Depuis l’explosion massive et meurtrière du port de Beyrouth le 4 août dernier, les manifestations de la « Révolution d’octobre » contre la corruption endémique et la mauvaise gestion politique au Liban, qui ont éclaté en octobre 2019, se sont poursuivies sans relâche. Le 13 août, le Parlement a répondu aux manifestant.e.s en décidant de donner des pouvoirs étendus aux militaires dans le cadre de l’état d’urgence, maintenant prolongé jusqu’au 18 septembre.
La militarisation du maintien de l’ordre est une dangereuse fuite en avant car elle donne à l’armée le pouvoir d’imposer des couvre-feux, de limiter la liberté d’expression, d’interdire les rassemblements, de réduire la presse au silence en imposant la censure, ainsi que d’arrêter toute personne perçue comme une « menace pour la sécurité ». Le fait que la loi ne définisse pas ce qui constitue une telle menace peut conduire à rendre silencieux les dissident.e.s. Cela augmente également le risque que les manifestant.e.s soient victimes de mauvais traitements et de torture en détention, en violation de la loi anti-torture de 2017, tout en réduisant les chances que la justice soit rendue. Les procédures judiciaires peuvent avoir lieu devant des tribunaux militaires qui ne répondent pas aux normes internationales en matière de procédure équitable et régulière.
En outre, l’armée libanaise et des officiers armés en civil ont fait un usage excessif de la force contre les manifestant.e.s, avec des balles réelles, des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc. Des centaines de personnes ont ainsi été blessées, dont beaucoup avec des blessures graves. Des journalistes ont également été régulièrement agressés, et l’armée a désormais la capacité d’interdire des publications considérées comme une menace pour la sécurité nationale. Cette évolution alarmante porte atteinte à la liberté de la presse dont le rôle est d’amener les autorités à rendre des comptes.
EuroMed Rights demande aux autorités libanaises de donner l’ordre aux forces de sécurité de cesser de recourir à la violence pour maintenir l’ordre lors des manifestations, de traduire en justice les auteurs de violations des droits humains et de rétablir l’État de droit en empêchant que les cas de civils faisant l’objet de poursuites soient portés devant des tribunaux militaires.
EuroMed Rights appelle l’Union européenne et ses Etats membres à:
- Exhorter les autorités libanaises à immédiatement s’abstenir d’utiliser une force excessive contre les manifestant.e.s, à respecter l’État de droit et à protéger la liberté de la presse;
- Veiller à ce que leur aide humanitaire au Liban, qui vise à panser les blessures laissées par l’explosion, ne tombe pas entre des mains corrompues;
- Déterminer si leur soutien dans le cadre de partenariats bilatéraux n’est pas utilisé par des forces de sécurité qui violent les droits humains et, dans l’affirmative, cesser immédiatement de fournir ce soutien et revoir leur programme afin de tenir les autorités responsables de toute mauvaise utilisation des fonds.