Communiqué de presse d’EuroMed Droits en amont du Conseil des ministres de la Justice et des Affaires intérieures de l’UE des 9 et 10 décembre 2021
À l’occasion du Conseil des ministres de la Justice et des Affaires intérieures de l’UE des 9 et 10 décembre 2021, EuroMed Droits exprime son inquiétude quant à l’approche et la réponse de l’UE aux besoins de protection des migrant.e.s et réfugié.e.s actuellement bloqué.e.s à la frontière entre l’UE et la Biélorussie.
Le 1er décembre 2021, la Commission européenne a présenté une proposition de décision du Conseil relative à des mesures provisoires d’urgence au profit de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne. La proposition soulève plusieurs préoccupations en termes de réduction de l’accès à l’asile, d’augmentation des procédures accélérées aux frontières avec une réduction des droits garantis, de recours accru à la détention et de conditions d’accueil précaires. Au moment de la rédaction, au moins 13 personnes étaient déjà mortes à la frontière entre l’UE et la Biélorussie, dont des enfants, des bébés et des femmes. Des centaines d’autres vivent actuellement dans les bois, sous des températures glaciales, sans nourriture ni eau. Ces personnes sont également confrontées à la violence et aux abus continus des forces frontalières.
La réponse de l’UE à cette catastrophe humanitaire est inacceptable
La Commission européenne et les États membres de l’UE tentent de mettre en œuvre certaines dispositions contenues dans le Pacte européen sur la migration et l’asile avant même que celui-ci ne soit réellement adopté. Par exemple, des dérogations au délai d’introduction des demandes d’asile aux frontières, comme le prévoit le règlement sur les situations de crise du Pacte, sont incluses dans la nouvelle proposition de la Commission.
« Il existe également un risque important que ces mesures soient mises en œuvre au niveau d’autres frontières extérieures de l’UE. Le caractère d’urgence et temporaire des mesures suggérées dans la proposition de la Commission pourrait en fait être prolongé et devenir la norme, avec une réduction générale des droits garantis et de l’accès à l’asile. Tout ceci constitue un dangereux précédent », a déclaré Wadih Al-Asmar, Président d’EuroMed Droits.
Accès réduit à l’asile, procédures frontalières accélérées et recours accru à la détention
Tout d’abord, il est impossible de demander aux personnes de déposer une demande d’asile aux points de passage frontaliers officiels. Actuellement, ces points de passage frontaliers ne sont pas accessibles depuis la frontière biélorusse. Les migrant.e.s et les réfugié.e.s sont bloqué.e.s dans les forêts de Biélorussie dans des températures glaciales. Ils.elles n’ont pas accès aux organisations humanitaires, aux avocat.e.s ou aux journalistes, et sont souvent dupé.e.s par les policiers biélorusses quant à la direction à prendre pour atteindre un point de passage officiel. Dans ce contexte, le risque de multiplication des refoulements est réel.
Deuxièmement, une fois que les personnes ont atteint un point de passage frontalier officiel, le délai d’accès à l’asile sera porté à quatre semaines. Ces personnes resteront dans l’incertitude beaucoup plus longtemps, sans accès à la protection et avec un risque d’être victimes de violations. Cette mesure est similaire à celle prise en Grèce en mars 2020, lorsque le droit d’accès à l’asile a été de facto suspendu pendant un mois. Cela crée un précédent pour d’autres situations aux frontières, car l’UE pourrait déployer à nouveau les mêmes solutions que celles proposées actuellement.
Troisièmement, une fois les personnes enregistrées, il faut leur accorder l’accès au territoire. En accélérant la procédure d’asile aux frontières et en suggérant une durée maximale de seize semaines, la proposition de l’UE crée plus de problèmes que de solutions. Pendant ces seize semaines, les demandeurs.ses d’asile se retrouvent de facto dans des camps de détention à la frontière. La proposition stipule en fait que « la prolongation aidera l’État membre à appliquer la fiction de non-entrée pendant une période plus longue », comme le suggère également le Pacte européen. Comme l’ont dénoncé à plusieurs reprises plusieurs groupes de défense des droits humains, dont EuroMed Droits, la procédure accélérée à la frontière ne permet pas de traiter les demandes d’asile avec précision, y compris par exemple l’évaluation des vulnérabilités d’une personne.
Conditions d’accueil de base et manque de « solidarité »
Pour les demandeurs.ses d’asile maintenu.e.s en détention pendant les seize semaines, l’UE ne propose que des « conditions d’accueil de base », qui couvrent le droit à la nourriture, à l’eau, aux vêtements et aux soins médicaux. Il n’est pas fait mention d’autres droits tels que l’aide juridique, le soutien psychosocial ou l’éducation.
La proposition vise à « concrétiser la solidarité de l’Union avec la Lettonie, la Lituanie et la Pologne », mais elle ne mentionne aucun effort de relocalisation. Il n’y a pas de « solidarité » en termes de relocalisation. Comme l’indique Human Rights Watch, l’article 78(3) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) a été utilisé pour la première fois pendant la « crise » migratoire de 2015 pour pousser les pays de l’UE à aider l’Italie et la Grèce en partageant la responsabilité des demandeurs.ses d’asile, et ce, par le biais d’un système de répartition juste et équilibré. Cet article est désormais utilisé de facto pour renforcer la sécurité aux frontières, permettre la détention des demandeurs.ses d’asile et constituer un outil de dissuasion.
« Au lieu de réduire l’accès à l’asile et à l’accueil, et de porter atteinte aux droits et garanties fondamentales à leurs frontières, l’UE et ses États membres devraient ouvrir des voies légales, accorder un accès sûr au territoire et à l’asile, et accroître les efforts de réinstallation et de relocalisation entre les États membres », a conclu Rasmus Alenius Boserup, Directeur exécutif d’EuroMed Droits.
Crédit photo BCC News