La publication par la Commission européenne de son premier rapport annuel sur l’état de droit au sein de l’UE, le 30 septembre dernier, a fait l’effet d’une bombe.
Pour la première fois, la Commission pointe du doigt, au travers de chapitres pays particulièrement critiques, des Etats membres où l’état de droit est menacé. La Hongrie et la Pologne n’ont pas manqué de faire part de leur courroux, en menaçant même de bloquer les négociations sur le futur budget de l’UE.
Même si ce mécanisme annuel se veut préventif, afin « d’aider les Etats membres à trouver des solutions », il est lancé alors que le Conseil et le Parlement européen discutent de la procédure relative à la conditionnalité budgétaire. Cette procédure, proposée par la Commission en 2018, prévoit la réduction, la suspension, voire l’interdiction des financements en cas de « défaillances généralisées » telles que la mise en péril de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il y a fort à parier que le rapport annuel sur l’état de droit servira de source à ce mécanisme, même si la Commission s’en défend.
On ne peut que saluer ces nouvelles étapes, après l’activation de l’article 7 du Traité à l’encontre de la Pologne et de la Hongrie en 2017-18. Pendant trop longtemps, une fois accueillis au sein du « club européen », les Etats membres pouvaient dormir tranquilles… Et ce ne sont pas les rapports réguliers de l’Agence européenne des droits fondamentaux (FRA), ni ceux du Commissariat des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, qui les mettaient en éveil. Mais si la conditionnalité touche à leur portefeuille, ce sera une autre histoire vu que les pays visés figurent parmi les plus grands bénéficiaires nets du budget européen.
Maintenant que les premiers pas sont franchis à la maison, il faudrait que cette conditionnalité s’applique à l’extérieur aussi, car la cohérence va dans les deux sens !
Pendant des années, les organisations de défense des droits humains ont appelé à une plus grande cohérence entre les politiques externe et interne de l’UE. Maintenant que les premiers pas sont franchis à la maison, il faudrait que cette conditionnalité s’applique à l’extérieur aussi, car la cohérence va dans les deux sens ! Un régime de sanctions inspiré du Global Magnitsky Act américain est bien sur les rails pour cibler les personnes impliquées dans des violations des droits humains dans le monde entier (gel des avoirs et interdiction de voyager dans l’UE). Cependant, on est loin d’une conditionnalité qui viserait les régimes qui violent les droits humains dans la région méditerranéenne et ailleurs.
Le principe du « more for more » (plus vous respectez les droits humains, plus vous recevez d’argent), qui fut au cœur de la Politique européenne de voisinage de 2011, n’a pas survécu comme instrument s’appliquant à tous les pays de la région. Les enjeux énergétiques (ex. avec l’Algérie), géopolitiques (ex. avec l’Egypte ou Israël), ou encore liés à la migration (ex. l’accord de mars 2016 avec la Turquie) refroidissent toute volonté d’agir. Et l’article 2 (dite « clause droits de l’homme ») des Accords d’association signés avec les pays sud-méditerranéens – pourtant légalement contraignants – n’a jamais été activé.
Mais la conditionnalité budgétaire n’a pas dit son dernier mot dans la politique externe de l’UE. Si elle n’a guère droit de cité dans le domaine des droits humains, elle est utilisée sans complexe dans le domaine de l’aide au développement couplée à la gestion des flux migratoires, pour inciter les pays d’origine et de transit à s’aligner avec les vues de l’UE en la matière. Ironie de l’histoire, ces vues sont fortement inspirées par les pays mêmes qui ne veulent pas entendre parler d’une conditionnalité à leur encontre par la mise en œuvre du mécanisme européen sur l’état de droit.
L’UE met donc la « conditionnalité » à toutes les sauces. Il serait temps que l’UE, en tant que championne auto-proclamée des droits humains, fasse le ménage chez elle pour être crédible à l’extérieur, tout en reniant pas ses principes quand elle défend ses intérêts dans ses relations avec des pays non-européens. C’est même dans son propre intérêt de le faire !
Vincent Forest
Directeur du plaidoyer à EuroMed Droits