Journée pour les droits de la femme
En cette journée pour les droits des femmes, EuroMed Droits fait un tour d’horizon de la région euro-méditerranéenne sur les violences faites aux femmes.
Du Nord au Sud, les femmes continuent à faire face à de nombreux défis. Mentalités, traditions, inégalités entre femmes et hommes, fragilité du cadre institutionnel et législatif, manque de moyens et de formation… le terrain des violences à l’encontre des femmes reste fertile.
Si des progrès doivent être relevés, notamment la signature pour certaines nations de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences conjugales (Chypre, France, Turquie…) ou la reconnaissance du principe de la non-discrimination et l’égalité en droits entre les hommes et les femmes (constitution tunisienne), trop d’obstacles persistent et les femmes restent largement discriminées.
A travers les témoignages de quelques militantes des droits des femmes, EuroMed Droits et ses membres rappellent la gravité des inégalités et des violences faites aux femmes et l’urgence pour les Etats euro-méditerranéens à agir pour les droits des femmes.
Chypre – Christina Kaili
Mediterranean Institute of Gender Studies (MIGS)
Selon vous, quel est l’obstacle principal dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays?
L’obstacle majeur dans la lutte contre les violences faites aux femmes à Chypre est l’absence d’un soutien et d’un système de traitement compréhensifs et multidisciplinaires pour les victimes de toutes les formes de violences à l’encontre des femmes et des enfants. Bien que Chypre ait un cadre législatif et politique relativement satisfaisant sur les violences conjugales, les autres formes de violences à l’encontre des femmes (en dehors du cadre familial) sont généralement oubliées. De nombreux cas reportés de violence conjugale ne vont pas jusqu’à l’investigation criminelle et sont suspendus ou interrompus. En parallèle, les pénalités imposées aux auteurs de violence conjugale sont très décourageantes, tandis que le manque d’assistance légale pour les femmes, les délais injustifiés des services juridiques et les stéréotypes montrent le manque général de prise de conscience.
Dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays, pouvez-vous citer une réussite (législation, politiques, mentalité, etc.)?
Après plus de 2 ans de lobbying et de plaidoyer par MIGS et d’autres ONGs et organisations de femmes, le gouvernement de la République de Chypre a signé en juin 2015 la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences conjugales. Mais notre travail n’est pas fini, car nous tentons désormais, via des expertises, d’apporter un soutien technique et des recommandations à l’attention des décideurs politiques, afin qu’ils fassent les changements juridiques nécessaires pour ratifier cette Convention. La Convention d’Istanbul est le premier instrument juridiquement contraignant à fournir des mesures spécifiques concernant la prévention, la protection et les poursuites de toutes formes de violences à l’encontre des femmes.
Accepteriez-vous de partager l’histoire de l’une (ou plusieurs) de ces femmes victimes de violences?
C’est l’histoire d’Alexandra qui a rencontré Christos quand elle avait 20 ans, deux ans après son arrivée à Chypre, après avoir quitté la Roumanie pour devenir aide-ménagère sur l’île.
« Cela m’a pris du temps pour me rendre compte que la personne avec qui je partageais ma vie, était violente. Il a commencé à me faire des reproches, à m’intimider et à me menacer quand je n’étais pas d’accord. J’étais jeune et j’avais une vision romantique de la violence. Je l’ai épousé en croyant pouvoir le changer et lui montrer comment aimer. C’est un mythe dans lequel de nombreuses femmes tombent. Être marié avec lui a été un enfer. Il m’insultait et me battait constamment et j’étais forcée à coucher avec lui. Je n’en avais souvent pas le courage, mais lorsque je tentais de le quitter, il se changeait en homme sensible et disait qu’il ne voulait pas me perdre. Quand je lui donnais une énième chance, il redevenait un monstre violent. C’est un cycle vicieux de pouvoir et de violences, qui continua même quand j’étais enceinte. Après avoir eu deux filles de lui, je savais qu’il me battrait même sans raison et n’importe quand. »
Lorsqu’il a commencé à menacer leurs filles, Alexandra a décidé de le dénoncer à une ONG locale qui gère un refuge pour femmes battues à Chypre. Elle l’a alors dénoncé à la police.
Le cas d’Alexandra montre un problème social et une injustice plus large. Les violences à l’encontre des femmes, en particulier les violences conjugales, impliquent une combinaison de formes de violences (verbale, psychologique, physique et sexuelle) et sont liées à différents types de vulnérabilité (race, classe, etc.).
Egypte – Nada Nashat
Center for Egyptian Women’s Legal Assistance (CEWLA)
Quel est l’obstacle principal dans la lutte contre la violence dans votre pays ?
Les principaux défis auxquels nous faisons généralement face dans notre travail ce sont les mentalités conservatrices et traditionnelles. Celles-ci légitiment et renforcent la culture des violences à l’encontre des femmes, et les déshumanisent.
A l’origine de ces mentalités, le discours religieux conservateur que l’on continue à propager dans les mosquées et les églises en Egypte, et dans n’importe quelle autre institution religieuse. Ce discours ne se contente pas d’adopter les interprétations conservatrices des religions, il mêle la culture à l’opinion religieuse.
Des lois discriminatoires contre les femmes contribuent aussi à nourrir cette culture de violence contre les femmes, ainsi que la discrimination. On trouve par exemple des articles du code pénal qui font une nette distinction entre les hommes et les femmes en matière de pénalité. Cette distinction est justifiée expressément sur le genre. Ainsi, en droit de la famille, pour demander le divorce, il suffit aux hommes d’en faire la demande verbale. Ils n’ont pas besoin de se présenter devant un tribunal pour mettre un terme à leur mariage. En revanche, les femmes doivent recourir aux tribunaux pour divorcer de leurs époux…
Dans la lutte contre les violences faites aux femmes pouvez-vous citer une réussite ? Citez certains cas de femmes ayant bénéficié de cette réussite.
Malheureusement les plus grands succès ne se matérialisent pas encore sous la forme de politiques, mais plutôt dans la manière dont certaines organisations parviennent à faire évoluer les mentalités de quelques leaders religieux, à travers des ateliers et des publications sur les femmes et les interprétations religieuses progressistes.
Malgré l’absence de politique précise contre les violences faites aux femmes, CEWLA et les organisations partenaires de la société civile ont soulevé plusieurs demandes pour émettre justement une loi qui lutterait contre les violences faites aux femmes. L’État a enfin accepté de discuter de la nécessité d’une telle loi.
Accepteriez-vous de partager l’histoire de l’une de ces femmes victimes de violence ?
J’aimerais évoquer le cas d’une femme, qui mariée pendant trois années à un homme violent, a été battue au point d’avoir plusieurs os cassés et de multiples blessures. Après l’intervention juridique de CEWLA, cette femme a finalement pu obtenir le divorce et une pension alimentaire pour son enfant.
La victime a reçu un soutien psychologique, elle a pu bénéficier d’un logement, car naturellement elle ne pouvait plus vivre sous le même toit que son mari, et elle a reçu un soutien économique jusqu’à l’obtention de ses papiers civils (carte d’identité et certificats). Avec ses papiers, la femme a pu se remettre à la recherche d’un emploi et d’un logement.
France – Françoise Brié
Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF)
Selon vous, quel est l’obstacle principal dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays ?
Le lien entre les violences à l’encontre des femmes et les inégalités entre les femmes et les hommes n’est pas encore suffisamment compris dans la société française. Les stéréotypes sexistes persistent encore, en particulier concernant le viol et les agressions sexuelles. De plus, les sensibilisations à l’égalité auprès des jeunes dès l’enfance sont encore à développer, au travers des livres scolaires (et de la places des femmes), des médias ou des réseaux sociaux, de la lutte contre les publicités sexistes, du cybersexisme, etc.
Dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays, pouvez-vous citer une réussite ? Pouvez-vous nous raconter certains cas spécifiques de femmes qui ont bénéficié de cette réussite?
Plusieurs éléments ont progressé depuis les années 90 : la législation tout d’abord avec par exemple les circonstances aggravantes pour les conjoints et ex-conjoints, ou la reconnaissance du viol conjugal. Plusieurs lois en 2010 et en 2014 ont permis d’associer prévention, protection et répression, ce qui est essentiel dans la lutte contre les violences. Les femmes peuvent demander une ordonnance de protection (violences conjugales, mariages forcés), interdire à l’agresseur d’entrer en contact avec la victime, attribuer le domicile à celle-ci et demander à l’auteur des violences d’assurer financièrement le loyer et les besoins élémentaires. Même provisoire (6 mois avec possibilité de renouvellement), cette mesure permet aux victimes d’être protégées, de préparer la séparation et d’entamer des procédures dans un environnement propice à leur reconstruction.
Accepteriez-vous de partager l’histoire de l’une de ces femmes victimes de violences?
Madame A est âgée de 25 ans, mariée, enceinte, mère d’une petite fille de 1 ans et sans ressources. Monsieur est très gentil avec elle en public et très différent en privé : il l’insulte, la rabaisse, la gifle devant sa fille et profère même des menaces de mort, directes ou indirectes. Lorsqu’il observe qu’elle tente de se révolter, il empêche le renouvellement de son titre de séjour et la dénonce à la préfecture par un courrier dans lequel il indique le refus d’intégration en France et de l’apprentissage de la langue. Suite à de nouvelles scènes de violences, Madame prend contact avec une association et dépose une plainte. Elle bénéficie d’une aide juridictionnelle et trouve une avocate pour sa défense.
Les violences sont reconnues comme avérées et graves par la justice pénale et son mari a été condamné à un an ferme. Il a ensuite été mis sous contrôle judiciaire durant 2 ans, avec interdiction d’approcher son ex-épouse, mais celle-ci a peur des représailles et pour son enfant.
Jordanie – Eva Abu Hallaweh
Mizan Law Group for Human Rights
Quel est l’obstacle principal dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays ?
L’un des défis majeur des violences contre les femmes c’est l’impunité qui persiste pour les auteurs des violences. La législation est très faible en ce qui concerne la violence physique et garantit également l’impunité pour les violences sexuelles en permettant à l’auteur de se marier avec la victime. En outre, il est compliqué de s’occuper au mieux des victimes car il n’existe pas de mesures appropriées pour celles-ci, les mentalités étant trop peu évoluées.
Dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays, pouvez-vous citer une réussite ? Pouvez-vous nous raconter certains cas spécifiques de femmes qui ont bénéficié de cette réussite?
La Jordanie est actuellement le premier pays arabe ayant adopté une loi qui protège les victimes des violences domestiques. Une unité spéciale a été mise en place pour traiter des cas de violence domestique.
Accepteriez-vous de partager l’histoire de l’une de ces femmes victimes de violences?
En Mars 2015, l’ONG Mizan a remporté en Jordanie la première affaire liée à des violences domestiques et pour laquelle les auteurs ont été condamnés.
Il s’agissait dans cette affaire d’une jeune fille, première enfant d’un couple qui aurait préféré un garçon. Du fait de la frustration de ses parents, la fillette était régulièrement torturée et souffrait de nombreux mauvais traitements ; affamée, brûlée, attachée… et bien plus encore. Comme ses frères souffraient tous d’un handicap mental, les parents de la fillette étaient encore davantage excédés.
Mizan s’est emparé de l’affaire et a aidé les avocats dans leur plaidoirie. Ce fut un succès.
3-4 victimes sont désormais en attente d’une indemnisation, ce qui pourrait concourir à une meilleure prévention des mauvais traitements et de la torture, en ce que les auteurs comprendraient que désormais ils peuvent être poursuivis.
Maroc – Naima Oualhi
Association Marocaine des Droits Humains (AMDH)
Quel est l’obstacle principal dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays ?
Si les femmes au Maroc souffrent encore de violence à cause de leur genre, c’est du côté législatif qu’il faut se tourner pour en trouver le responsable : notre société n’a jamais connu autant de lois, et pourtant ce sont ces lois qui font obstacle dans la lutte contre la violence envers les femmes; la discrimination persiste, les cas de mariage de filles mineures augmentent, la polygamie continue et la garde des enfants par leurs mères subit des conditions restrictives. Au Maroc, la loi échoue et déçoit les femmes marocaines.
Dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays, pouvez-vous citer une réussite ? Pouvez-vous nous raconter certains cas spécifiques de femmes qui ont bénéficié de cette réussite?
Les mouvements féministes et de droits humains sont parvenus à réaliser un changement partiel de la loi 475 du droit pénal, qui permettait à un violeur de se marier avec sa victime et ainsi à échapper aux répercussions. C’est malencontreusement le suicide très médiatisé d’une jeune fille de 16 ans, Amina Elfilali, le 10 mars 2012 à Larache (près de Tanger) qui a donné un puissant élan pour la lutte contre cette loi. Amina avait été contrainte par sa famille d’épouser l’homme qui l’avait violée à deux reprises.
Cette loi a depuis été annulée et nous luttons aujourd’hui pour une loi qui protège les femmes contre toute sorte de violence.
Accepteriez-vous de partager l’histoire de l’une de ces femmes victimes de violences?
Rabia Ziadi a été soumise à la violence de son ex-mari qui était policier, qui a voulu se venger du fait qu’elle ait eu recours à la justice pour prouver la paternité de sa fille. Kidnappée, emprisonnée, violée et torturée, Rabia a souffert d’une hémiplégie avant de mourir mi-février 2016.
Maroc – Nabia Haddouche
Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM)
Quel est l’obstacle principal dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays ?
Les obstacles de la lutte contre les violences faites aux femmes au Maroc sont principalement liés:
1) à l’acceptation sociale des violences faites aux femmes surtout dans l’espace privé ;
2) à l’impunité dont bénéficient les agresseurs, ce qui fait que même les actes de violence réprimés par la loi ne font pas forcement l’objet de plaintes auprès des autorités compétentes ;
3) aux nombreuses lacunes en matière de lutte contre les violences dans le cadre juridique actuel ; la non incrimination du viol conjugal et l’absence de législation spécifique couvrant la violence domestique.
Dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays, pouvez-vous citer une réussite ? Pouvez-vous nous raconter certains cas spécifiques de femmes qui ont bénéficié de cette réussite?
Des femmes des terres collectives étaient exclues des bénéfices de ces terres par les us et coutumes, mais suite à leurs mobilisations et au soutien de l’ADFM, elles sont parvenues à renverser la situation. Sur le plan administratif et légal le Ministère de l’intérieur a publié 3 circulaires (de 2009 à 2012) dans lesquelles les femmes des terres collectives sont reconnues comme ayants droit au même titre que les hommes.
Suite à l’application de ces circulaires les femmes de plusieurs tributs autour de la ville de Kénitra ont bénéficié de lots de terrains et d’indemnisation financière comme contre partie lors des cessions de ces terres.
Accepteriez-vous de partager l’histoire de l’une de ces femmes victimes de violences?
Une jeune femme de 28 ans, maman d’un enfant de 16 mois, était victime de violences physiques de la part de son mari qui l’a expulsée du domicile conjugal et gardé l’enfant. La jeune femme a donc porté plainte contre son mari et réclamé la garde de son enfant. Le tribunal a renvoyé la femme à son ancien domicile conjugal sans aucune protection. Après être venue au centre Nejma de l’ADFM pour bénéficier d’une écoute et d’une orientation juridique, l’assistante sociale a rédigé un courrier adressé à la responsable de la cellule d’accueil des femmes victimes de violences du tribunal de première instance et a ensuite accompagné la jeune femme au tribunal afin d’y rencontrer la responsable de la cellule des femmes victimes de violences qui a elle-même contacté le responsable de la police judiciaire concernée. Cette dernière a accompagné la victime à son ancien domicile conjugal où elle a pu y récupérer son enfant. La jeune femme est actuellement en instance de divorce.
Territoires Palestiniens Occupés – Lamya Shalaldeh
Women Centre for Legal Aid and Counseling (WCLAC)
Quel est l’obstacle principal dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays ?
Le plus grand défi en termes de violences faites aux femmes se situe au niveau des lois, plus précisément dans l’absence à la fois d’un code pénal adéquat mais aussi d’un projet de loi visant à protéger la famille des phénomènes de violence. Ceci a pour conséquence de maintenir les violences faites aux femmes dans la sphère du privé au lieu de l’amener dans la sphère du public et par là-même, de permettre à ceux qui se rendent coupables d’actes de violences d’éluder leur responsabilité directe dans ce phénomène de violence domestique.
Dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays, pouvez-vous citer une réussite ? Pouvez-vous nous raconter certains cas spécifiques de femmes qui ont bénéficié de cette réussite?
Suite à la volonté du procureur général Youssef Idaiss de réviser la loi du statut personnel en 2012, les femmes palestiniennes victimes de violences peuvent à présent obtenir le divorce sans devoir fournir une longue liste de preuves ‘motivant’ leur demande de divorce ou de recueillir des témoignages des faits de violence, comme de par le passé. Il est à présent possible pour ces femmes d’entamer une procédure allégée dont la décision revient au juge sur simple base de sa conviction. Les témoignages à charge des proches, auparavant obligatoires pour corroborer les dires de la victime, peuvent être remplacés par la demande faite à la victime de prêter serment lors de ses déclarations.
Accepteriez-vous de partager l’histoire de l’une de ces femmes victimes de violences?
Une femme de 51 ans, résidant à Ramallah, se présente au tribunal de Ramallah en 2011 pour demande de divorce sur motifs de violences conjugales. À l’époque, les preuves exigées pour motiver sa demande sur base de ‘conflit et de séparation’ sont très difficiles à recueillir. Son dossier reste donc incomplet… La femme, ayant eu vent d’une possible révision de la loi sur le divorce décide de ne pas se présenter le jour de son audience dans l’espoir de la faire reporter jusqu’à la révision de loi. En 2012, la femme se présente finalement au tribunal et obtient le divorce.
Syrie – Sema Nasser
Urnammu
Quel est l’obstacle principal dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays ?
Les violences basées sur le genre se nourrissent pour la plupart des mœurs et des traditions sociétales, mais également de lois discriminantes (pénal, statut personnel etc). Il est en effet préoccupant que non seulement les lois relatives aux questions des femmes ne comportent aucun élément de réforme mais qu’elles semblent revenir sur des acquis précédents en matière d’émancipation des femmes !
Le contexte très particulier du conflit armé en Syrie et le silence de la communauté internationale au sujet des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par les autorités et les milices armées ces cinq dernières années renforcent ces politiques discriminatoires. Les femmes victimes de violence ne peuvent donc qu’être amenées à la conclusion que ceux qui se rendent coupables de ces actes jouissent d’une totale impunité.
Dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays, pouvez-vous citer une réussite ? Pouvez-vous nous raconter certains cas spécifiques de femmes qui ont bénéficié de cette réussite?
Suite à la pression exercée par les militants et militantes, les organisations de la société civile et les associations féministes en Syrie, deux projets d’un nouveau code du statut personnel de 2010 légitimant toutes les causes de discrimination et de violence à l’encontre des deux maillons les plus vulnérables de l’unité familiale (les femmes et les enfants) ont été annulés.
Accepteriez-vous de partager l’histoire de l’une de ces femmes victimes de violences?
Sanaa est mère de filles et vit dans la banlieue de Homs. Sanaa s’est rangée du côté de la révolution syrienne, dans l’espoir de voir un vent de changement souffler sur une Syrie libre et démocratique, dans laquelle tous les Syriens jouiraient des mêmes droits et auraient les mêmes devoirs.
Tandis qu’elle rentrait d’une mission (transporter des médicaments aux victimes des tirs du régime), Sanaa est arrêtée à un barrage tenu par des militaires du régime qui découvrent qu’elle est en possession de médicaments. Elle est conduite à un bureau de la sécurité militaire à Homs et est frappée violemment par un des soldats qui l’insulte et la traite de terroriste. Elle est ensuite envoyée à Damas pour que l’on la traduise en justice, mais sur place, le soldat qui s’occupait de son cas se rend compte qu’elle est chrétienne et qu’elle porte la nationalité américaine. Sanaa est immédiatement relâchée.
En quête de soins urgents pour son nez gravement blessé, Sanaa se heurte au refus des médecins une fois qu’ils apprennent qu’elle a séjourné dans les geôles du régime. Un médecin prend pitié et accepte néanmoins de la soigner.
Une fois de retour chez elle, Sanaa découvre que son mari a pris les fillettes et est parti aux Etats Unis. Désapprouvant les tendances révolutionnaires de sa femme et ayant peur que la mère ne tente de faire rentrer les filles avec elle en Syrie, le mari de Sanaa l’a dénoncée aux autorités syriennes qui l’ont sommée de quitter le territoire sans possibilité de retour. Une fois aux Etats Unis, elle se retrouve interdite de contacter ses filles, son mari ayant averti les autorités américaines et l’ayant cataloguée de terroriste. Sanaa est repartie vers Beyrouth, sans mari, sans enfants… où elle milite pour les femmes syriennes victimes de violence dans son pays.
Tunisie – Monia Ben Jamia
Association Tunisienne de Femmes Democrates (ATFD)
Selon vous, quel est l’obstacle principal dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays ?
Les femmes ne dénoncent guère les violences subies en raison de pressions multiples. Famille, société… la femme est priée de ne pas porter plainte pour maintenir la cohésion familiale ou sauvegarder l’honneur. Les institutions (Police, Justice, etc.), qui manquent de moyens et de formation, conseillent souvent aux femmes d’abonner leurs poursuites.
L’obstacle est surtout la législation pénale, qui encourage l’impunité. Les violences dans le couple sont punies avec gravité si et seulement si les coups et blessures sont perpétrés par le conjoint. Les ex-conjoints et autres partenaires ne sont pas concernés. Quant aux violences morales, sexuelles et économiques commises par le conjoint, elles sont ignorées. Il n’est donc pas étonnant qu’autant de meurtres soient commis par les conjoints. Sans violence, l’acte sexuel infligé à une adolescente est absout si l’auteur accepte d’épouser sa victime. Le viol « sans violence physique » est souvent considéré par les juges comme un acte consenti, qui concèdent alors des circonstances atténuantes ou concluent au consentement de la victime, et prononcent un acquittement.
Dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays, pouvez-vous citer une réussite ? Pouvez-vous nous raconter certains cas spécifiques de femmes qui ont bénéficié de cette réussite ?
Avec la promulgation de la Constitution le 27 janvier 2014, nous nous réjouissons que la lutte contre les violences faites aux femmes soit enfin à l’ordre du jour. Avec l’article 46, l’Etat a l’obligation de prendre « les mesures nécessaires » pour « mettre fin à la violence contre la femme ». Un projet de loi intégral de lutte contre les violences est en cours et devrait être adopté par le gouvernement au courant du mois de mars. La société civile est très mobilisée en la matière.
Accepteriez-vous de partager l’histoire de l’une de ces femmes victimes de violences ?
Violée par deux agents de police, Myriam Ben Mohamed (nom d’emprunt) s’est vue poursuivie pour outrage public à la pudeur avant que ne soit prononcé un non-lieu. On a tenté de légitimer son viol parce qu’elle aurait été trouvée dans une posture contraire aux mœurs avec son fiancé.
Violée trois fois par deux des agents de police qui l’avait arrêtée, la jeune femme a dû se battre pour faire constater le viol dans un hôpital, puis pour trouver un poste de police qui veuille bien recueillir sa plainte.
Si Myriam a tu son viol dans son entourage pour préserver l’honneur, elle a choisi de témoigner publiquement, le visage flouté. Tout Tunis s’est emparé de l’affaire, blâmant cette femme qui n’aurait pas dû se trouver dans un endroit désert, la nuit, en compagnie d’un homme qui n’est pas son mari. Myriam a finalement été contrainte à l’exil pour sauvegarder son anonymat, sa santé mentale et pour se reconstruire.
14 ans de prison ont été requis en appel contre les agresseurs, un jugement clément pour un viol collectif commis par des agents de l’Etat. Le viol a en effet été requalifié de « viol sans violences physiques ».
Tunisie – Raoudha Gharbi
Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH)
Quel est l’obstacle principal dans la lutte contre la violence dans votre pays ?
Si la révolution de 2011 a considérablement accru la force de la société civile en Tunisie, de multiples violences persistent. Ainsi, même si les femmes se mobilisent davantage et se battent pour la protection et la promotion de leurs droits, elles subissent encore des violences à la fois politiques, économiques, sociales et symboliques.
L’imaginaire collectif domine, et avec lui le préjugé ancestral de l’infériorité des femmes. Or il semble qu’ « infériorité » rime avec « violence » car dans la sphère domestique, l’usage de la violence reste un principe d’éducation et de régulation des conflits familiaux où les femmes sont les premières victimes. A la maison ou à l’école, le châtiment physique persiste et est encore considéré comme un moyen efficace de la socialisation tant familiale que scolaire. Sans parler de toutes les autres formes de violences…
Le principal défi en Tunisie c’est donc de transformer les mentalités et de détruire l’idée reçue que la violence à l’égard des femmes est ordinaire. Au contraire, la société doit intégrer que cette violence est une violation des droits fondamentaux des femmes. Pour ce faire, l’éducation et la culture doivent promouvoir un climat d’égalité et de respect des femmes et des fillettes, et leur droit à la dignité à l’intégrité physique morale et sexuelle est à mener, à large échelle et auprès de toutes les catégories d’âge. Alors peut-être la justice suivra et s’alignera sur les standards internationaux.
Dans la lutte contre les violences faites aux femmes pouvez-vous citer une réussite ? Citez certains cas de femmes ayant bénéficié de cette réussite.
Selon moi, la réussite majeure réside dans les garanties données par la Constitution du 27 janvier 2014 en ce que le préambule et l’article 21 inscrivent le principe de la non-discrimination et l’égalité en droits entre les hommes et les femmes. De plus, l’article 46 mentionne l’engagement de la Tunisie « à prendre les mesures nécessaires pour éradiquer la violence contre les femmes ».
Autre lueur d’espoir, la réactivation d’une stratégie nationale élaborée en 2007 pour prévenir les violences perpétrées au sein de la famille et dans la société. La réactivation de la mise en œuvre de cette stratégie, restée longtemps sans suivi, s’est illustrée par l’inauguration récente d’un centre d’hébergement pour femmes victimes de violences sous l’égide du Ministère des Affaires de la Femme et de la Famille. Sa gestion a été confiée à l’Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement.
Accepteriez-vous de partager l’histoire de l’une (ou plusieurs de ces femmes) victimes de violence ?
Comme Monia Ben Jemia, le récit le plus symbolique selon moi est celui de Myriam Ben Mohamed. Cette affaire a connu une médiatisation sans précédent en Tunisie du fait de l’implication de deux agents de l’Etat censés protéger les citoyens.
Cette affaire illustre parfaitement le climat de violence qui règne à l’égard des femmes et illustre le manque de moyens législatifs et institutionnels pour lutter efficacement contre ces violences.
Turquie – Nil Mutluer
Helsinki Citizens Assembly (HCA)
Quel est l’obstacle principal dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans votre pays ? Quel serait le principal succès ?
Grâce à la pression des mouvements des femmes en Turquie, en 2002, le Code Civil et le Droit pénal ont été amendé en faveur des femmes. Depuis lors, la Turquie est devenue l’un des premiers signataires de la Convention d’Istanbul de 2011 et a adopté la loi n° 6284 sur la prévention des violences à l’égard des femmes.
Néanmoins, les développements actuels ne garantissent ni la bonne application de ces lois, ni le développement de politiques connexes. L’approche globale conservatrice et patriarcale des personnalités et des décideurs politiques garantit un terrain pseudo-légitime pour que la bureaucratie d’Etat n’ait pas à appliquer de manière régulière ces lois. Ainsi la prévention, la protection et la justice rendue contre les actes de violence à l’égard des femmes sont très fragilisés.
En outre, depuis ces dix dernières années, le gouvernement a introduit de nouvelles valeurs sociétales dans ce qu’il appelle « la nouvelle Turquie ». Ces valeurs font des femmes les Mères musulmanes-nationalistes de la Nation. Lorsque les femmes agissent à l’encontre de ce courant, il est fréquent qu’elles soient blâmées publiquement par des personnalités de haut rang, tel que le Président, le Premier ministre ou d’autres hauts responsables.
Accepteriez-vous de partager l’histoire de l’une (ou plusieurs de ces femmes) victimes de violence ?
Les violences contre les femmes sont monnaie courante en Turquie. Rien que pour l’année 2015, les statistiques montrent que 290 femmes ont été assassinées. Mais beaucoup d’autres cas n’ont pas été recensés…
Le nombre d’actes non mortels de violences contre les femmes est encore plus élevé. Un Compteur numérique a été créé pour commémorer la mémoire des femmes victimes d’assassinat.