Copenhague, Ankara – 15 février 2016
EuroMed Droits et ses organisations membres, Helsinki Citizens’ Assembly (HYD) et l’Association des Droits de l’Homme (IHD) condamnent fermement les persécutions, le harcèlement judiciaire et la campagne de diffamation dirigés contre les quelque deux mille universitaires qui ont signé la pétition pour la paix en Turquie.
Récemment, le 9 février, six professeurs de l’Université de Nişantaşı ont été licenciés de manière arbitraire par la direction. Parmi eux, Nil Mutluer, professeure assistante et représentante de Helsinki Citizen’s Assembly (HYD) à EuroMed Doits. Les autres licenciés sont les professeurs Melih Kırlıdoğ et Selim Eyüboğlu et les professeurs assistants Çetin Gürer, Dilşa Deniz et Muzaffer Kaya.
Des situations semblables se répètent depuis le 11 janvier 2016, alors que 1 128 (aujourd’hui plus de 2200) universitaires en Turquie et à l’étranger, dans le cadre d’une initiative des Universitaires pour la Paix, ont publié une déclaration intitulée “Nous refusons d’être complices de ce crime”. Cette déclaration exprime les inquiétudes suscitées par les mesures de couvre-feu imposées dans plusieurs villes du Sud-Est de la Turquie, parfois 24 heures sur 24 et pendant des semaines entières, exposant ainsi leurs habitants à de graves violations des droits humains. La déclaration demande la levée immédiate des mesures de couvre-feu et la formulation de propositions en vue d’un processus de paix.
Toutefois, peu de temps après la publication de cette pétition, le Président Recep Tayyip Erdoğan a vivement critiqué les universitaires. Dans un discours public prononcé le 15 janvier 2016, il les a qualifiés de “cinquième colonne” du terrorisme et accusés d’avoir commis “le même crime que ceux qui se livrent à des massacres”.
Ce même 15 janvier, 19 universitaires ont été arrêtés et conduits en prison par la police. Bien qu’ils aient été libérés deux jours plus tard, ils restent sous le coup d’une accusation pour “propagande en faveur d’une organisation terroriste” et “dénigrement de la nation turque”, en vertu des dispositions du code pénal et de la loi anti-terrorisme en vigueur en Turquie. Nombre d’autres enseignants pourraient être la cible de poursuites judiciaires, des dizaines d’entre eux font l’objet de poursuites administratives de la part du Conseil de l’Enseignement supérieur (YOK), et plusieurs professeurs d’universités privées ont été contraints à la démission.
De plus, plusieurs universitaires ont dit avoir reçu des menaces par téléphone et sur les réseaux sociaux. Sedat Peker, nationaliste et criminel notoire, a publiquement incité au meurtre et menacé les universitaires en ces termes: “nous nous baignerons dans votre sang”. En outre, des croix rouges et des affiches violentes ont été placardées sur la porte des bureaux de plusieurs enseignants de l’Université Gazi et de l’Université Hacettepe à Ankara et de l’Université Pamukkale à Denizli, qui avaient signé la pétition.
L’essence même de l’université est d’être un espace de création et de débat d’idées, pour la liberté de recherche et d’expression. Cette tradition est enracinée dans des siècles d’histoire et de culture partout dans le monde et doit être protégée en Turquie.
Cette situation, avec pour toile de fond une vague de répression très large, intervient dans le contexte des opérations et des mesures “anti-terroristes” du gouvernement dans les régions du Sud-Est du pays.
Nos organisations condamnent fermement le harcèlement des universitaires et en appellent à la communauté internationale, et notamment à l’UE, pour agir et exiger des autorités turques d’abandonner les poursuites contre les signataires de la Déclaration pour la paix.
Nous rappelons que la Turquie est bénéficiaire du programme de recherche Horizon 2020 et d’autres programmes de coopération universitaire de l’UE comme Erasmus. L’UE devrait utiliser ces leviers pour exiger la protection active des universitaires en Turquie contre l’intimidation, le harcèlement et les poursuites judiciaires.
Plus généralement, l’UE devrait pousser les autorités turques à cesser les persécutions visant les défenseurs des droits humains, les journalistes, les syndicalistes et tous ceux qui expriment des opinions différentes. La Turquie a l’obligation de garantir la liberté d’expression, de réunion et d’association en conformité avec les conventions internationales qu’elle a ratifiées.