Journée internationale de la femme 2013

Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) célèbre la Journée internationale de la femme. Cet événement survient dans un contexte inquiétant caractérisé par des violations toujours plus nombreuses des droits des femmes et des défenseuses des droits de l’Homme dans les pays engagés dans un processus de transition démocratique dans la région du Sud et de l’Est de la Méditerranée, sans oublier la crise économique qui touche en premier lieu les femmes dans la région euro-méditerranéenne.

Le REMDH demeure préoccupé par l’engagement manifestement « factice » de la plupart des gouvernements de la région de la Méditerranée du Sud à protéger, promouvoir et respecter les droits des femmes, ainsi qu’à élaborer et mettre en œuvre des dispositions légales et des politiques garantissant l’égalité des sexes. Le résultat en est la détérioration de la situation des droits de la femme dans les pays en transition et une paupérisation des femmes en Europe.

Si les femmes ont joué (et continuent de jouer) un rôle clé lors des soulèvements qui ont chassé les dictateurs de plusieurs pays de la région du Sud de la Méditerranée, une tendance à la marginalisation de ces femmes émerge de récents développements législatifs et concrets.

Le REMDH condamne fermement le recours à la violence sexuelle que subissent les femmes, les défenseuses des droits de l’Homme et les militantes politiques. La violence est volontairement utilisée comme stratégie sociale et politique dans le but d’effrayer et de stigmatiser les femmes voulant participer à l’élaboration du nouveau système politique en Égypte.  Des cas de violence sexuelle ont régulièrement été rapportés au cours des deux dernières années avec pour acmé des cas de viols collectifs et d’agressions lors des manifestations célébrant le deuxième anniversaire de la révolution[1].

Le REMDH est extrêmement préoccupé par la brutalité extrême dont les femmes font objet alors qu’elles exercent leur droit à la manifestation pacifique, à la liberté de rassemblement et d’expression[2]. Cette tendance se retrouve en outre dans la nouvelle constitution égyptienne qui n’interdit pas explicitement la discrimination fondée sur le genre et le fait qu’aucun des auteurs de ces agressions n’ait été poursuivi ne fait que la confirmer.

Le recours à la violence sexuelle fondée sur le genre en tant que « arme de guerre » est également une tendance inquiétante en Syrie. Plusieurs rapports indiquent que le nombre de femmes violées alors qu’elles étaient détenues par  les forces gouvernementales, parfois sous les yeux de leurs proches, est en augmentation[3]. Ceci est en infraction au Statut de Rome qui qualifie de manière explicite le viol de crime de guerre et de crime contre l’humanité. Les valeurs traditionnelles et patriarcales rendent les Syriennes encore plus vulnérables face à la violence sexuelle, dans la mesure où leur famille et la société les rejettent en cas d’agression, les laissant abusées, traumatisées, isolées et sans ressource.

La détérioration de la sécurité dans les pays en transition et la faiblesse de l’État de droit dans des pays tels que la Tunisie et la Libye constituent également une tendance inquiétante pour le respect des droits des femmes et l’égalité des sexes. Alors que les Tunisiennes se mobilisent pour conserver leurs droits acquis et améliorer leur situation dans ce contexte d’instabilité politique et de montée du fondamentalisme religieux alimentée par le gouvernement actuel, les Libyennes luttent pour participer à la vie politique et ainsi garantir la représentation des femmes au sein de la future commission constitutionnelle, ainsi que des dispositions protégeant l’égalité des sexes et interdisant la discrimination fondée sur le genre dans la nouvelle constitution[4].

Les Palestiniennes doivent porter le double fardeau de la violence et de la discrimination perpétrées par la puissance occupante et découlant des valeurs et des attitudes patriarcales de leur propre société. Leur contribution considérable à la résistance et à la cohésion du tissu social palestinien demeure pourtant encore marginalisée.

Le REMDH reste préoccupé par le manque d’engagement des gouvernements des pays de la région du Sud de la Méditerranée à garantir aux femmes les mêmes droits de citoyenneté qu’aux hommes. Les lois relatives à la nationalité dans plusieurs pays de la région, comme en Syrie, au Liban et en Jordanie, demeurent en effet discriminatoires à l’égard des femmes, dans la mesure où elles n’ont pas le droit de transmettre leur nationalité à leur famille.

En Europe, les femmes sont les premières à être frappées par le chômage, l’appauvrissement, la précarité et les coupes budgétaires en matière de santé et d’éducation causées par les mesures d’austérité prises par les gouvernements[5]. En outre, les mesures et les politiques liées à l’égalité des sexes ne sont pas considérées comme une priorité en ces temps de difficultés économiques et les ressources qui étaient allouées à la défense des droits des femmes se retrouvent dédiées au sauvetage des entreprises et des banques. Ces mesures d’austérité économique vont de pair avec la montée des mouvements extrémistes dont les idéologies renvoient les femmes dans des rôles familiaux traditionnels et dont les politiques sont nuisibles pour les droits et la santé sexuelle et reproductive des femmes.

Les croyances et pratiques patriarcales se voient renforcées par la faiblesse de l’État de droit, le manque de volonté des gouvernements, les mesures d’austérité et la montée des extrémismes religieux, ce qui donne lieu à des violations des droits des femmes et menace de plus en plus la justice et l’égalité des genres.

Nous rappelons les engagements internationaux prix par les États dans le cadre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ICESCR) et de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing.

Nous rappelons également les conclusions de la conférence ministérielle Euro-Med d’Istanbul et Marrakech sur le rôle des femmes dans la société en 2006 et 2009,  les lignes directrices de l’UE sur les violences contre les femmes et la lutte contre toutes les formes de discrimination à leur encontre[6], ainsi que la « Politique européenne de voisinage (PEV) renouvelée » de 2011 fondée sur de nouveaux éléments tels qu’une approche donnant-donnant (ou « more for more »), l’importance de la responsabilité mutuelle entre l’UE et ses partenaires, la nécessité de mettre en place des partenariats non seulement avec les gouvernements, mais également avec les acteurs de la société civile et la reconnaissance du rôle spécial des femmes dans le remodelage de la politique et de la société.

Sur cette base, le REMDH exhorte :

Les gouvernements, les gouvernements provisoires et les organes de transition dans la région du Sud de la Méditerranée

  1. à explicitement faire figurer l’égalité des sexes et interdire la discrimination fondée sur le genre dans les nouvelles constitutions et lois, ainsi que dans celles récemment amendées ;
  2. à mettre en place/activer des mécanismes institutionnels pour les garantir et à abroger tous les articles de loi discriminatoires en adoptant la définition de la discrimination proposée dans la CEDAW ;
  3. à garantir une participation et une représentation égales des femmes au sein des organes législatifs, judiciaires et exécutifs, ainsi qu’aux postes de prise de décisions, en adoptant des mesures constructives telles que des dispositions sur la parité ou des quotas de minimum 30 %, des programmes d’autonomisation, l’octroi de soutiens financiers et l’intégration de la dimension genre dans toutes les politiques et tous les projets, entre autres ;
  4. à promulguer/appliquer d’urgence les lois contre la violence domestique et les lois contre les violences sexuelles ; à mettre sur pied des systèmes de justice pénale sensibles à la dimension genre auxquels les femmes peuvent avoir pleinement accès ;
  5. à garantir la participation totale et égale des Palestiniennes et des femmes des pays en transition à la résolution des conflits et aux efforts de médiation conformément aux engagements qu’ils ont pris dans le cadre des résolutions 1325 (2000), 1820 (2008), 1888 (2009), 1889 (2009)et 1960 (2010) du Conseil de sécurité des Nations unies.

Recommandations adressées aux gouvernements européens[7]

  1. Créer de l’emploi dans le secteur public et investir dans les secteurs de l’enseignement et de la santé, afin d’alléger le fardeau qui pèse sur les épaules des femmes et qu’elle puissent participer au marché du travail ;
  2. Prendre des mesures pour combattre la féminisation de la pauvreté qui est en hausse en raison de la récession ;
  3. Réaliser une analyse systématique de la dimension genre de la crise et cela, en amont de la mise en œuvre des solutions proposée ;
  4. Signer et ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence des femmes et la violence domestique ;
  5. Prendre des mesures fermes pour combattre la violence contre les femmes au lieu de réduire le budget des institutions qui offrent des services aux femmes victimes de violence ;
  6. Cesser d’opérer des réductions des dépenses publiques qui mettent en péril des services publics où travaillent et auxquels s’adressent de nombreuses femmes, surtout dans les secteurs touchant à la santé et à la petite enfance ;
  7. Intégrer la dimension genre dans les réponses des autorités publiques à la crise économique.

l’Union européenne (UE)

  1. à soulever la question de la violence contre les femmes lors de dialogues avec ses partenaires du Sud et prendre des mesures spécifiques visant à combattre ce phénomène en se conformant aux lignes directrices de l’UE sur les violences contre les femmes
  1. à systématiquement soulever les problèmes relatifs à l’égalité des sexes avec les gouvernements du Sud de la Méditerranée et à publier des déclarations publiques lorsque les droits des femmes sont bafoués ;
  2. à systématiquement soulever les questions liées à l’égalité des sexes dans le cadre de tous les dialogues d’ordre politique et technique avec les pays du Sud de la Méditerranée en définissant des objectifs concrets et mesurables à atteindre ;
  3. à systématiquement intégrer la dimension genre dans toutes leurs politiques et tous leurs programmes ;
  4. à systématiquement faire de l’égalité des sexes une priorité dans le cadre du principe de la « démocratie solide » repris dans les rapports 2013 de suivi de la PEV, à y ajouter des recommandations concrètes et à intégrer la dimension genre dans toutes les sections des rapports de suivi de la PEV ;
  5. à adopter sans tarder les stratégies nationales en matière de droits de l’Homme pour les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, à s’assurer qu’elles incluent systématiquement et de manière cohérente un chapitre spécifique sur l’égalité des sexes et à garantir l’intégration de la dimension genre dans tous leurs chapitres ;
  6. à s’assurer que les plans d’action de la PEV, les « matrices » prévues pour leur mise en œuvre, les rapports de suivi et les stratégies de l’UE en matière de droits de l’Homme soient cohérents, en particulier en ce qui concerne les questions liées à l’égalité des sexes ;
  1. à adapter la PEV renouvelée et à s’assurer que les nouveaux plans d’action de la PEV avec les pays du Sud de la Méditerranée relèvent les défis urgents auxquels il est fait référence ci-dessus ; les nouvelles « matrices » de la mise en œuvre des plans d’action devraient inclure des mesures spécifiques en faveur de l’égalité des sexes avec un calendrier et des critères de référence ; l’intégration de la dimension genre dans chaque plan d’action et « matrice » devrait également être garantie ;
  2. à appliquer de manière cohérente le principe « more for more » ( « donnant, donnant »)  de la « PEV renouvelée » et à inclure de manière claire et cohérente les progrès relatifs à l’égalité des sexes en tant que critère de référence essentiel lorsque l’UE doit choisir de continuer ou non à soutenir un pays ; Ces critères devraient reprendre les recommandations susmentionnées.
[1] Des ONG de la société civile égyptienne ont répertorié quelque 23 cas de viols collectifs lors des journées du 25 et du 26 janvier 2013 : http://www.elaph.com/Web/news/2013/2/790260.html?entry=Egypt#sthash.WK4GkPvE.dpbs

[7] Pour plus d’information, voir l’étude du Lobby européen des femmes «Le prix de l’austérité -. Son impact sur les droits des femmes et l’égalité femmes- hommes en Europe»: http://www.womenlobby.org/spip.php?article4235&lang=fr