En Turquie, les mesures antiterroristes sont depuis longtemps utilisées pour empêcher le travail effectué par les organisations de la société civile. En 2021, la situation s’est aggravée pour ces organisations depuis l’adoption, le 31 décembre 2020, de la loi n° 7262 sur la prévention du financement de la prolifération des armes de destruction massive.
L’objectif déclaré de la loi est de mettre en œuvre plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ainsi que les recommandations du Groupe d’action financière (un organisme mondial indépendant de surveillance du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme) concernant la lutte contre le terrorisme et son financement. Pourtant, la loi est utilisée comme un outil supplémentaire dans l’arsenal juridique visant la société civile indépendante. La plupart des articles de la loi n°7262 n’ont pas de lien direct avec cet objectif. Par exemple, la loi introduit des amendements à sept lois, dont la loi sur les associations et la loi sur la collecte de l’aide.
Les organisations non gouvernementales soutenues par la fondation Chrest, basée aux États-Unis, ont été parmi les premières visées. Plusieurs organisations ont été invitées à se soumettre à une procédure d’audit par la Direction générale des relations avec la société civile du ministère de l’Intérieur. Non seulement cette demande impose un lourd processus d’audit aux organisations dont le travail est vu d’un mauvais œil par les autorités, mais le ministère a également accusé plusieurs associations d’avoir « violé la loi sur les associations » et de « ne pas avoir respecté la réglementation fiscale ». Plusieurs dirigeant.e.s d’ONG risquent des poursuites judiciaires. L’impact de la loi n°7262 pourrait faire boule de neige : les organisations qui avaient un partenariat avec une association incriminée seront également contrôlées par les ministères concernés.
La portée ambiguë de la loi, qui n’établit pas de lien clair entre le processus d’audit et l’objectif de lutte contre le blanchiment d’argent, aura un impact négatif sur toute initiative de collaboration émanant des organisations indépendantes de la société civile dans le pays. Des préoccupations officielles ont été exprimées en 2021 par les rapporteurs spéciaux des Nations unies, le Conseil de l’Europe et le Groupe d’action financière lui-même.
Si rien n’est fait contre la loi, celle-ci sapera le dynamisme de la société civile en Turquie et violera à la fois la Constitution turque et les traités internationaux.