La semaine dernière, dans le sillage des tensions politiques croissantes et de la violence urbaine qui secouent le pays, le ministère égyptien de la justice a annoncé la soumission au gouvernement pour examen et approbation d’un nouveau projet de Loi relative aux Associations civiles et aux Fondations et d’un autre sur les manifestations.
Le Réseau Euro-méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH), la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) sont extrêmement préoccupés par le fait que les autorités égyptiennes puissent adopter de telles lois répressives dans une tentative de museler les voix dissidentes et d’étouffer les libertés de la population dans le pays.
Cette situation plus qu’inquiétante survient dans un contexte où les autorités publiques répondent aux manifestations de rue par un recours excessif à la force à l’aide de gaz lacrymogène et de tir à balles en caoutchouc. Ces actes de répression ont entraîné la mort de plus d’une soixantaine de personnes et des dizaines d’autres ont été blessées au cours de ces dernières semaines. Les nombreuses critiques exprimées par les médias et les organisations de défense des droits de l’Homme ont été contrées à coup de poursuites pour diffamation et de procès, sans compter les initiatives prises sur le plan juridique pour criminaliser ces critiques.
Nos organisations s’inquiètent tout particulièrement que le gouvernement égyptien tente d’institutionnaliser et de légaliser des pratiques de répression qui n’ont pas changé depuis l’ère Moubarak.
Si elle est ratifiée, la loi sur les manifestations criminalisera purement et simplement les mouvements de protestation pacifiques en interdisant toute perturbation « de la sécurité ou de l’ordre public, en interdisant l’entrave aux intérêts des citoyens ou le blocage des routes et d’autres moyens de transport, l’obstruction du trafic, les attaques perpétrées contre des biens personnels ou l’entrave à la liberté de travailler. »[3] Elle résulterait également en la justification de l’usage excessif de la force par les forces de sécurité pour disperser les manifestations.
Le projet de loi relatif aux associations et aux fondations, actuellement soumis par le gouvernement égyptien pour examen, ne laisserait aux ONG et autres organisations de la société civile qu’une liberté d’action cruellement réduite en Égypte, en entraînant la « quasi-nationalisation » des organisations civiles.[4]
Ce projet de loi accorde en effet beaucoup de pouvoir à un « comité directeur » composé de représentants de plusieurs ministères avec une présence massive de l’appareil de sécurité.
En contradiction avec l’exigence de « notification », il rend obligatoire l’« enregistrement » de toutes les ONG et fondations. Il confère à ce comité l’autorité de définir les objectifs des associations, d’interférer dans leurs activités, d’autoriser ou non les financements étrangers en fonction du type d’activités.
Les ONG internationales ne pourraient plus s’établir et opérer en Égypte sans en avoir préalablement reçu l’autorisation. Bénéficier de financements gouvernementaux étrangers, directs ou indirects, serait purement interdit pour toutes les OSC, ce qui menacerait les moyens de subsistance de nombreuses associations et en particulier des organisations de défense des droits de l’Homme qui dépendent des subventions publiques.
Enfin, fait tout aussi préoccupant, ce projet de loi prévoit une peine d’« emprisonnement d’une durée de minimum un an » et des amendes pouvant grimper jusqu’à 100 000 livres égyptiennes pour un large éventail de violations de la loi, notamment l’« assistance » à une OSC étrangère « dans l’exercice de toute activité en Égypte » ou les « études de terrain ou sondages d’opinion », etc. sans l’accord préalable des autorités concernées.
Nos organisations craignent fortement que les autorités égyptiennes n’aient recours à ce type de mesures autoritaires au lieu d’ouvrir la voie à un réel dialogue avec la société civile et toutes les forces politiques du pays, en vue d’aboutir à des résultats favorisant le respect des droits de l’Homme et de la démocratie. Ces politiques répressives ne contribuent pas à la mise en place d’une relation de confiance entre le gouvernement et la société civile, une étape qui demeure pourtant nécessaire pour instaurer un dialogue fructueux et trouver une issue à la crise politique actuelle.
Nous exhortons donc les autorités égyptiennes à :
- retirer sans délai les projets de loi susmentionnés et rédiger un nouveau texte de loi sur les organisations de la société civile ou adopter le projet de loi soumis par 56 organisations égyptiennes qui limite les contraintes imposées aux OSC opérant dans le pays, conformément aux obligations assumées de l’Égypte au regard du droit international ;
- ²entamer un réel dialogue à l’échelle de la nation, incluant les organisations de défense des droits de l’Homme et toutes les forces politiques du pays, en vue de faire respecter les droits de l’Homme et la démocratie ;
- cesser les attaques contre les manifestants, consentir à de réels efforts pour combattre l’impunité des crimes commis contre les manifestants et établir un cadre institutionnel solide visant à faciliter la transition du pays vers la démocratie.
Nos organisations ont également demandé à l’Union européenne de :
- pleinement respecter son changement annoncé de politique à l’encontre de ses voisins de la Méditerranée du Sud dans le sillage du Printemps arabe et traduire sans tarder en actions concrètes ses engagements en faveur de la démocratie, de l’État de droit, du respect des droits de l’Homme et de l’égalité des sexes ;
- vivement exhorter les autorités égyptiennes à retirer les deux projets de loi susmentionnés et à entamer une consultation sincère avec la société civile en vue d’établir un cadre juridique favorable à la liberté d’association et aux rassemblements pacifiques conformément aux normes internationales ;
- signifier clairement au gouvernement égyptien que le niveau d’engagement politique, financier et technique de l’UE dépendra des progrès réalisés dans les domaines de la démocratisation, du respect des droits de l’Homme et de l’égalité des sexes et que cet engagement se fondera sur une évaluation précise de la situation sur le terrain.
[3] Lire la déclaration du CIHRS « New Draft Law Aims to Criminalize Peaceful Demonstrations » (01/02/2013)
[4] Lire la déclaration du CIHRS « Strangling Civil Society with Repressive Laws: Morsi’s Bill to Nationalize Civic Activity Must be Retracted » (07/02/2013) et l’examen préliminaire du projet de loi par l’ICNL (ici)