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Convention D’Istanbul : Trois arguments en faveur d’un alignement pour le Maroc ainsi que ses voisins méditerranéens.

A la veille de l’anniversaire décennal de l’entrée en vigueur de la convention d’Istanbul, il est essentiel de s’interroger sur les progrès accomplis et le chemin restant à faire pour combattre la violence basée sur le genre dans la région Euro-Méditerranéenne.

La Convention D’Istanbul, ou la Convention du Conseil De l’Europe pour la Prévention et la Lutte contre les Violences faites aux Femmes et les Violences Domestiques, est un traité international innovant consacré à la lutte contre le problème endémique de la violence basée sur le genre et ouvert à la signature par les pays tiers.

Malgré l’importance que cette convention revêt, de nombreux pays du sud du bassin Euro-Méditerranéen, dont le Maroc, n’ont pas encore pris de mesures concrète pour s’aligner sur les normes qu’elle fixe. De plus, la Turquie s’en est retirée et la Tunisie n’a pas encore répondu à l’invitation du Conseil de l’Europe à la ratifier.

Ci-après trois arguments en faveur de l’adhésion du Maroc, de la Tunisie et des autres pays de la région, mais également pour le retour de la Turquie au cadre posé et standards par la Convention d’Istanbul.

  1. Le renforcement du cadre légal protégeant toutes les femmes

L’adhésion permettra au Maroc, à la Tunisie ainsi que le reste des pays du voisinage de s’aligner sur les standards de la Convention et d’améliorer de manière significative leurs arsenaux juridiques protégeant les femmes contre les violences.

La Convention exige en effet une implémentation de mesures concrètes visant à la criminalisation de la violence basée sur le genre, qu’elle soit morale, économique, sexuelle et/ou physique et ce, dans l’espace privé et public.

Et bien que la loi 103-13 a été un avènement positif dans le traitement de la violence basée sur le genre, elle peine à fournir une définition claire de la violence et ne criminalise pas tout le spectre de violence tel que défini par la Convention d’Istanbul. Cette insuffisance a été d’ailleurs mise en exergue par M. Rachid Meziane, juriste expert, qui souligne que même si ‘’ le cadre légal marocain en vigueur actuellement couvre certaines formes de violence genrée reconnues internationalement, il ne garantit toutefois pas des interprétations communes et partagées par la communauté juridico-légale ‘’. En adhérent aux principes de la Convention d’Istanbul, le Maroc pourra aligner ses normes et aux pratiques internationales, offrant par conséquent une protection renforcée aux femmes.

L’absence d’une interprétation commune et partagée du fait constitutif de la violence à l’égard des femmes conduit à des situations discriminatoires où une certaine moralité est priorisée aux détriments de la dignité et des droits des femmes, comme c’est souvent le cas pour le mariage des mineures ou de la violence dans le cadre dit « extra-conjugal ».  Sur ce point, pour Mme Amina LOTFI, l’ancienne Présidente de l’Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM) : ‘’ Malgré les progrès réalisés, la loi 103-13 pour la lutte contre les violences faites aux femmes se doit d’être révisée du simple principe qu’elle ne protège pas toutes les femmes, de toutes les formes de violences et ne prévoit aucune mesure de protection, de réparation ou de sanction ‘’.

  1. Améliorer les services de soutien pour les survivantes

La Convention d’Istanbul souligne l’importance de fournir des services de soutien complets qui comprennent notamment l’accès à des refuges, des lignes d’assistance téléphonique 24/7, des soins médicaux, des conseils psychologiques et une assistance juridique. Dans de nombreux pays voisins du Sud, ces services sont soit limités, soit inexistants, laissant les survivantes sans le soutien nécessaire pour reconstruire leur vie.

La loi marocaine 103-13 offre une certaine protection et des soins aux victimes, mais elle n’impose pas de services de soutien complets comme le fait la Convention d’Istanbul. M. Rachid Meziane souligne que bien qu’il existe des mesures pour le soin des victimes, la coordination et la disponibilité des services restent insuffisantes par rapport à l’approche globale requise par la Convention d’Istanbul. S’aligner sur la Convention permettrait l’établissement et l’expansion de ces services essentiels, offrant aux survivantes le soutien dont elles ont besoin pour se rétablir et se réintégrer dans la société.

Toujours, conformément à la loi 103-13, des unités de soutien ont été créées au sein des tribunaux de première instance et des cours d’appel. Ces unités sont chargées d’accueillir, d’écouter, de guider et de soutenir les femmes victimes de violence. Cependant, ces unités ont été jugées inefficaces et ont eu un impact très limité. Les obstacles à leur efficacité incluent le manque de services d’hébergement et la formation insuffisante du personnel impliqué dans ces unités de soutien.

  1. Promouvoir les droits des femmes et les valeurs de l’égalité

La violence basée sur le genre est à la fois une cause et une conséquence de l’inégalité des genres. En adhérant aux principes et aux normes de la Convention d’Istanbul, le Maroc, la Tunisie et d’autres pays de la région peuvent renforcer leur engagement à promouvoir l’égalité des genres et à combattre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La Convention ne traite pas seulement de la violence mais promeut également des mesures de prévention et des politiques visant à éliminer les stéréotypes de genre et les pratiques discriminatoires.

Bien que la loi marocaine 103-13 inclue certaines mesures pour promouvoir l’égalité des genres, elle ne traite pas explicitement de la création d’un environnement culturel et sociétal nécessaires pour combattre les stéréotypes de genre profondément enracinés. M. Rachid Meziane note que la loi existante est insuffisante pour promouvoir les mesures préventives et éducatives mises en avant par la Convention d’Istanbul, qui sont cruciales pour un changement à long terme. S’aligner sur la Convention d’Istanbul signalerait à la société civile et aux citoyen.ne. s que les gouvernements et les institutions étatiques sont engagés dans l’avancement des droits des femmes est dans l’impulsion d’une société  où les femmes peuvent vivre sans violence et sans discrimination.

La Convention d’Istanbul représente un outil puissant contre la violence à l’égard des femmes et la promotion de l’égalité des sexes. Pour le Maroc, la Tunisie et d’autres pays voisins du Sud, s’aligner sur cette Convention élèverait la position des droits des femmes, en garantissant des protections juridiques plus fortes, des services de soutien améliorés, une plus grande égalité des genres, la réalisation des engagements internationaux et une culture de responsabilité et de prévention.

De plus, le retrait de la Turquie de la Convention a été un revers important pour les droits des femmes et un éloignement de son rôle pionnier dans l’établissement du traité. Rejoindre à nouveau la Convention d’Istanbul réaffirmerait l’engagement de la Turquie à protéger les femmes contre la violence et donnerait un exemple positif pour la région.

La Tunisie se doit de considérer avec la plus grande importance l’Invitation du Conseil de l’Europe à ratifier cette convention, afin de démontrer son engagement envers les droits des Femmes et de poursuivre l’implémentation de la Loi de 2017 prodiguant plus de support et de protection aux femmes en situation de violence.

Avec cette commémoration du 10° Anniversaire de la Convention D’Istanbul, il est plus que nécessaire pour ces pays de se joindre au consensus mondial contre la violence genrée et de mettre en œuvre leurs engagements à protéger les droits et la dignité de toutes les femmes.