Le 14 janvier 2013 marque le deuxième anniversaire de la révolution tunisienne.
Engagés dans un processus de transition politique depuis deux ans, les autorités et responsables politiques tunisiens ont la responsabilité de faire prévaloir les revendications de « Liberté, Dignité et Egalité » portées haut et fort par les Tunisien-ne-s pendant la révolution, y compris pour des centaines d’entre eux, au prix de leur vie. Le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH) et la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) appellent les autorités compétentes à prendre sans plus de délais les mesures nécessaires et à s’engager sans ambiguïté vers l’instauration d’un Etat de droit.
Deux ans après le début de la transition, les chantiers restent très nombreux. Ils portent sur des questions aussi fondamentales que la reconnaissance et la protection des droits de l’Homme dans leur universalité, le respect et la promotion de l’égalité et la lutte contre toute discrimination, la garantie de l’indépendance de la justice et des medias et la lutte contre l’impunité. Nos organisations aux côtés des organisations tunisiennes de défense des droits de l’Homme n’ont eu de cesse dénoncer les manquements et exactions observés et d’appeler les autorités compétentes à se conformer sans restrictions à leurs engagements internationaux.
La révolution tunisienne est partie des régions les plus défavorisées de l’intérieur du pays, régions dont les populations ont été longtemps abandonnées par les pouvoirs publics. Les manifestations et les heurts régulièrement observés et de façon croissante ces derniers mois, dans ces régions témoignent du malaise persistant et des attentes nombreuses de ces populations. Des mesures doivent être prises de façon urgente et en priorité des concertations doivent être menées dans un contexte serein et apaisé afin de permettre un dialogue constructif.
Alors qu’au cours des derniers mois, les atteintes à la liberté d’association et les menaces voire les attaques à l’encontre de syndicats et partis politiques se sont multipliées, nos organisations insistent sur l’importance de l’instauration d’un débat serein, franc et constructif entre les différentes parties prenantes. Cela est d’autant plus essentiel que 2013 devrait être une année électorale qui verra la mise en place d’un nouveau régime. En ce sens, les autorités tunisiennes de transition ont la responsabilité de veiller à la tenue d’élections libres et démocratiques et doivent pour ce faire, garantir l’indépendance pleine et entière de l’instance qui sera en charge du bon déroulement de ces scrutins.
La Constitution
Le processus de démocratisation et d’établissement d’un Etat de droit qui a été initié, s’est traduit par un certain nombre d’avancées comme la tenue d’élections libres et transparentes qui ont vu la mise en place d’une Assemblée nationale constituante (ANC) chargée de rédiger une nouvelle constitution, qui sera la pierre angulaire de la 2ème République.
La Constitution qui verra le jour à l’issue des travaux de l’ANC doit toutefois pour répondre aux attentes exprimées par les Tunisien-ne-s lors du soulèvement, garantir les principes mêmes qui ont encouragé celui-ci. Le chantier reste cependant entier, alors qu’en l’état le texte constitutionnel ne se réfèrerait pas explicitement à la Déclaration universelle des droits de l’Homme et n’inclurait pas la reconnaissance formelle de la supériorité des conventions internationales des droits de l’Homme. La consécration pleine et entière des principes d’égalité et de non-discrimination doivent également constituer un élément incontournable de la future constitution tunisienne.
Egalité entre les hommes et les femmes
La Tunisie depuis le début de la transition s’est illustrée par des mesures phares en matière de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes notamment la parité sur les listes électorales et l’annonce de la levée des réserves à la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Importantes, ces mesures n’en sont pas moins incomplètes. La levée des réserves à la CEDAW doit rapidement se traduire par l’harmonisation de la législation nationale, notamment pour ce qui relève de la parité et de mesures concrètes et effectives visant à combattre toutes les formes de violence à l’égard des femmes dans les textes de loi et dans la pratique.
Par ailleurs, la Tunisie devrait prendre les mesures adéquates pour respecter les droits des minorités et mettre un terme à toutes les formes de stigmatisation et de discrimination à leur égard. La liberté de conscience doit être pleinement respectée.
Droits des migrants
La promotion et protection des droits des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile doivent être garanties. La Tunisie est l’un des seuls Etats maghrébins à ne pas avoir ratifié la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Le gouvernement devrait s’engager à ratifier cette convention, abroger toutes les lois qui criminalisent les migrants et veiller à ce que tous les accords bilatéraux relatifs au partenariat sur les migrations soient conclus uniquement sur la base préalable d’une garantie absolue du respect des droits des migrants, réfugiés, et demandeurs d’asile.
La reconnaissance du principe même de liberté est l’un des principaux acquis de la révolution tunisienne, le défi aujourd’hui est de garantir pleinement les libertés individuelles et collectives en Tunisie dans les textes et dans la pratique.
La Justice
Les procédures judiciaires et condamnations visant à sanctionner l’exercice des libertés individuelles, notamment d’expression, se sont multipliées au cours de la dernière année. Il appartient à la justice tunisienne de se conformer pleinement avec les engagements internationaux de la Tunisie dans le traitement des dossiers qui lui sont soumis.
L’indépendance de la justice ainsi que de celles des médias, garants d’un processus de transition démocratique et de l’exercice des droits et des libertés doivent être au cœur des engagements du gouvernement. Les organisations signataires réitèrent leur appel à la mise en place sans délai ni conditions d’une instance indépendante de régulation du pouvoir judiciaire et lui offrir tous les moyens et garanties nécessaires à son indépendance et de transparence. Les organisations signataires appellent en outre les autorités à mettre un terme aux campagnes de diffamation qui ciblent les journalistes et les institutions médiatiques, à arrêter les tentatives de main-mise sur les médias publiques et privés et à garantir l’établissement d’une instance supérieure indépendante disposant des prérogatives et moyens nécessaires pour entreprendre les réformes nécessaires du secteur.
Torture et violences policières
La persistance des actes de torture et des violences policières illustre l’urgence d’une réforme en profondeur du système sécuritaire. La répression de rassemblements pacifiques par les forces de l’ordre ainsi que la recrudescenced’actes de violences perpétrés par des groupes extrémistes à des fins essentiellement politiques dans le cadre de manifestations en Tunisie est source de vive préoccupation. Ces actes qui ciblent notamment des partis d’opposition mais également des syndicats constituent une mise en danger du pluralisme politique fondement d’un système démocratique.
L’inertie des autorités face à ces actes contribue à répandre un sentiment d’impunité pour ceux qui tentent de mettre à mal les libertés fondamentales et notamment les libertés d’association, d’expression et de rassemblement pacifique en Tunisie. Nos organisations appellent les autorités tunisiennes à diligenter des enquêtes indépendantes et impartiales afin que toute la lumière soit faite sur les violences perpétrées et que les responsables aient à rendre compte devant la justice.