Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) et l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (un programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme – FIDH et de l’Organisation mondiale contre la torture – OMCT) expriment leurs plus vives inquiétudes quant aux dernières mesures visant à entraver le travail des organisations non gouvernementales (ONG). Le 18 juillet, le ministère égyptien des affaires sociales a publié une annonce dans le journal Al-Ahram demandant à toutes les entités civiles concernées de s’enregistrer comme ONG dans un délai de 45 jours (voir la traduction non officielle ci-dessous).
Cette annonce s’inscrit dans le cadre des efforts visant à faire passer une loi très répressive sur les associations, alors que la situation continue de se détériorer en matière de respect des droits de l’Homme, au vu notamment de la répression constante de la société civile, y compris des manifestants pacifiques et des défenseurs des droits de l’Homme. Dans sa forme actuelle, ce projet de loi comprend de nombreuses dispositions restrictives très préoccupantes, dans la mesure où il constitue une violation de la Constitution égyptienne, des décisions rendues par la Haute Cour constitutionnelle, ainsi que des normes juridiques internationales et régionales que le pays s’est engagé à respecter.
Le projet de loi stipule qu’aucune organisation ne pourra fonctionner sous un autre statut juridique que celui prévu par la loi ou en tant qu’organisation non enregistrée. Le ministère de la solidarité sociale se verrait accorder d’immenses pouvoirs, dont celui d’annuler les décisions internes des ONG, d’interférer dans la composition de leur conseil d’administration, de suspendre leurs activités par décret administratif et de contrôler leur financement.
Malgré les dispositions de la Constitution égyptienne qui garantissent le droit d’enregistrer une association par simple notification, le ministère de la solidarité sociale pourrait s’y opposer dans les 60 jours au motif que les activités prévues seraient interdites par la loi. Les activités interdites sont décrites à l’aide de concepts vagues, tels que « menacer l’unité nationale ou contrevenir à l’ordre public ou à la moralité », ou encore « s’engager dans n’importe quelle activité politique ». Cette formulation floue permettrait d’empêcher l’enregistrement d’organisations indépendantes de défense des droits de l’Homme. Cette nouvelle loi obligerait par ailleurs les ONG à avertir le ministère de la solidarité sociale dans le cas où elles souhaiteraient coopérer avec une association étrangère, ce qui pourrait inclure les interactions avec les mécanismes intergouvernementaux internationaux et régionaux de défense des droits de l’Homme. L’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques devrait également donner son approbation pour la réalisation d’études sur le terrain ou de sondages d’opinion. Afin de permettre la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions, les fonctionnaires de l’État seraient autorisés à pénétrer dans les locaux des entités travaillant dans un domaine considéré comme lié à une ONG afin de vérifier leur travail, à condition que les ONG en question en aient été averties. Le projet de loi ne précise toutefois pas de délai à respecter entre le jour de la notification et celui de la visite.
En ce qui concerne le financement et l’enregistrement des ONG internationales, le projet de loi prévoit la création d’un « comité de coordination » composé de fonctionnaires, dont des représentants du ministère de l’intérieur et de la sécurité nationale. Ce comité aurait les pleins pouvoirs de superviser la procédure d’autorisation de facto pour la création d’organisations internationales. Il serait également chargé de contrôler et d’approuver tout financement étranger d’ONG, bien que le projet de loi ne définisse aucunement les motifs valables pouvant être invoqués en cas de refus. Ces dispositions favoriseraient donc l’ingérence des services de sécurité dans les activités des organisations indépendantes de défense des droits de l’Homme, tout en permettant la dissolution de ces organisations par décision de justice, dans la mesure où elles commettraient une infraction à cette loi en bénéficiant de financements étrangers sans en avoir préalablement reçu l’autorisation. De plus, ce projet de loi accorderait au ministère de la solidarité sociale le droit de demander la dissolution des organisations qui ne seraient pas en mesure de réaliser leurs objectifs.
Nos organisations craignent vivement que l’adoption de ce projet de loi n’entrave sérieusement la capacité des ONG internationales à travailler légalement en Égypte. Les ONG bénéficiant de fonds issus de gouvernements étrangers ne pourraient pas être enregistrées si ces fonds « servent à soutenir les objectifs d’un parti politique dans leur pays d’origine » ou s’ils « constituent une violation de la souveraineté de l’État ». Le ministère de la solidarité sociale, avec l’autorisation du comité, aurait le droit d’annuler l’enregistrement d’une organisation étrangère s’il considère ses activités comme illégales. Les ONG étrangères n’auraient le droit de travailler que sur ce que le projet de loi qualifie de « besoins sociaux », ces besoins étant définis selon les plans de développement officiels. Enfin, les ONG internationales accréditées devraient obtenir la permission du comité pour bénéficier de financements étrangers privés, louer ou acheter des locaux, ou encore envoyer de l’argent en dehors du territoire égyptien.
Ce projet de loi prévoit de lourdes sanctions, telles qu’une peine de prison de minimum un an et des amendes de 100 000 livres égyptiennes (environ 10 000 euros) pour un large éventail d’activités, dont la réception ou le transfert de fonds sans l’autorisation préalable du gouvernement (y compris la collecte de donations), la création d’une association sous une autre forme juridique, la création d’une association exerçant des activités interdites (un cabinet d’avocat par exemple), la coopération avec des ONG étrangères en Égypte sans l’autorisation préalable du comité de coordination, la réalisation d’études sur le terrain sans l’autorisation préalable du gouvernement, la réalisation d’activités malgré une interdiction administrative ou prononcée par un tribunal et la coopération avec des ONG situées en dehors de l’Égypte sans avoir suivi la procédure prévue par la loi (notification du ministère de la solidarité sociale et un délai de 60 jours sans objection).
Il s’agit de la troisième version de ce projet de loi depuis 2013. Le 11 février 2013, le REMDH, la FIDH et l’OMCT avaient déjà exprimé leurs préoccupations quant à un premier projet de loi très similaire à celui-ci. Une seconde version améliorée du projet de loi a fait l’objet de discussions avec la société civile en juillet 2013. Le 26 juin 2014, le ministère de la solidarité sociale a organisé une consultation, afin d’aborder la version actuelle du projet de loi avec les ONG. Nous déplorons toutefois que peu d’éminentes ONG de défense des droits de l’Homme aient été invitées à cette réunion. Tout au long du processus législatif, les autorités égyptiennes ont manqué de transparence et d’ouverture.
Le droit à la liberté d’association est consacré à l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et réaffirmé dans la déclaration de l’ONU sur les défenseurs des droits de l’Homme. Comme l’a déclaré l’UE, « la communauté internationale, y compris l’Union européenne, a le devoir de plaider pour que les ONG et les individus jouissent de l’espace nécessaire à l’exercice de leurs activités. L’UE doit montrer l’exemple, en exerçant une pression des pairs par la voie diplomatique et par le dialogue politique avec les gouvernements et en sensibilisant le public aux questions liées aux droits de l’Homme ».
En conséquence, le REMDH et l’Observatoire exhortent l’UE et l’ONU à soutenir et à faire valoir les préoccupations de la société civile exprimées ci-dessus auprès des autorités égyptiennes. L’UE et l’ONU se doivent également d’appeler les autorités égyptiennes à :
- Retirer ce projet de loi et préparer un nouveau projet de loi conforme à la Constitution égyptienne et aux normes internationales en matière de droits de l’Homme. En particulier, les autorités égyptiennes doivent s’abstenir d’adopter cette loi par décret avant que le parlement égyptien ne soit formé, comme ce fut le cas pour la récente loi sur les rassemblements qui a renforcé les mesures de répression contre les défenseurs des droits de l’Homme ;
- Amorcer en véritable dialogue ouvert avec les organisations de la société civile, y compris celles qui critiquent le manque de respect des droits de l’homme par les autorités.
Enfin, l’UE doit réaffirmer que l’ampleur de son engagement politique, financier et technique dépendra des progrès réalisés par l’Égypte en matière de démocratisation, de respect des droits de l’Homme et d’égalité des sexes, dont la liberté d’association constitue un élément crucial.
Traduction non officielle de l’annonce publiée dans le journal égyptien Al-Ahram le 18 juillet :
« Dans le cadre de ses efforts visant à assouplir les obstacles auxquels est confrontée la société civile et étant convaincu de l’importance et de la nécessité pour toutes les entités opérant en Égypte de respecter les lois actuellement en vigueur dans le pays ; et dans le cadre du soutien apporté par le ministère de la solidarité sociale aux organisations égyptiennes et étrangères de la société civile dans le but de faire progresser la participation de la société civile dans la République arabe d’Égypte ; (le ministère de la solidarité sociale) invite toutes les entités exerçant des activités relevant de la société civile sans avoir été enregistrées à régulariser rapidement leur situation, conformément aux dispositions de la loi n° 84 de 2002 sur les associations et les ONG et à ses dispositions d’exécution, dans un délai n’excédant pas 45 jours après la date de cette annonce. Cette régularisation peut être effectuée en contactant le département de la solidarité sociale compétent dans la région où l’association exerce ses activités, dans le but de régulariser leur situation et d’éviter un interrogatoire/des poursuites en vertu des lois pertinentes en vigueur. »