Tunis, le 1 juin 2024 – Deux ans après les limogeages massifs et arbitraires de 57 magistrat.e.s par le président Kais Saïed, le 1er juin 2022, l’indépendance de la justice en Tunisie continue d’être gravement compromise.
Ces révocations, effectuées sans aucune procédure disciplinaire ou judiciaire équitable et fondées sur des accusations vagues et non étayées, constituent une attaque directe contre l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’état de droit et une violation flagrante des droits humains des magistrat.e.s. En août 2022, le président du tribunal administratif de Tunis, saisi par des magistrat.e.s révoqué.e.s, a ordonné le sursis à exécution de la révocation et la réintégration de 49 d’entre eux, au motif, notamment, que leur révocation n’était basée sur aucune preuve tangible de faute grave. Au lieu de s’y conformer, le ministère de la Justice a engagé des poursuites pénales contre tous ceux qui ont été révoqués, entre autres devant le pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme, pour tenter de justifier leur révocation rétrospectivement.
Malgré les appels répétés à la réintégration des magistrat.e.s révoqué.e.s et à l’annulation des mesures liberticides prises en 2022 par le président Saïed visant à saper l’indépendance de la justice, les autorités tunisiennes n’ont pris aucune mesure concrète en ce sens. Au contraire, elles ont continué à harceler et à intimider les magistrat.e.s critiques, restreignant davantage l’espace pour la liberté d’expression et l’indépendance judiciaire. Selon l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT), en plus de sa main mise sur le mouvement judiciaire annuel publié le 30 août 2023 qui a touché 1088 magistrat.e.s, la ministre de la Justice a ordonné la nomination, la mutation et la suspension d’au moins 105 juges et procureur.e.s. L’AMT affirme également qu’un certain nombre de magistrat.e.s ont été suspendu.e.s de leurs fonctions, avec ou sans salaire, en dehors de toute procédure disciplinaire.
Deux ans après les événements, la situation de la justice en Tunisie demeure alarmante alors même que des vagues d’arrestations contre des journalistes, des avocat.e.s, des opposant.e.s politiques, des militant.e.s, des défenseurs.ses des droits humains et des utilisateurs.rices des réseaux sociaux se sont accélérées durant le mois de mai 2024. Faisant indirectement référence aux récentes arrestations, Saïed a déclaré le 15 mai lors d’une réunion avec la ministre de la Justice que « ceux qui dénigrent leur pays dans les médias (…) ne peuvent rester impunis et irresponsables ».
L’ingérence constante et illégale de l’exécutif dans le pouvoir judiciaire a sapé la confiance du public dans les institutions judiciaires et entravé l’accès à la justice et le droit à un procès équitable et des voies de recours effectives pour tous.tes les citoyen.e.s.
Les organisations signataires réitèrent leur profonde préoccupation face à la dégradation de l’état de droit et des droits humains en Tunisie. Elles appellent les autorités tunisiennes à :
- Réintégrer immédiatement et sans condition tous.tes les magistrat.e.s révoqué.e.s arbitrairement, conformément aux décisions rendues en août 2022 par le président du tribunal administratif de Tunis ;
- Annuler toutes les mesures liberticides prises contre le pouvoir judiciaire et abroger le décret-loi n°11 du 12 février 2022 tel que modifié par le décret-loi n°35 du 1er juin 2022;
- Mettre fin aux discours haineux et aux campagnes de diffamation à l’encontre des magistrat.e.s, des avocat.e.s et des défenseurs.ses des droits humains ;
- Respecter l’indépendance de la justice et garantir l’accès à la justice et le droit à un procès équitable pour tous.tes les citoyen.ne.s en conformité avec les engagements internationaux de la Tunisie.
Organisations Signataires :
- Association des Magistrats Tunisiens
- Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Hommes – LTDH
- Association Tunisienne des Femmes Démocrates – ATFD
- Forum Tunisien des Droits Économiques et Sociaux – FTDES
- Amnesty International Tunisie – AIT
- EuroMed Droits
- Association tunisienne de Défense des Libertés individuelles – ADLI
- Beity
- Avocats Sans Frontières – ASF
- Comité pour le respect des libertés et droits de l’homme
- Comité national pour la défense des libertés et la démocratie
- Legal Agenda – Tunisie
- Aswat nissa
- Fédération Internationale pour les Droits Humains – FIDH
- Association Intersections pour les Droits et les Libertés
- Al Bawsala
- No Peace Without Justice.
- Association calam
- Association ensemble pour la citoyenneté et le changement