Le Réseau Euro-Méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) condamne les atteintes répétées aux libertés publiques à la veille des élections présidentielles devant se tenir le 17 avril 2014.
La liberté de réunion est sérieusement entravée à la fois par un dispositif juridique restrictif et des pratiques abusives auxquelles ont souvent recours l’administration et les forces de police, comme souligné dans la dernière Etude régionale sur la Liberté de réunion dans la région euro-méditerranéenne, publiée en 2013 par le REMDH.
Entre février et mars, des centaines de manifestants avaient été arrêtés à Alger lors de manifestations convoquées par différents groupes de la société civile, comme par exemple des étudiants, des syndicats autonomes, le comité du pré-emploi affilié au SNAPAP, des familles des disparu(e)s, des militants du droit au travail ou encore le mouvement Barakat, mouvement citoyen pacifique créé en mars 2014. A partir de la mi-mars, les autorités ont mis un terme aux dispersions musclées de manifestants et de nombreux rassemblements ont été tolérés même dans la capitale. Malgré cela, les manifestations sont systématiquement encerclées par un dispositif policier disproportionné qui, selon les témoignages, semblent avoir pour but de dissuader d’autres citoyens de se joindre aux manifestants plutôt qu’à réellement les protéger ou maintenir l’ordre public. Le 5 avril le sit-in organisé par un opposant dont la candidature avait été invalidée par le Conseil Constitutionnel, a été empêché par un grand dispositif policier qui encerclait la salle où se tenait un meeting de campagne du président candidat Bouteflika. Par ailleurs selon une stratégie désormais rodée, les forces de l’ordre ont procédé à des arrestations arbitraires de manifestants avant même que ceux-ci puissent rejoindre le lieu du rassemblement.
Houari Djelouli, membre du Comité National pour la Défense des Droits des Chômeurs (CNDDC), comparait le 9 avril devant la Cour d’appel de Ouargla « pour distribution de tracts de nature à nuire à l’intérêt national » selon l’article 96 du code pénal algérien. Il risque de 6 mois jusqu’à 3 ans de prison et une amende de 36 000 DA (360 € environ) pour avoir distribué des tracts dans lesquels les membres du CNDDC appelaient à un sit-in le 11 avril 2013 devant la wilaya de Ouargla pour revendiquer le droit au travail dans une ville très touchée par le chômage, notamment des jeunes et des diplômés. Le verdict est attendu pour le 16 avril.
Le REMDH appelle par conséquent les autorités algériennes à :
– Garantir les libertés des citoyens algériens de se rassembler et manifester pacifiquement à Alger et dans les autres régions du pays, en particulier pendant la période électorale, conformément aux dispositions du Pacte International pour les droits civils et politiques et de la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples ratifiées par l’Algérie;
– Abroger la décision du chef du gouvernement de juin 2001 qui interdit toute manifestation à Alger, conformément aux recommandations formulées par le Rapporteur spécial des Nations Unies pour sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression après sa visite en Algérie en 2011;
– Mettre fin à la répression et aux arrestations arbitraires lors de manifestations pacifiques ainsi qu’au harcèlement judiciaire des citoyens revendiquant leur droit à manifester pacifiquement.
Dans son récent rapport de suivi sur l’Algérie, l’Union européenne (UE) a fait état de la détérioration de la situation des libertés d’association et de rassemblement ainsi que l’absence de progrès pour la mise en œuvre des recommandations de la mission d’observation électorale de l’UE de 2012. Face à ce constat, le REMDH demande à l’UE, en vue de l’envoi d’une mission d’experts sur les élections, de réagir publiquement et fermement à la dégradation de la situation des droits humains et d’appeler les autorités algériennes à cesser immédiatement les entraves à l’exercice des libertés de réunion pacifique, d’association et d’expression.
Contexte :
A l’approche des élections présidentielles du 17 avril prochain, les autorités algériennes ont par ailleurs fixé des restrictions supplémentaires. Une circulaire du ministère de l’Intérieur, datée du 8 janvier 2014, affiche une liste de 19 associations, dont la Ligue Algérienne de Défense des droits de l’Homme (LADDH), qui ne pourront pas obtenir l’autorisation de tenir de réunion publique sans l’accord préalable du ministère. De plus, le 28 janvier 2014 le ministre de l’intérieur, Tayeb Belaïz, annonçait devant le Sénat de graves restrictions à la liberté d’expression, de manifestation et de réunion des citoyens ainsi que des partis politiques en déclarant que « les autorisations et les salles ne seront accordées, durant la campagne, qu’aux candidats dont les dossiers ont été validés par le Conseil constitutionnel ».
Ces interdictions générales prises par le pouvoir exécutif constituent un contournement de la loi 91-19 sur les réunions et manifestations publiques, qui prévoit que les réunions publiques font l’objet d’une simple procédure de déclaration (et les manifestations d’une autorisation), et que toute restriction ne devrait être imposée qu’au cas par cas en fonction de la menace objective posée par chaque événement.
Comme rappelé par le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et d’association dans son premier rapport annuel de 2013, « exprimer son désaccord fait légitimement partie de l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique, en particulier en période électorale, car il s’agit d’une opportunité sans égal d’exprimer le pluralisme des opinions par des moyens pacifiques ».