Au terme d’une mission d’enquête et de plaidoyer sur la liberté d’association et la situation des organisations de la société civile, conduite en Egypte entre le 11 et le 14 février 2012, le REMDH et l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (un programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme – FIDH et de l’Organisation mondiale contre la torture – OMCT) publient ce jour les conclusions de la mission et constatent qu’un an après la Révolution, les conditions d’exercice des libertés d’association et de rassemblement pacifique en Egypte se sont substantiellement dégradées. Nos organisations s’inquiètent notamment des attaques directes menées par le gouvernement contre des ONG égyptiennes et internationales de défense des droits de l’Homme.
La délégation, composée de Kamel Jendoubi, Président du REMDH et membre du Conseil exécutif de l’OMCT, de Raji Sourani, Vice-Président de la FIDH, de Khadija Cherif, Secrétaire Générale de la FIDH mandatée par l’Observatoire, et d’Abdessatar Ben Moussa, Président de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (organisation membre du REMDH, de la FIDH et de l’OMCT), a rencontré des organisations égyptiennes de défense des droits de l’Homme, des représentants du gouvernement et du Parlement égyptiens, ainsi que des représentants de l’UE, d’Etats européens et des Etats-Unis.
La délégation a pu constater que :
1- La campagne médiatique et politique visant à discréditer les ONG de droits de l’Homme en les accusant de « faire le jeu de l’étranger » est particulièrement néfaste et virulente, contribuant à miner le soutien public dont jouissaient ces organisations de la société civile qui ont joué un rôle important dans la révolution et dans la dénonciation des violations commises par le régime de l’ancien président Hosni Moubarak;
2- Les attaques directes contre les ONG se poursuivent : après les raids de décembre 2011 contre les bureaux de plusieurs ONG égyptiennes et internationales, 43 employés d’ONG américaines et allemande sont assignés en justice depuis le 26 février 2012, accusés d’avoir illégalement ouvert des bureaux en Egypte et reçu des fonds de l’étranger. Au-delà de ces fondations, ce sont les ONG de défense des droits de l’Homme en général qui sont visées par ces intimidations, visant à mettre un frein à leurs activités. En effet, depuis la révolution de février 2011, ces dernières continuent de dénoncer les exactions du conseil militaire, en particulier la répression féroce des manifestations ayant entraîné la mort de nombreux manifestants, ainsi que les atteintes continues aux libertés d’expression, de manifestation et d’association ;
3- Bien que niant l’existence d’un projet de loi définitif sur les associations, les représentants du gouvernement ont clairement signifié leur intention de réformer le cadre législatif afin de maintenir les organisations de la société civile sous contrôle au travers de dispositions obligeant les associations à obtenir une autorisation préalable pour leurs activités, un contrôle accru des financements étrangers et une interdiction d’exercer tout type d’activité « politique », cette dernière visant tout particulièrement les associations de défense des droits de l’Homme dans leur action de vigilance citoyenne et de dénonciation ;
4- En 2011, plusieurs manifestations ont été violemment réprimées, et certains défenseurs couvrant les violations des droits de l’Homme commises dans ce cadre ont été arrêtés et victimes d’actes de harcèlement judiciaire.
Le REMDH et l’Observatoire expriment leur soutien aux organisations égyptiennes de défense des droits de l’Homme qui exercent leur rôle de vigilance citoyenne dans des conditions de plus en plus difficiles et sont menacées de poursuites judiciaires dans l’exercice légitime de leurs activités.
Nos organisations réitèrent leur préoccupation face à la dégradation des conditions d’exercice des libertés d’association et de rassemblement pacifique, et appellent les autorités égyptiennes à se conformer à leurs obligations internationales et constitutionnelles en la matière, notamment en mettant un terme immédiat aux poursuites judiciaires et aux actes de harcèlement à l’encontre des défenseur-es des droits de l’Homme et des organisations non gouvernementales, et à enclencher un véritable processus de transition démocratique, indissociable de l’existence d’une société civile plurielle et indépendante.
Nos organisations demandent également aux autorités égyptiennes de rapidement faire suite aux demandes de visite du Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, ainsi que de la Rapporteure spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, notamment suite à l’intervention effectuée par la mission de l’Egypte lors du dialogue interactif avec la Rapporteure spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme dans le cadre de la 19ème session du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies.
Le REMDH et l’Observatoire appellent particulièrement les nouveaux représentants du peuple égyptien au Parlement à rompre avec les pratiques du passé et favoriser le développement et l’expression d’une société civile active et autonome. Pour cela il est déterminant d’adopter un cadre législatif pour les associations conforme aux normes internationales en la matière, en concertation avec les organisations de la société civile, dont certaines ont présenté un projet de loi qui va dans ce sens. Il est utile de rappeler que les normes internationales sur la liberté d’association et les bonnes pratiques en matière de contrôle financier permettent la transparence dans la gestion associative sans nécessité d’interférence et de contrôle a priori par les autorités.
Le REMDH et l’Observatoire demandent à l’Union Européenne de promouvoir activement les libertés d’association et de réunion pacifique en Egypte, de mettre en pratique les instruments de soutien à la société civile établis dans le cadre de la Politique européenne de voisinage et les Orientations sur les Défenseurs des droits de l’Homme, et de conditionner toute collaboration ultérieure avec le gouvernement égyptien à des progrès démocratiques réels et au respect des libertés publiques.
Nos organisations demandent à la Rapporteure spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, au Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association et à la Rapporteure spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), d’appeler les autorités égyptiennes à garantir l’intégrité physique et psychologique de tous les défenseurs des droits de l’Homme en Egypte, à prévenir et mettre fin aux violations des droits et libertés fondamentales et enquêter sur toute atteinte éventuelle, en veillant à ce que tous les auteurs soient traduits en justice.
Les conclusions de la mission sont disponibles ici
La version pdf du communiqué est disponible ici