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Lettre ouverte à M. le Directeur général du Bureau International du Travail

M. Guy Ryder, Directeur général du Bureau international du travail

Monsieur le Directeur général,

Vous vous apprêtez à effectuer une visite officielle en Algérie les 15 et 16 avril prochains en votre qualité de Directeur général du Bureau international du travail. A cette occasion, le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) souhaite attirer votre attention sur la multiplication des violations des droits syndicaux ainsi que des droits de l’Homme en Algérie et vous demande de rencontrer les syndicalistes autonomes qui subissent ces violations afin d’entendre leurs revendications légitimes.

A partir de 2011, les autorités algériennes ont mené une série de réformes qui sont loin de répondre aux attentes des citoyens algériens et malgré la levée de l’état d’urgence, effective depuis le 24 février dernier, les entraves aux libertés d’association, d’expression, de rassemblement et syndicales se multiplient en Algérie. Si les autorités essaient de satisfaire certaines des revendications de manière ponctuelle et fragmentée, le régime se montre incapable d’entretenir un véritable dialogue avec les forces sociales et de contenir les mouvements sociaux qui, de manière de plus en plus coordonnée y compris dans le Sud du pays, s’efforcent d’attirer l’attention sur des situations sociales et syndicales dramatiques. Le harcèlement judiciaire à l’égard des militants syndicaux, l’interdiction injustifiée de manifestations et de réunions publiques, le recours à des pratiques administratives abusives entravant l’enregistrement et le fonctionnement des syndicats autonomes ainsi que des associations élèvent des obstacles considérables à l’action de la société civile indépendante algérienne. Ce type de violations constituent une atteinte aux dispositions des conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ratifiées par l’Algérie, notamment la Convention 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical – comme déjà soulevé d’ailleurs par la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT, y compris dans son dernier rapport 2013.

Récemment, à l’occasion du 13ème Forum social mondial qui s’est déroulé du 26 au 30 mars à Tunis, une délégation de 96 militants syndicaux et défenseurs de droits de l’Homme a été bloquée au poste frontalier de Layoun et les participants interdits de quitter le territoire algérien sans que la police des frontières ne sache motiver cette mesure autrement que prétextant ‘des ordres reçus’.

Quelques semaines plutôt en février 2013, le Forum maghrébin des chômeurs qui devait se tenir à la Maison des Syndicats de Bab Ezzouar (quartier d’Alger) a été interdit et les militants maghrébins venant de Tunisie, Maroc et Mauritanie expulsés. La répression de cette rencontre a été vivement condamnée par nombreuses ONG internationales et organisations syndicales internationales dont la Confédération Internationale des Syndicats (CSI). Déjà en 2010, le Forum social maghrébin qui devait se tenir à Alger, avait été interdit par la police.

De plus, les militants syndicaux se heurtent régulièrement à une limitation portant sur leur liberté de rassemblement. Le 25 février 2013 à Alger, un sit-in décidé par un groupe de syndicats autonomes, dont le Syndicat National Autonome des Personnels de l’Administration Publique (SNAPAP), devant le ministère du travail a été réprimé par un important dispositif policier qui s’est déployé dès le matin très tôt pour empêcher tout groupe d’au moins deux personnes de s’y approcher. La plus part des manifestants, venus pour revendiquer le respect des libertés syndicales, ont été alors interpellés et arrêtés parfois même par des policiers en civil.

Par ailleurs, la création de plusieurs nouveaux syndicats autonomes dans différents secteurs est entravée par des pratiques administratives abusives. Selon nos informations, les dossiers de sept syndicats autonomes (Syndicat des Travailleurs du Jardin d’Essais d’El Hamma, Syndicat Autonome des Travailleurs de Nettoiement Algériens – SNATNA, Syndicat National Autonome des Travailleurs de la Fabrication et Transformation du Papier et Emballage – SNATFTPE, Syndicat National Autonome de la Banque de l’Agriculture et du Développement Rural – SNABADR, Syndicat Régional Autonome de la Construction du Bois et de ses Dérivés – SRATCBD, Syndicat National Autonome des Postiers – SNAP, Syndicat des Enseignants du Supérieur Solidaires – SESS), même suite à l’intégration des rectifications demandées, restent sans réponse de la part de l’administration depuis des mois et ce bien que la loi n° 91-30 du 21 décembre 1991 qui régit la création d’un syndicat prévoie que le « récépissé d’enregistrement de la déclaration de constitution » soit livré dans un délai de trente jours par le Ministère du Travail à partir de la date de dépôt du dossier. Les pratiques abusives de l’administration peuvent aller jusqu’à poser des conditions à l’enregistrement qui ne sont pas prévues par la loi. A titre d’exemple le 2 avril dernier, le dossier du Syndicat Autonome des Travailleurs d’électricité et gaz de Sonalgaz (SNATEGS) a été refusé par l’administration qui exige que le syndicat détienne son propre siège avant même son enregistrement.

Par conséquent, lors de votre visite le REMDH vous demande d’appeler les autorités algériennes en particulier à :

  • Se conformer aux dispositions des conventions de l’Organisation internationale du travail ratifiées par l’Algérie, notamment la Conventions (n°87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical ;
  • Garantir l’exercice des libertés de manifestation, d’association, de réunion et de circulation de tous les militants syndicaux et défenseurs des droits de l’Homme conformément à la constitution algérienne et aux obligations internationales, en particulier le Pacte international pour les droits civils et politiques (PIDCP).

Enfin, nous vous réitérons notre appel à rencontrer les syndicats autonomes algériens subissant ces actes de harcèlement afin d’entendre leurs témoignages ainsi que leurs revendications légitimes.

Confiants de l’attention que vous voudrez bien porter à notre requête, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Directeur général, l’expression de notre haute considération.