Les femmes arabes ont participé activement aux révolutions et aux mouvements en faveur du changement social qui réclamaient la démocratie, la justice sociale, la liberté, la dignité et l’égalité. Elles ont mené un combat vigoureux pour revendiquer leurs droits au cours des transitions et des processus de réforme et pour demander d’être davantage présentes au sein des organes politiques.
Malheureusement, malgré cet avènement supposé de la démocratisation, les réformes politiques qui prennent forme actuellement ne font aucun cas des droits des femmes. On peut observer des reculs inquiétants dans les transitions et les réformes, depuis la réaffirmation du rôle reproductif des femmes, plutôt que de leur rôle de citoyennes, dans la constitution jordanienne, jusqu’à l’absence presque totale de femmes au parlement d’Egypte.
L’influence des groupes religieux conservateurs, conjuguée à l’ascendant des valeurs patriarcales, a contribué à cette rétrogression des droits et de la participation des femmes. Les progrès gagnés de haute lutte en faveur des droits de la femme sont menacés et risquent d’être anéantis. Depuis les révolutions, les femmes continuent de faire face à une marginalisation plus étendue et d’être la proie de nouvelles violences, y compris le viol et la torture.
Au Maroc, le niveau de la représentation des femmes dans les instances politiques reste peu élevé. On ne trouve qu’une femme au sein du gouvernement formé en novembre 2011, alors qu’il y avait sept femmes ministres dans le gouvernement précédent. Bien que le principe de l’égalité ait été consacré dans la nouvelle constitution, les femmes n’ont obtenu que 16 % des sièges. On trouve de nombreuses dispositions discriminatoires dans le code de la famille (le Moudawana) et dans d’autres textes de loi en vigueur, et la mise en œuvre du code reste assez limitée bien que la nouvelle constitution porte création d’une « autorité pour l’égalité et la lutte contre toutes les formes de discrimination ».
En Egypte, les femmes ont été exclues des comités sur la réforme constitutionnelle. A la suite d’un remaniement ministériel, le nombre de femmes ministres a été réduit de trois à deux, et le quota établi pour la représentation des femmes au parlement a été aboli[1]. A la suite des élections de 2011, la représentation féminine à la chambre basse est passée de 12 % à 1.5 % des 508 sièges.
Par ailleurs, les femmes ont été soumises à de nombreuses violations de leurs droits lors de leur participation aux mouvements de contestation et aux manifestations, ayant notamment été la cible de coups, de tests de virginité contre leur gré et de traitements dégradants. Tout récemment, le 4 mai 2012, la police militaire a détenu 16 femmes et jeunes filles, dont la plus jeune n’avait que 14 ans, lors des manifestations d’Abbassiya. Elles font maintenant l’objet d’une enquête devant le procureur militaire et ont été gravement battues en prison et menacées d’être violées.
En Tunisie, les femmes ont été la cible d’actes de violence perpétrés par des groupes salafistes, notamment à l’encontre d’enseignantes et d’étudiantes universitaires, sans que le nouveau gouvernement réagisse activement. Seulement deux ou trois femmes étaient présentes dans les gouvernements de transition, alors qu’il y avait quatre femmes parmi les 45 membres du gouvernement de l’ancien régime.
En Jordanie, les amendements constitutionnels adoptés récemment signifient qu’on ne peut modifier la législation de façon à favoriser la réalisation intégrale des droits des femmes[2]. Un nouveau paragraphe ajouté à la constitution renforce le rôle traditionnel des femmes et affirme qu’elles doivent être « protégées » et « assujetties à un contrôle[3] ». La nouvelle loi électorale maintient le niveau de la représentation féminine à 10 %. Le nouveau gouvernement jordanien, composé de 30 ministres, ne compte qu’une seule femme.
Encore pis, les organisations de défense des droits de la femme et les associations qui se consacrent à la promotion et au soutien de l’égalité hommes/femmes sont désormais menacées d’être dissoutes ou sont la cible de diffamations. En Egypte, notamment, les organismes gouvernementaux ont imposé des restrictions aux activités de ces groupes. En Egypte et, dans une moindre mesure, en Tunisie, les militantes ont été la cible d’actes de violence verbale et physique, de menaces de mort et de diffamation de la part de partis extrémistes et de certains organes de presse. Nawla Darwish, de la New Woman Foundation (Egypte), se dit très inquiète du nouveau projet de loi sur les ONG, qui propose de restreindre encore davantage la liberté d’expression et d’association. « Notre organisation n’a pas accès à ses ressources financières depuis quelques mois, dit-elle. Nous devrons cesser nos activités si cela continue. »
Profondément préoccupés par cette marginalisation des femmes, 25 représentants d’organisations de promotion des droits humains et des droits de la femme dans la région euro-méditerranéenne se sont rencontrés à Nicosie les 26 – 28 avril 2012 pour discuter des moyens de mobiliser et d’unir leurs forces afin de lutter contre ces tendances alarmantes. Lors de la cérémonie d’ouverture de l’atelier, organisée par l’Institut Méditerranéen pour les Etudes de genre, la ministre chypriote des Affaires étrangères, Erato Marcoullis Kazakou, le chef du bureau du Parlement européen à Chypre, Tasos Georgio, et le nouveau chef de la représentation de la Commission européenne à Chypre, George Markopouliotis, ont exprimé leur engagement à promouvoir et à renforcer les droits des femmes dans la région.
Les participants ont fait état de l’importance d’inscrire les droits des femmes dans les constitutions et les régimes législatifs des pays de la région, de garantir et d’accroître la participation des femmes à la vie politique, de promouvoir les droits économiques et sociaux des femmes et de lutter contre la violence sexiste. Ils ont souligné l’importance d’encourager la solidarité entre les femmes du monde arabe et de l’Europe, à la fois parce que ces régions sont interdépendantes et parce que les femmes sont les premières à souffrir de la marginalisation dans les processus politiques ou des effets de la crise économique.
A la fin de la rencontre, les participants ont affirmé leur détermination de s’opposer plus que jamais à l’exclusion et à la marginalisation des femmes. « Au XXIe siècle, aucun État ne peut prétendre à être démocratique si les femmes n’occupent pas la place qui leur revient dans les instances décisionnelles et si leurs droits ne sont pas pleinement consacrés dans les textes constitutionnels », a déclaré Magali Thill, du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme. Les femmes ont participé aux côtés des hommes aux révolutions qui ont renversé les dictateurs et à la lutte pour la liberté. Il ne convient pas que leurs contributions soient récompensées par la marginalisation et la perte de leurs droits.
[1] FIDH, «Monde arabe : quel printemps pour les femmes ? », 8 mars 2012.
[2] L’article 6 stipule qu’il ne doit pas y avoir de discrimination entre les Jordaniens, en ce qui a trait à leurs droits et obligations, pour des motifs liés à la race, à la langue ou à la religion, mais il n’y est fait aucune mention de la discrimination en fonction du sexe.
[3] « Jordan’s CEDAW Shadow Report – January 2011 », préparé par AWO (Arab Women Organization) et le réseau Mosawa.