Tunisie : dix après, la démocratie en panne ?

Dix ans après la révolution, la situation en Tunisie est explosive et la désillusion générale Depuis près d’un mois, des manifestations rassemblant des dizaines de milliers de personnes – en particulier des jeunes – sont organisées dans toutes les villes du pays. Les Tunisien.ne.s sont désespéré.e.s: le pays est à la dérive, au bord de la faillite économique, et la situation politique, sociale et sanitaire est grave. La pandémie de COVID-19 a précipité la crise et a fini par mettre le pays à genoux. Depuis le début des manifestations, l’Etat est inexistant et réprime violemment les contestations sociales. D’après la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, près de 1.200 personnes ont été arbitrairement arrêtées, dont un tiers de mineur.e.s. Des cas de violences policières et de traitement dégradant ont été signalés.  

Depuis 2011, neuf chefs du Gouvernement et cinq Présidents de la République se sont succédé aux commandes de l’Etat, mais très peu de choses ont changé. Le pays s’enlise dans une crise politique sans précédent. Une guerre ouverte oppose actuellement le Président de la République et le Chef du Gouvernement, une nouvelle motion de censure contre le Président de l’Assemblée se prépare et il n’existe toujours pas de Cour constitutionnelle, seule instance habilitée à arbitrer les litiges entre les deux têtes de l’exécutif. Du fait de cette instabilité politique endémique, aucune vision stratégique, aucun plan de redressement et de développement, aucune réponse aux maux du pays ne peuvent être mis en place.  

Un blocage politique aux conséquences sociales désastreuses 

Les études publiées régulièrement par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux sont alarmantes. Depuis 2011, chaque année, entre 50.000 et 100.000 enfants quittent l’école prématurément. Soit près de 750.000 jeunes en dix ans. En 2020, près de 13.000 personnes se sont embarquées sur des «bateaux de la mort», dont 342 femmes, 385 mineur.e.s accompagné.e.s et 1.400 mineur.e.s non accompagné.e.s. De même, la Tunisie a enregistré l’année dernière 235 cas de suicides ou tentatives de suicide, dont 30% ont concerné des jeunes entre 26 et 35 ans. 

Ces chiffres révèlent un désespoir profond et un manque de perspectives qui ont été aggravés par la pandémie de COVID19. La dette publique et les prix à la consommation continuent à augmenter, tout comme le chômage qui a atteint 17,4% au dernier trimestre 2020. Le pouvoir d’achat et les investissements baissent.  

 Dans ce contexte, le risque que court le pays serait le chaos, car, contrairement à 2011 où les manifestations populaires étaient dirigées contre la dictature, le pays est aujourd’hui en démocratie. Dès lors, si la colère populaire n’est pas jugulée et si des réponses concrètes à la détresse sociale ne sont pas apportées rapidement, le pays risque d’être entrainé dans des dérives violentes. Ce risque est d’ailleurs accru par un climat politique marqué par la violence, la corruption et par une dérive sécuritaire accentuée par le fait que la Tunisie est entourée de pays où des groupes armés sont actifs.