À l’occasion de la Journée internationale des prisonniers palestiniens, le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH) et Physicians for Human Rights-Israel (PHR-I) font part de leur préoccupations quant à l’aggravation des conditions de prisonniers palestiniens dont le sort occupe une place centrale dans la société palestinienne et constitue un facteur essentiel du dénouement du conflit israélo-palestinien.
Le REMDH et PHR-I exhortent l’UE et ses États membres à prendre des mesures concrètes pour lutter contre les nombreuses violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire dont sont victimes les prisonniers et les détenus palestiniens.
Israël détient plus de 5820 « prisonniers de sécurité palestiniens »[1], ce qui a d’importantes répercussions, à la fois sur la société et la situation politique palestiniennes. En près de cinquante ans, environ 20 % de la population palestinienne et 40 % des hommes palestiniens vivant dans le territoire occupé ont été placés en détention par les forces militaires israéliennes. Ces prisonniers sont issus de toutes les couches de la société palestinienne, à savoir des femmes, des enfants, des dirigeants politiques et des journalistes, ainsi que des citoyens palestiniens arabes d’Israël[2]. Ces quatre dernières années, environ 3,5 % du nombre total de « prisonniers de sécurité » palestiniens étaient des citoyens d’Israël.
Augmentation du nombre de cas de torture et de mauvais traitement
Cette année, la Journée des prisonniers palestiniens est marquée par l’augmentation du nombre d’allégations de torture et de traitement cruel, dégradant et inhumain sur des prisonniers et des détenus palestiniens, ainsi que par un recours nettement accru à la détention administrative par Israël.
En 2014, 59 cas de torture ont été signalés, quatre fois plus qu’en 2012. 51 de ces cas de torture se sont produits au cours du second semestre 2014, une période pendant laquelle une escalade des méthodes de torture encore plus brutales utilisées par l’Agence israélienne de sécurité a été signalée. La torture et les mauvais traitements sont largement et systématiquement utilisés en toute impunité. La législation israélienne n’établit ni n’interdit la torture comme un crime et aucun mécanisme ne permet d’assurer la responsabilité de rendre des comptes des autorités pénitentiaires et de sécurité israéliennes.
Lors de leur arrestation, interrogation et détention, les mineurs palestiniens sont particulièrement vulnérables à la torture et aux mauvais traitements. Chaque année, entre 500 et 700 mineurs sont poursuivis devant les tribunaux militaires israéliens, le plus souvent pour « atteinte à la sécurité », après avoir jeté des pierres. Jusqu’à présent, aucune des 860 plaintes pour torture déposées depuis 2001 n’a donné lieu à une enquête criminelle. Il est particulièrement inquiétant de noter, à cet égard, le non report des incidents de torture et le signalement de négligences médicales systématiques sur des détenus palestiniens[3].
Recours accru à la détention administrative
En février 2015, 424 Palestiniens ont fait l’objet d’une ordonnance de détention administrative, soit plus du double par rapport à la même période l’année dernière (181). Israël a régulièrement recours à la détention administrative, ce qui constitue une violation de l’article 9 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), comme l’a souligné à de nombreuses reprises le Comité des droits de l’Homme de l’ONU. Il s’agit également d’une violation de l’article 78 de la quatrième Convention de Genève sur le droit de recours.
Selon le droit israélien, le placement en détention administrative peut être ordonné pour de vagues raisons de sécurité traitées de manière hautement confidentielle, ce qui empêche les détenus de préparer convenablement leur défense. Le placement de Palestiniens dans la catégorie des « prisonniers de sécurité » permet Israël d’utiliser la politique de détention administrative pour perturber les activités politiques ou les mouvements qui s’opposent à l’Occupation. La limite entre les actions pacifiques et militantes devient ainsi plus floue, ce qui entraîne souvent une criminalisation des actions pacifiques. Israël a par exemple pris pour cible plusieurs membres du Conseil législatif palestinien. Plus récemment, le membre du Conseil législatif palestinien Khalida Jarrara été arrêté et placé en détention administrative pour une période de six mois. Comme la majorité des prisonniers palestiniens, Khalida a été transféré du territoire palestinien occupé vers Israël, en violation des articles 49 et 76 de la quatrième Convention de Genève.
Grâce à la détention administrative, Israël peut placer des individus en détention sans inculpation ou procès pendant des périodes d’un à six mois renouvelables à l’infini. Les résidents de Gaza, arrêtés et détenus sous le régime de la Loi relative des combattants illégaux, se voient accorder encore moins de protection et peuvent être détenus sans inculpation ni procès pour une période illimitée. Cette pratique ne satisfait pas les règles de protection juridique en vertu du droit international et doit donc être abolie. Lorsque les prisonniers palestiniens sont jugés, ils le sont devant des tribunaux militaires, ce qui ne permet pas le respect des droits à un système judiciaire impartial et à un procès équitable. L’UE a adopté des positions claires sur le caractère inadapté des tribunaux militaires pour juger des civils et elle a exhorté ses partenaires à cesser d’avoir recours à cette pratique dans d’autres pays, notamment en Égypte, en Jordanie et au Maroc. L’UE devrait adopter une approche cohérente pour tous les partenaires du voisinage européen.
Le rôle de l’UE
Bien que ces dernières années, l’UE aborde de plus en plus les violations des droits des prisonniers et des détenus dans les rapports de suivi sur Israël dans le cadre de la politique européenne de voisinage, ce problème n’est pas traité de manière globale par l’ensemble des institutions de l’UE. La question des prisonniers et des détenus palestiniens demeure largement absente des conclusions du Conseil des affaires européennes, l’organe européen qui fait autorité dans le domaine des relations extérieures.
Lorsque l’UE aborde le problème en Israël, elle adopte des formulations et des recommandations plus souples que dans d’autres contextes. Par exemple, l’UE s’abstient d’appeler régulièrement à la libération des défenseurs des droits de l’Homme détenus comme prisonniers politiques. Elle ne condamne pas non plus clairement le recours illégal à la détention administrative.
Le REMDH et PHR-I se félicitent que l’UE ait exhorté Israël à aborder la question des enfants placés en détention militaire et qu’elle ait mentionné l’absence d’enquête criminelle sur les plaintes pour torture dans son rapport de suivi de la PEV sur Israël de 2015. L’UE devrait toutefois mettre en lumière le caractère inadapté des tribunaux militaires pour le jugement de tous les civils et non pas uniquement des mineurs. Des recommandations concrètes devraient aussi être formulées, afin de combattre le recours systématique d’Israël à la torture et aux mauvais traitements.
Compte tenu de la centralité des prisonniers dans des dynamiques de rétablissement de la paix, le REMDH et PHR-I invitent l’UE et ses États membres à exhorter Israël à:
- Respecter ses obligations en matière des droits de l’Homme par rapport à la population palestinienne occupée, y compris les obligations prévues dans le PIDCP et la Convention de l’ONU contre la torture (CCT) ;
- Arrêter le recours à la détention administrative et à l’utilisation de preuves secrètes dans les procédures de détention administrative, conformément au quatrième rapport périodique d’Israël ;
- Cesser le jugement de civils palestiniens devant des tribunaux militaires, conformément aux déclarations de l’UE vis-à-vis d’autres pays et aux résolutions du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU ;
- Réaliser des enquêtes effectives, rapides, impartiales, indépendantes et minutieuses sur les cas de blessures et de décès de détenus et prisonniers palestiniens en détention ;
- Explicitement interdire la torture, y compris la torture psychologique, et les peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants en introduisant dans sa législation une définition de la torture conforme à l’article 7 du PIDCP et à CCT, ainsi qu’en veillant à ce que la législation prévoie des peines adaptées à la gravité de tels actes, comme le réclame l’ONU dans les observations finales concernant le respect du PIDCP par Israël ;
- Se conformer pleinement à l’interdiction de transférer des prisonniers du territoire palestinien occupé vers le territoire israélien.
[1] Le terme « prisonniers de sécurité » est utilisé par les autorités israéliennes pour désigner les prisonniers qui seraient coupables d’une atteinte à la sécurité de l’État.
[2] En Israël, les citoyens palestiniens arabes sont jugés devant des tribunaux civils. Toutefois, tout comme les résidents du TPO qui sont jugés devant des tribunaux militaires, ils peuvent également être considérés comme des « prisonniers de sécurité » par l’Administration Pénitentiaire Israélienne.
[3] Etant donné que le corps médical est employé par l’Administration Pénitentiaire Israélienne et non par le ministère de la santé, il est pris entre les intérêts de son employeur et ses devoirs envers ses patients.