois répressives visant à étouffer la dissidence et à criminaliser le militantisme. Le code pénal a été modifié pour inclure un article prévoyant jusqu’à 14 ans de prison pour la participation à une organisation ou une association qui reçoit des fonds étrangers sans autorisation. L’ordonnance présidentielle n° 21-08 de 2021 a modifié la définition du terrorisme pour criminaliser les actions visant à modifier le système de gouvernance par des moyens anticonstitutionnels, ce qui a effectivement conduit à la mise hors la loi des appels pacifiques au changement de régime et des appels aux réformes démocratiques. Les lois antiterroristes ont été utilisées par exemple pour poursuivre les défenseurs des droits humains Said Boudour, Jamila Loukil et Kaddour Chouicha, de la section de la LADDH à Oran.

Signataires

  1. Actions Détenus
  2. Agir pour le changement et la démocratie en Algérie (ACDA)
  3. Association Tharwa n’Fadhma n’Soumer
  4. Collectif des Familles de Disparu.e.s en Algérie
  5. EuroMed Droits
  6. Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme
  7. Institut Du Caire Pour Les Études Des Droits De L’Homme (CIHRS)
  8. Le Comité de Sauvegarde de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme
  9. Mena Rights Group
  10. Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme
  11. Riposte internationale
  12. SOS Disparus