Les forces de sécurité marocaines soumettent régulièrement les migrants subsahariens dans le nord-est du pays à des passages à tabac ou à d’autres mauvais traitements, et parfois les volent, a indiqué Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Ces exactions persistent malgré quelques améliorations dans le traitement des migrants depuis que le gouvernement a annoncé une nouvelle politique de migration et d’asile en septembre 2013. Depuis lors, la pratique d’expulser sommairement les migrants à la frontière avec l’Algérie semble avoir cessé.
Selon le rapport de 79 pages, intitulé « Abused and Expelled: Ill-Treatment of Sub-Saharan African Migrants in Morocco » (« Abus et expulsions : Les mauvais traitements infligés aux migrants d’Afrique subsaharienne au Maroc »), ces exactions se sont produites alors que les forces de sécurité appréhendaient les migrants subsahariens qui avaient tenté en vain de rejoindre l’enclave espagnole de Melilla, ou – avant septembre 2013 – alors qu’elles rassemblaient les migrants sans un semblant de procédure régulière afin de les expulser vers l’Algérie. Cependant, les recherches menées à la fin janvier et début février 2014 à Oujda, Nador et Rabat indiquent que les forces de sécurité marocaines font encore usage de la violence contre les migrants expulsés de Melilla.
« Le Maroc devrait clairement indiquer à ses forces de sécurité que les migrants ont des droits », a déclaré Bill Frelick, directeur du programme Réfugiés à Human Rights Watch. « Le Maroc doit mettre un terme aux passages à tabac et autres mauvais traitements des migrants. »
Les forces de sécurité espagnoles font également un usage excessif de la force lorsqu’elles expulsent sommairement les migrants de Melilla, a constaté Human Rights Watch. L’Espagne devrait cesser toutes les expulsions sommaires vers le Maroc à la frontière de Melilla et suspendre les retours forcés vers le Maroc de migrants arrivant à Melilla jusqu’à ce que le Maroc démontre qu’ils ne sont plus en danger de passages à tabac et autres exactions à leur retour et que leurs droits sont protégés.
La nouvelle politique de migration et d’asile au Maroc est basée sur les recommandations du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) et approuvée par le roi Mohammed VI. Les réformes comprennent l’octroi de la résidence légale aux migrants que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a décidé de considérer comme réfugiés. Une fois traités par le Bureau national pour les réfugiés et les apatrides nouvellement réactivé, les réfugiés obtiennent des cartes de résident qui leur donnent le droit de travailler et de bénéficier de certains services sociaux.
Le Maroc a également mis en place une procédure de régularisation « exceptionnelle » jusqu’en 2014 afin de permettre aux migrants sans papiers qui répondent à certains critères de faire une demande pour un statut de résident d’un an renouvelable. On ne sait pas combien des 25 000 migrants subsahariens estimés au Maroc répondront aux critères. Un bref sondage informel a indiqué que peu de ceux qui vivent dans des camps de fortune à Nador et Oujda seraient admissibles.
Le gouvernement a déclaré à Human Rights Watch qu’il est également en train d’élaborer de nouvelles lois sur l’asile, la traite des êtres humains et la migration.
Le rapport de Human Rights Watch s’appuie sur des entretiens menés auprès de 67 migrants subsahariens à l’intérieur et aux environs des villes d’Oujda et de Nador en novembre et décembre 2012. Human Rights Watch a également interrogé des fonctionnaires, des agences internationales et des organisations non gouvernementales et a inclus dans le rapport les réponses du gouvernement à des questions écrites. En janvier et février 2014, Human Rights Watch a interrogé 14 autres migrants à Nador, Oujda et Rabat.
Les migrants d’Afrique subsaharienne quittent leur pays en raison de la pauvreté ; de problèmes familiaux et sociaux ; de bouleversements politiques et de la guerre civile ; et, dans certains cas, la crainte de la persécution. Un grand nombre dans le nord-est du Maroc cherchent à atteindre l’Europe. Un grand nombre de migrants interrogés pour ce rapport vivaient dans des abris de fortune en dehors des grandes villes, survivant avec de maigres ressources et dans la peur constante de descentes policières.
En décembre 2011, selon les rapports d’organisations non gouvernementales, les autorités marocaines ont intensifié la pratique de descentes dans les camps de migrants non officiels situés dans les zones forestières à proximité d’Oujda et de Nador. Les gendarmes et les Forces auxiliaires marocaines ont détruit les abris des migrants et parfois volé leurs objets de valeur au cours de ces descentes, ont expliqué les migrants à Human Rights Watch. Les forces de sécurité ont arrêté les migrants de sexe masculin, les ont transportés par autobus jusqu’à la frontière algérienne et leur ont ordonné de continuer à pied, en contournant les exigences administratives et judiciaires de procédure régulière pour les déportations en vertu du droit international et national.
« Nicolas », 39 ans, du Cameroun, a déclaré avoir été poussé vers l’Algérie alors que les forces de sécurité criaient « Yallah ! [Allons-y!]. » « Ils m’ont vraiment mal traité, ils m’ont donné tellement de coups de pieds que j’urine du sang à cause de ça », a-t-il affirmé. Les noms des migrants interrogés ont été modifiés pour assurer leur protection.
Les entretiens que Human Rights Watch a menés dans le nord-est du Maroc en janvier 2014 auprès des migrants et des organisations non gouvernementales travaillant sur place ont déclaré que les expulsions sommaires à la frontière avec l’Algérie avaient cessé et que les descentes de police chez les migrants vivant à l’intérieur et aux environs d’Oujda avaient diminué depuis octobre 2013. Cependant, la police fait encore des descentes dans la région de Nador. Les migrants ont décrit des descentes qui ont eu lieu aussi récemment que le 29 janvier 2014 quand la police a détruit des campements de fortune de migrants, et ont arrêté et battu les individus qui tentaient d’atteindre Melilla. Les autorités qui ont rassemblé les migrants à Nador ces derniers mois les ont transportés par autobus à Rabat et d’autres villes côtières, plutôt qu’à la frontière algérienne, comme précédemment, ont indiqué les migrants et les groupes non gouvernementaux à Human Rights Watch.
En ce qui concerne les expulsions documentées dans le rapport, le gouvernement marocain a déclaré à Human Rights Watch qu’il n’avait pas expulsé les gens, mais plutôt effectué des retours à la frontière « légitimes ». Cependant, la frontière algéro-marocaine reste formellement fermée et les migrants ont confié à Human Rights Watch que les agents de sécurité marocains les ont emmenés dans des endroits isolés et ont fait usage de la force ou de menaces de la force pour les contraindre à marcher vers l’Algérie.
Les migrants expulsés qui ont rencontré les forces de sécurité algériennes ont été confrontés à d’autres exactions. Les migrants ont affirmé que certaines autorités frontalières algériennes les ont obligés à retourner au Maroc, parfois violemment, après leur avoir volé leurs objets de valeur.
Chaque migrant expulsé interrogé qui avait réussi à revenir à Oujda ou Nador a décrit des expulsions qui ont ignoré les exigences de base d’une procédure régulière.
L’article 23 de la loi marocaine sur l’immigration prévoit le droit de faire la demande d’un avocat ou d’un interprète avant expulsion. L’article 22 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, à laquelle le Maroc est un État partie, prévoit une décision d’expulsion par écrit et la possibilité de contester cette décision.
Tout en notant les caractéristiques positives de la nouvelle politique de migration du Maroc, Human Rights Watch reste préoccupé par de nouveaux rapports de violence policière contre des migrants près de la frontière avec Melilla. Le gouvernement marocain devrait veiller, dans le cadre de ses réformes, à ce que les forces de sécurité s’abstiennent de recourir à la force excessive envers les migrants et respectent les droits à une procédure régulière pour tous les migrants qu’ils appréhendent.
Le gouvernement espagnol devrait arrêter de renvoyer sommairement vers le Maroc les migrants qui atteignent Melilla. La loi espagnole exige que les forces de sécurité et des frontières suivent les procédures d’expulsion lorsqu’elles renvoient les migrants qui entrent illégalement en Espagne. Ces refoulements sont également contraires au droit international et aux lois de l’Union européenne (UE), qui interdisent aux pays de renvoyer de force une personne vers un endroit où elle serait exposée à un risque réel d’être soumise à un traitement inhumain et dégradant. Les autorités espagnoles devraient également assurer des enquêtes diligentes sur les allégations de recours excessif à la force par ses propres forces et faire pression sur le Maroc pour qu’il mette fin à l’usage de la force injustifiée contre les migrants.
Human Rights Watch a examiné le traitement des migrants au Maroc par rapport à l’objectif annoncé par l’UE de contrôler ses frontières grâce à l’aide des pays tiers voisins de l’UE. Le Maroc et l’Union européenne ont adopté une politique commune de prévention des migrations clandestines vers l’UE, grâce à une coopération financière, par exemple. Human Rights Watch a exhorté l’UE à veiller à ne pas fournir de soutien aux programmes ni aux forces marocaines qui violent les droits des migrants, tel que garanti par le droit international des droits humains.
« Le Maroc a apparemment cessé de refouler des migrants à la frontière algérienne, mais ce n’est pas suffisant », a conclu Bill Frelick. « Le Maroc a besoin de procédures fermes pour s’assurer que les droits des migrants à une procédure régulière soient respectés et pour leur permettre de demander l’asile. »
Informations supplémentaires tirées des entrevues de 2014
Deux chercheurs de Human Rights Watch ont mené des entretiens individuels auprès de neuf migrants dans la forêt de Gourougou, près de Nador, et cinq à Rabat. Toutes les personnes interrogées étaient des hommes – dix originaires du Cameroun, deux du Mali et deux du Gabon. Les noms des migrants ont été modifiés pour assurer leur protection. Lors des entretiens avec Human Rights Watch à Nador, les 29 et 30 janvier, et à Rabat le 3 février, les migrants ont déclaré que les forces de sécurité font encore des descentes fréquentes dans les camps de Gourougou, la montagne boisée à proximité de Nador, donnant sur Melilla, au cours desquelles ils détruisent et brûlent les biens et les abris de fortune des migrants.
Nador est un point de départ pour de nombreux migrants qui tentent de rejoindre Melilla, soit par bateau gonflable ou en escaladant en grand nombre les clôtures qui l’entourent, parfois plusieurs centaines de migrants à la fois. Les migrants qui ont réussi à entrer à Melilla ont déclaré que la Guardia Civil espagnole a sommairement renvoyé la plupart d’entre eux et les a remis à la police des frontières marocaines à la frontière. Ils ont affirmé que les autorités marocaines battent fréquemment ceux qui traversent la frontière, y compris des enfants, qui étaient sous leur garde effective et ne résistaient pas ni ne tentaient de fuir.
A la frontière de Melilla
Human Rights Watch a interrogé cinq migrants à Rabat, qui ont expliqué que lors d’une tentative d’escalade de la clôture du périmètre de Melilla aux premières heures du 2 février, la Guardia Civilespagnole et les Forces auxiliaires marocaines ont fait usage d’une force excessive contre eux.
Joseph, 31 ans, originaire du Cameroun, qui boitait et avait un œil enflé, a déclaré :
Nous sommes allés vers la clôture pour entrer à Melilla et nous avons essayé d’y rentrer. Quelques-uns d’entre nous ont réussi à entrer à Melilla mais la Guardia Civil nous a arrêtés. Ils nous ont frappés avec des matraques. Ils nous ont frappés très fort pendant 5 à 10 minutes. Ils nous ont menottés [avec des liens en plastique], puis ils ont ouvert la porte de la clôture et nous ont remis aux Forces auxiliaires [marocaines].
Les Forces auxiliaires nous ont frappés avec des bâtons. En nous frappant, ils nous ont également fouillés. Ils m’ont volé 250 dirhams [30 $ US] et mon téléphone portable. Ils nous ont fait allonger à plat ventre sur le sol, toujours menottés. Nous sommes restés sur le sol pendant une heure tandis qu’ils nous frappaient. Ils m’ont frappé à l’œil avec un bâton. Ils ne se sont arrêtés de nous frapper que lorsque d’autres officiers supérieurs sont venus.
Martin, 22 ans, originaire du Cameroun, a déclaré :
Nous sommes arrivés à la clôture et les sirènes se sont mises à hurler … Je pouvais voir mes amis qui étaient à l’intérieur [de Melilla]. La Guardia Civil a frappé mes amis avec de gros bâtons. Non pas des matraques de police, mais des bâtons. Ils vous frappent jusqu’à ce que vous vous évanouissiez … j’ai battu en retraite vers le côté marocain. Quand je suis redescendu, ils [les Forces auxiliaires marocaines] m’ont frappé. Ils m’ont menotté, puis m’ont fait m’allonger sur le sol, à plat ventre. Ils m’ont fouillé et ont volé mon argent, mon téléphone et même mes chaussures.
William, 24 ans, originaire du Cameroun, a déclaré :
Dans la nuit du 24 décembre [2013], nous étions 15 à avancer vers la clôture. Alors que nous arrivions près de la clôture, les Alit [Forces auxiliaires marocaines] nous ont vus et ont commencé à nous jeter des pierres et des bâtons dessus. Neuf membres des Alit nous ont attrapés, ils m’ont emmené dans un coin caché et m’ont frappé là ainsi que d’autres migrants pendant 30 à 40 minutes, puis ils nous ont emmenés au commissariat. J’ai pu aller à l’hôpital au lieu de ça. J’ai reçu des soins médicaux pour mes blessures et je suis revenu le lendemain à Gourougou, avec l’aide des ONG [organisations non gouvernementales].
Ahmed, 22 ans, originaire du Cameroun, faisait également partie de ce groupe :
Nous avons tous été interceptés et arrêtés à la première clôture. Mes pieds étaient en sang à cause des fils de fer barbelés et les Forces auxiliaires m’ont arrêté. Ils m’ont attaché les mains derrière le dos avec une corde et m’ont battu sur tout le corps avec des matraques. Certains d’entre eux ont sauté sur mon dos pour me forcer à me mettre à plat ventre. À huit heures du matin, ils nous ont conduits au poste de police de Nador. Ils ne nous ont pas demandé de présenter nos papiers. Ils nous ont demandé, comme toujours, nos noms et notre nationalité. Ils ont refusé de me conduire à l’hôpital même si je saignais. Dans la soirée, ils nous ont conduits dans un bus jusqu’à la gare routière de Rabat.