La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) s’inquiètent de la vague de poursuites judiciaires à l’encontre de journalistes en Tunisie. Ce 13 septembre 2013, 3 journalistes ont comparu devant des juges d’instruction sous des chefs d’accusation relevant de l’atteinte à l’ordre public voire à la sûreté de l’Etat. Nos organisations s’inquiètent des risques d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques et appellent les autorités tunisiennes à respecter pleinement les libertés d’information, d’expression et d’opinion.
Un mandat de dépôt a été délivré le 13 septembre contre Zied El Heni, journaliste et membre du Syndicat des journalistes tunisiens (SNJT). Celui-ci a comparu le 13 septembre 2013 devant le juge d’instruction du 10ème cabinet du tribunal de première instance de Tunis.
Des avocats présents ont constaté de sérieuses irrégularités. Le mandat de dépôt délivré par le juge d’instruction aurait en effet été remis à ce dernier par le chef de la police. Cela laisse penser que le mandat avait été rédigé avant même l’audition de M. El Heni par le juge d’instruction.
M. El Heni est accusé d’avoir « imputé à un fonctionnaire public ou assimilé des faits illégaux relatifs à ses fonctions sans pouvoir justifier de l’exactitude de l’imputation ». Il lui est reproché d’avoir fait des déclarations relatives à des agissements d’un Procureur de la République sur le plateau de la chaîne Nessma TV.
Zouheïr El Jiss, journaliste de la radio tunisienne « Express FM » a été entendu le 13 septembre devant le juge d’instruction du 14ème cabinet au tribunal de première instance de Tunis et laissé en liberté. Il est accusé de propagation de fausses nouvelles pouvant troubler l’ordre public et d’outrage au Président de la République. Il lui était reproché d’avoir laissé un journaliste libanais déclarer au cours d’une émission qu’il animait, que le Président de la République tunisienne continue à percevoir un salaire de l’Emirat du Qatar par l’intermédiaire de la chaîne de télévision al Jazeera.
Le 18 août, Mourad Meherzi, cameraman pour Astrolabe TV, une télévision en ligne, était poursuivi pour avoir filmé un comédien jetant un œuf sur le ministre de la Culture. Détenu trois semaines, il a été libéré provisoirement le 5 septembre. Il est toutefois toujours accusé de complicité et son procès doit reprendre le 23 septembre.
Taher Benhassine, directeur de la chaîne de télévision Al Hiwar Attounsi et membre du bureau exécutif élargi du parti Nida Tounes, et qui fait l’objet de plusieurs procédures judiciaires, doit également comparaître ce vendredi 13 septembre 2013 devant le juge d’instruction. Les chefs d’inculpation invoqués portent sur des atteintes à la sûreté intérieure de l’Etat (articles 63, 64, 65 et 72 du code pénal) et « incitation directe (…) à commettre les crimes d’homicide, d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne sans que cela soit suivi d’effet (articles 70 du code pénal et 50 et 51 du décret loi 115 daté du 02 novembre 2011 relatif à la liberté de la presse). Il est reproché à M. Benhassine d’avoir appelé par voie de presse à la désobéissance civile et d’avoir incité ses proches à venger sa mort s’il était tué pour son activisme. Son audition sur le fond a été renvoyée au 30 septembre.
M. Benhassine doit également comparaître les 19 et 20 septembre devant le juge d’instruction du 12ème cabinet dans trois autres dossiers où il est suspecté de complot contre la sûreté intérieure de l’Etat et « attentat ayant pour but de changer la nature de l’Etat » (articles 63, 64, 70, 72 du code pénal). Ces inculpations font suite à d’autres appels publics de M. Benhassine à la désobéissance civile.
Si l’appel à la haine et à la violence est interdit en droit international, dans le cas d’espèce, les charges semblent disproportionnées par rapport aux faits reprochés, et la multiplicité des procédures à l’encontre des journalistes fait craindre une dérive contraire à la liberté d’expression.
La FIDH et le REMDH s’inquiètent vivement de cet acharnement envers les journalistes. Elles demandent aux autorités tunisiennes de se conformer pleinement à leurs engagements internationaux de protection des droits humains et en particulier, de respecter et garantir les libertés d’opinion, d’expression et d’information. Elles les appellent à mettre un terme à toute poursuite judiciaire qui constituerait une atteinte à l’exercice de ces libertés et à garantir l’indépendance de la justice.
Contexte:
Cette multiplication des procédures pénales à l’encontre de professionnels des médias, s’inscrit dans un contexte qui laisse craindre une tentative de contrôle des médias tunisiens. Les professionnels des médias se sont en effet fortement mobilisés pour dénoncer plusieurs nominations à des postes à responsabilité au sein des medias publics et en particulier, les radios. Ces nominations ont été jugées arbitraires, alors que les membres de la profession et les structures compétentes telles que la SNJT et la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) n’ont pas été consultées comme le prévoit l’article 18 du Décret-loi N° 2011-116 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et portant création de la HAICA. La SNJT a ainsi organisé une grève générale des journalistes de la radio publique le 3 septembre.
Le personnel de la Radio Tataouine (sud tunisien) a annoncé une grève les 23 et 24 septembre pour protester contre la nomination d’un directeur réputé très proche du parti « Ennahdha ».
Au cours de ces derniers mois, plusieurs journalistes ont également été victimes de licenciements abusifs. Le journaliste Soufiene Ben Farhat renvoyé d’une radio privée, a ainsi mené une grève de la faim pour être rétabli dans ses fonctions. Certains journalistes ont également rapporté avoir subi des intimidations policières et des interrogatoires à cause de leurs opinions et lignes éditoriales.