Nul doute que la situation migratoire aux Canaries sera à l’ordre du jour de la rencontre organisée au Maroc ce vendredi 20 novembre entre les Ministres de l’intérieur espagnols et marocains.
Depuis plusieurs mois, à l’image des évènements de 2006, les flux de migration entre le Sénégal et le Maroc vers les îles Canaries atteignent un niveau record. En date du 15 novembre 2020, le nombre de personnes qui avaient traversé la mer depuis le début de l’année a été multiplié par six par rapport à 2019, atteignant un total de 16.950 personnes. Cette hausse des traversées s’accompagne inévitablement d’une augmentation des disparitions en mer. En seulement une semaine, en octobre dernier, 480 personnes ont péri ou ont été portées disparues. Le 29 octobre, 140 personnes ont perdu la vie au large des côtes sénégalaises.
Cette augmentation des départs témoigne de changements dans les itinéraires « traditionnels » des voies migratoires qui contraignent de plus en plus de réfugié.e.s à entamer leur périple au sud, entraînant une augmentation relative du risque de décès. Cela tient à la conjonction de deux axes politiques : une approche sécuritaire de la migration et une externalisation de la responsabilité de la gestion des frontières à des pays hors-UE.
De fait, la sécurité a été fortement renforcée dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, situées sur la route du nord vers l’Union européenne : de nouvelles clôtures hautes de 10 mètres ont été érigées, et de nouveaux réseaux de fibre optique déployés dans le but d’intercepter les migrant.e.s.
La visite de la Commission européenne aux îles Canaries, le 6 novembre dernier, a eu pour effet majeur de renforcer le rôle de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), au moment même où l’Espagne négociait un renouvellement de son accord avec l’Agence pour éviter tout débarquement sur ses îles. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que, dans le même temps, Frontex est accusée de violents refoulements en mer Égée et en Méditerranée Centrale, en violation du principe de non-refoulement.
La répartition des fonds pour les projets migratoires UE-Maroc (soutenus par le Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique – FFUA) traduit, elle aussi, les priorités actuelles de l’UE : 80,85% des fonds (235 millions d’euros du FFUA) – sont dédiés à la gestion sécuritaire des frontières, alors que seuls 19,15% sont alloués à des projets d’intégration et de protection des droits humains.
Les pays hors-UE en bordure de la Méditerranée recourent également et de façon croissante aux retours des migrant.e.s : par exemple, depuis le 30 septembre 2020, l’Algérie a renvoyé, de manière violente, 6.747 personnes vers le Niger. Des dizaines de migrant.e.s, dont des femmes et des mineurs d’âge, ont été expulsés par le Maroc vers le Sénégal et la Guinée en octobre et novembre 2020.
Il faut préciser que la sécurisation des frontières et l’externalisation de leur gestion ne sont pas l’apanage de l’Espagne et du Maroc. C’est, en fait, tout l’esprit du Pacte européen sur la migration et de la part budgétaire consacrée à la migration dans le cadre financier pluriannuel.
EuroMed Droits appelle l’UE et ses Etats membres à :
- Cesser de lier les fonds au développement pour la coopération avec les pays hors-UE en matière de gestion migratoire à des politiques de réadmission ;
- Assurer la transparence des fonds européens pour des projets et activités de coopération liés à la migration au Maroc, et mettre en place un système de suivi efficace pour garantir le respect des droits fondamentaux ;
- Abandonner le principe de pays d’origine « sûr », qui va à l’encontre de l’évaluation individuelle des demandes d’asile. EuroMed Droits souhaite également rappeler qu’aucun pays ne peut être considéré comme sûr ;
- Augmenter le nombre de places d’accueil sur les îles Canaries, afin que tou.te.s celles.ceux qui débarquent puissent être pris.e.s en charge avec dignité et dans le respect des droits fondamentaux ainsi qu’accélérer les transferts vers la péninsule ;
- Mettre en place des opérations européennes de recherche et sauvetage en mer, et arrêter de criminaliser l’aide humanitaire par des organisations de la société civile, en mer et à terre.
Crédit photo: Sara Prestianni